Structures inadéquates, modifications unilatérales, manques d’informations. Dans les voyages à forfait, ces situations constituent de véritables inexécutions contractuelles, susceptibles de donner lieu à une obligation d’indemnisation des préjudices matériels et moraux encourus par les voyageurs. De quels remèdes disposent les consommateurs vis-à-vis des professionnels du tourisme ? Une nouvelle approche suggérée par les juges européens.


Le droit à des vacances réussies : considérations générales
Vous êtes prêts à partir - l’opérateur touristique a tout organisé, les bagages sont prêts, il ne manque que d’arriver à destination et profiter de vos vacances.
Puis, l’imprévu : les bagages sont perdus et il faut racheter l’essentiel, ou une excursion payée et attendue est annulée sans préavis ni solution de remplacement, compromettant ainsi le sens même du voyage et impactant la situation patrimoniale mais également le bien-être du consommateur.
Ces dernières années, le droit de l’Union européenne ainsi que les législations nationales (notamment l’article L-211 du Code du tourisme français et l’article 46 du Codice del turismo en Italie) ont voulu renforcer les droits des voyageurs vis-à-vis des professionnels du tourisme. En particulier, le voyageur est titulaire d’un droit d’indemnisation des préjudices patrimoniaux ainsi que du préjudice moral causés par une inexécution des opérateurs du secteur.
Comment équilibrer le droit aux vacances réussies des consommateurs avec les circonstances imprévisibles et exceptionnelles qui impactent négativement sur l’activité des agences, des opérateurs et des hôtels ? Un débat susceptible de s’enflammer suite à la nouvelle approche adoptée par la Cour de Justice de l’Union européenne (« CJUE »).
Voyages à forfait, une nouvelle avancée pour les consommateurs
Une récente prise de position par la CJUE (arrêt du 23 octobre 2025, affaire Tuleka, C-469/24) vient renforcer les droits des voyageurs dans le cadre des voyages à forfait lorsque les juges européens épinglent les critères d’appréciation des inexécutions des voyagistes.
Plus dans le détail, la CJUE, saisie de l’affaire par voie de renvoi préjudiciel, a été interpellée sur un litige instauré par des touristes polonais n’ayant pu profiter d’un séjour de luxe en Albanie à cause de certains travaux invasifs de rénovation, qui n’avaient pas été communiqués auparavant, et qui avaient compromis la qualité de leur séjour. Bruits de démolition, accès à la mer condamné, suppression du service de restauration l’après-midi et files interminables pour déjeuner : ce sont certains des inconvénients dénoncés par ces touristes, qui demandaient une indemnisation intégrale du préjudice moral subi. L’opérateur, pour sa part, s’est défendu au motif que les travaux dont il s’agissait avaient été ordonnés par les autorités locales, sans aucune marge d’intervention de sa part, et qu’en tout cas le reste des services inclus dans le forfait avait bien été fourni.
Le verdict de la CJUE est clair : sans préjudice du droit à une réduction du prix le cas échéant, les voyageurs ont droit à une indemnisation intégrale du préjudice moral - tel que la perte de jouissance, la dégradation du bien-être physique ou psychologique - même en cas d’exécution partielle des prestations par les opérateurs touristiques.
Cette indemnisation est toutefois conditionnée à ce que les manquements invoqués aient compromis, dans leur globalité, la substance même de l’expérience de voyage. De plus, précise la CJUE, aucune indemnisation pour le préjudice moral ne sera dû s’il est prouvé que le défaut contesté était en vérité imputable au voyageur lui-même ou en cas de circonstances exceptionnelles et inévitables, même si causées par un tiers au contrat. En ce faisant, les juges européens ont introduit un système de responsabilité des opérateurs du tourisme quasi objective.
Il s’agit en tout état de cause d’une évolution jurisprudentielle majeure, susceptible d’influencer significativement le traitement des litiges futurs dans les États membres.
Et en Italie, où en est-on ?
La nouvelle décision de la CJUE, qui offre des nouveaux critères interprétatifs du droit applicable, est susceptible d’impacter la position des juges italiens.
En effet, conformément au droit de l’Union européenne, l’obligation d’indemnisation en cas de « danno da vacanza rovinata », à savoir l’atteinte au bien-être physique et psychologique du voyageur, causée par l’impossibilité de profiter pleinement du séjour comme moment unique de détente et de loisir, conformément à ses attentes légitimes, est bien reconnu par l’ordre juridique italien, bien que son application reste ancrée à des appréciations au cas par cas.
