À Phoenix, au cœur de l’Arizona, le Heard Museum consacre depuis près d’un siècle ses galeries à l’art et aux cultures natives d’Amérique du Nord. Loin des clichés véhiculés par le cinéma ou les manuels scolaires, ce lieu donne à voir l’histoire des résistances silencieuses, des identités plurielles, et d’une créativité toujours vivante.


Le béton brûle à travers les semelles, et la lumière du désert découpe l’horizon de Phoenix. Rien ne semble survivre ici sans air conditionné et pourtant, tout vit, tout pulse. Les cactus se dressent comme des sentinelles et dans les rues, quelques ombres se faufilent, entre béton et poussière.
Que faire à Phoenix : les must see et les must do
Au centre-ville, loin des cowboys de carte postale, le Heard Museum est comme une promesse d’authenticité. Fondé en 1929, ce musée d’art natif raconte ce que les manuels scolaires ont tu pendant longtemps, entre histoire et richesse culturelle des Premières Nations. Les colliers n’y brillent pas pour leur valeur marchande, mais pour les voix qu’ils portent encore.

Un musée qui valorise l’art et la créativité autochtones
Le musée est ouvert en décembre 1929 par les philanthropes Dwight et Maie Heard dans le but de partager avec le public leur collection d’arts autochtones venant de l’Afrique, d’Hawaï, du Mexique et de l’Ouest des États-Unis. Dirigé dès ses débuts avec rigueur, chaque œuvre du lieu est sélectionnée minutieusement et mérite exposition, respect, sans chercher la quantité ni l’exotisme. Désormais, les collections se consacrent aux cultures nord-amérindiennes, particulièrement celles des peuples autochtones de l'Arizona et du Plateau du Colorado.
À l’intérieur, la scénographie ne court ni après le sensationnalisme, ni après le récit victimaire. Elle met face à face les œuvres comme des bijoux, des céramiques, des textiles, des poupées katsina… Et leurs créateurs, en nommant les artistes dès les années 1960-70, et non plus simplement les communautés. Cette rigueur documentaire réaffirme une posture où la créativité vivante et plurielle des peuples autochtones est célébrée, et non figée dans une tradition muséifiée.
« Tuer l'Indien pour sauver l'homme », la devise brutale de Richard Pratt, fondateur de l’école industrielle indienne de Carlisle
Se souvenir de l’histoire coloniale et déconstruire les clichés
Au détour de certaines galeries, l’Histoire coloniale se fait entendre sans lyrisme, sous la forme brute d’objets du quotidien d’enfants arrachés à leur famille. Loin de chez soi : Histoires de pensionnats amérindiens, est l’une des expositions permanentes les plus marquantes du musée. Elle est dédiée aux écoles d’assimilation, ces « boarding schools » imposées pour effacer les langues et les cultures.
À partir de la fin du 19ᵉ siècle, le gouvernement américain met en place un vaste programme d’assimilation des enfants autochtones. Officiellement, il s’agit de les « éduquer » dans des établissements spécialisés. En réalité, on leur impose un nom anglais, une coupe de cheveux réglementaire, l’interdiction de parler leur langue, et un enseignement centré sur les valeurs de la société blanche. Une politique de déracinement, pensée comme un outil de « civilisation ».

Le pensionnat le plus emblématique, l’école industrielle indienne de Carlisle, en Pennsylvanie, est souvent cité comme le modèle. Son fondateur, Richard Pratt, avait une formule brutale comme slogan : “Kill the Indian in him, and save the man.”, ou en français « Tuer l'Indien pour sauver l'homme ».
« De nombreux parents n'ont pas d'autre choix que celui d'envoyer leurs enfants lorsque le Congrès autorise les délégués aux Affaires indiennes à retenir les rations, les vêtements et les paies des familles qui refusent d'inscrire leurs enfants. (...) Parfois, des pères trop résolus étaient enfermés à cause de leurs refus. En 1895, 19 hommes de la nation Hopi sont détenus à Alcatraz après leur refus d'envoyer leurs enfants au pensionnat. » écrit Tabatha Tooney Booth, de l'Université de l'Oklahoma, dans Cheaper Than Bullets.
L’exposition donne à voir cette réalité avec pudeur et puissance. Les objets exposés racontent une violence systémique.
Une mémoire en reconstruction lente
Pendant des décennies, cette histoire n’a pas été racontée. Trop douloureuse. Trop peu reconnue. Au Canada, la Commission Vérité et Réconciliation a permis une première reconnaissance officielle. Aux États-Unis, le processus est lent. L’administration Biden a lancé une enquête en 2021 sur les pensionnats amérindiens, mais les conclusions tardent à venir. Sur le terrain, ce sont souvent les musées, les associations et les familles qui portent seuls le fardeau de la mémoire.

L’artisanat des Premières Nations
Depuis les années 1960, l’institution a choisi de ne plus classer les objets uniquement par tribus, mais de reconnaître les auteurs et autrices des pièces exposées. Une révolution silencieuse dans le monde muséal, longtemps habitué à nommer les peuples sans les individus derrière les œuvres.
Dans les allées calmes du Heard Museum, chaque œuvre raconte une lutte, une joie, une résistance, ou simplement un quotidien. Contrairement aux idées reçues, l’art autochtone n’est pas figé dans le passé. Les collections du musée racontent la mémoire mais aussi le présent, entre peintures, installations, céramiques, vidéos ou bijoux.

L’art comme moyen de raconter ou de dénoncer
Loin des représentations figées que véhicule parfois l’Occident à travers le cinéma, le musée accueille des artistes qui réinventent sans cesse leur langage plastique. Certains revisitent les formes ancestrales à travers des médiums contemporains, tandis que d’autres dénoncent les violences historiques ou écologiques. Tous témoignent d’un ancrage profond.
On croise ici les figures de Preston Singletary, artiste tlingit qui travaille le verre pour figurer les esprits, ou de T.C. Cannon, peintre kiowa et caddo, dont les œuvres aux couleurs vives confrontent la culture pop américaine aux traditions tribales. Plus récemment, les expositions ont mis à l’honneur des artistes queer ou féministes issus des nations Navajo, Pueblo ou Apache, affirmant l’intersectionnalité des identités autochtones contemporaines.
Ces créateurs ne cherchent pas à « représenter leur peuple », mais créent pour eux-mêmes, à partir d’eux-mêmes. Et c’est précisément cela qui dérange les clichés : le droit d’être complexe, actuel et inclassable.
Phoenix : au Heard Museum, les peuples autochtones racontent leur cosmogonie
Le Heard Museum propose, par la force des œuvres et des contextes, une forme de résistance mémorielle. Dans ce sanctuaire de mémoire, le silence nous incite à regarder, écouter, et apprendre à désapprendre. Il est nécessaire de déconstruire les clichés occidentaux qui collent encore à la peau des peuples autochtones d’Amérique comme un costume de western hollywoodien. À Phoenix, l’Histoire s’écrit à voix multiples.
Le Heard Museum se situe au 2301 N Central Ave, Phoenix, AZ 85004 aux États-Unis, et est accessible pour tous les âges. Il est ouvert de 10h à 16h, du mardi au dimanche.
Réservations disponibles sur ce lien.
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