Par exemple, le Giudice di pace de Rome a condamné un opérateur touristique pour des irrégularités – changement d’itinéraires à la dernière minute, frais supplémentaires, structures inadéquates – causées lors d’un voyage dans les châteaux de la Loire et qui ont gâché l’expérience de deux amies romaines (jugement n. 6423/2025 du 14 juin 2025). Les juges du fond ont notamment considéré que ces irrégularités ont transformé un circuit culturel en véritable source de frustration.
De même, la Cour de Cassation italienne a récemment confirmé qu’en matière de vacances gâchées, à défaut de la pleine jouissance du voyage organisé en tant qu’occasion de détente et de plaisir, l’opérateur sera tenu à vous indemniser, à condition néanmoins que le dommage subi soit bien documenté et que la contestation intervienne dans le délai de prescriptions applicable (Corte di Cassazione, arrêt n. 5271/2023 du 20 février 2023). Par exemple, l’indemnisation du préjudice moral a été reconnue à deux époux dont la lune de miel avait été gâchée par le manquement du voyagiste à obtenir le visa pour tous les deux (Corte di Cassazione, arrêt n. 25410 du 12/11/2013). Cela parce que dans le cadre d’un voyage de noces, le refus d’entrée dans le pays de destination opposé à l’un des époux a compromis l’objectif principal du séjour, à savoir la possibilité pour le couple de profiter ensemble des vacances.
Cela étant dit, conformément aux principes généraux du droit civil, aux fins de l’indemnisation il faut également que l’inexécution contestée soit sérieuse et matérielle, selon une appréciation au cas par cas.
Vacances gâchées, mais pas démontré : quand les juges se placent du côté des opérateurs de tourisme
En effet, si le consommateur n’a pas suffisamment prouvé le préjudice subi, les juges pourront rejeter sa demande. C’est ce qu’il est récemment arrivé à un voyageur qui, privé de ses bagages au départ d’une croisière, n’a pu participer aux activités prévues et a dû engager des dépenses imprévues.
L’indemnisation, précisent les juges, suppose une inexécution non négligeable, c’est-à-dire dépassant un seuil minimal de tolérance, à apprécier au cas par cas (Tribunale civile di Siracusa, arrêt n. 365 du 15 février 2024). De plus, considèrent les juges en ce cas, les dépenses engagées pour l’achat de biens de remplacement ne sont pas indemnisables à titre de préjudice patrimonial lorsque le voyageur a ensuite récupéré ses effets personnels, ou lorsque les biens achetés ne peuvent être considérés comme usuels et nécessaires à la réalisation du séjour.
De même, aucune indemnisation ne sera due par un voyagiste ayant donné toute information utile concernant le voyage à forfait, même en cas de voyages de noces. Ainsi, les juges de fond ont rejeté la demande de deux époux ayant passé leur voyage de noces dans de mauvaises conditions météorologiques au Japon et en Nouvelle-Calédonie, entre décembre et janvier (Tribunale di Roma, arrêt n° 14497 du 16 septembre 2021). Le tribunal a notamment estimé que les époux avaient été suffisamment informés des conditions climatiques prévisibles à cette période. Le mauvais temps, bien que regrettable, ne saurait être imputé à l’organisateur du voyage ni constituer un cas de force majeure justifiant un remboursement partiel.
Le voyageur est donc responsabilisé et il lui appartient de documenter l’existence et l’ampleur du préjudice, ainsi que de se documenter préalablement sur le pays de destination.
Un équilibre dynamique et en évolution
L’évolution de la jurisprudence de l’Union européenne en matière de vacances gâchées témoigne d’une volonté croissante de reconnaître la dimension immatérielle du préjudice subi par les consommateurs à évaluer au cas par cas. Toutefois, cette ouverture ne signifie pas un abandon des cadres juridiques traditionnels : les principes classiques du droit des obligations, tels que la preuve du préjudice, le lien de causalité et les délais de prescription, continuent de s’appliquer avec rigueur.
Une avancée donc, mais encadrée - pour garantir à la fois la protection des voyageurs et la sécurité juridique des professionnels du secteur et la responsabilisation des consommateurs.
Irene Malusa

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