Difficile de se projeter dans l'avenir. Après une année pleine d’incertitudes, examinons le marché du travail en Espagne. Quelle est la situation actuelle de l’emploi et quelles sont les perspectives à court et moyen terme ? Enquête sur les secteurs les plus porteurs, les régions les plus actives et les qualifications demandées.
L'année dernière a marqué sans aucun doute un avant et un après pour le marché du travail en Espagne avec trois éléments fondamentaux : l'arrêt de l'activité dans tous les secteurs qui n'étaient pas essentiels, l'imposition du télétravail même pour les entreprises dans lesquelles c'était leur première expérience dans cette modalité et les changements dans les protocoles de sécurité et de prévention à presque tous les niveaux.
Et c’est pour cette raison qu’il est intéressant d’analyser la XXIVème édition du Rapport Infoempleo Adecco sur l’offre et la demande d'emploi en Espagne, qui constitue au travers de ses 225 pages, une radiographie complète de la situation de l'emploi en Espagne. Pour ce rapport, plus de 242 000 offres d'emploi publiées au cours de l'année écoulée ont été analysées et une enquête quantitative et qualitative a été menée auprès des entreprises et et des professionnels des RH entre le 12 avril et le 13 mai 2021.
4 licenciements sur 10 liés au Covid en Espagne
L'Organisation Internationale du Travail (OIT) estime que 255 millions d'emplois ont été perdus dans le monde à cause de Covid-19. En Espagne, les effets de la pandémie ont été ressentis avec une grande virulence sur le marché du travail, avec plus de 2 millions d'emplois détruits. Ainsi, la pandémie est à l'origine de 4 licenciements sur 10 en 2020 et la capacité des entreprises espagnoles à générer des offres d'emploi a chuté de 41,9% en Espagne, un pourcentage d’autant plus tragique qu’elles avaient enchaîné huit années consécutives de hausse.
Cependant, tout n'a pas été négatif. Selon les experts, l'année dernière a supposé un tournant pour le marché du travail en Espagne. En effet, deux éléments importants sont apparus au cours de cette crise, et sont susceptibles de demeurer dans l'écosystème entrepreneurial: le travail hybride (combinant travail à distance et travail présentiel), et l'accélération de la transformation numérique.
2020, l’année de tous les défis
Ainsi, la pandémie a contraint les entreprises à innover et à adapter leurs processus de travail dans un délai très court, afin de pouvoir continuer à offrir leurs services malgré les restrictions de mobilité. La technologie est devenue dans de nombreux cas le meilleur allié pour surmonter les défis qui se présentent, notamment dans les petites et moyennes entreprises. Beaucoup d'entre elles ont dû accélérer leur transformation numérique pour survivre. Un processus d'apprentissage qui les a aidées, de manière générale, à être plus flexibles, à mieux s'adapter à ce contexte d'incertitude et apprendre à tirer parti des opportunités que chaque crise apporte avec elle.
4 entreprises espagnoles sur 10 vont embaucher
Cette année constitue donc celle du retour à une normalité qui ne sera peut-être plus jamais la même qu'avant la pandémie. La fin de l'état d'alerte, la campagne de vaccination, l'arrivée de la première aide européenne des fonds Next Generation et la relance lente mais sûre du tourisme invitent à un peu plus d’optimisme. D’ailleurs, selon ce rapport, 4 entreprises sur 10 prévoient déjà d'embaucher du personnel au cours des prochains mois.
Pénurie de professionnels qualifiés
Les entreprises restent cependant prudentes lorsqu'il s'agit de faire des prévisions pour les mois à venir. Ainsi, 25,8% affirment qu'elles continueront à procéder ce semestre à des licenciements, et 23,5% à faire des réductions de salaire. Elles craignent principalement que la consommation ne soit pas réactivée (47%), et qu'il y ait de nouvelles épidémies qui entraîneraient de nouveaux confinements (41,7%). Elles redoutent également que l'augmentation des coûts (31,7%) et les changements d'habitudes et de goûts des clients (29,4%) ne les empêchent de se récupérer.
Enfin, il est intéressant de relever que, s'il y a un an, la plus grande crainte des entreprises était l’incertitude sur les conséquences de la pandémie, aujourd'hui beaucoup voient de manière plus généralisée le mauvais état de l'économie, mais aussi les difficultés à obtenir les profils qualifiés dont le marché du travail a réellement besoin (34,7% ; +7,4 points).
Cette attitude pessimiste des entreprises contraste avec les bonnes prévisions lancées tant par le gouvernement que par la Banque d'Espagne et la Commission européenne, qui indiquent qu'au cours du second semestre 2021 commencera la reprise de l'économie espagnole, pour atteindre les niveaux pré-pandémiques en 2022. En revanche, d’autres organisations, comme l'OCDE, reportent la fin de la reprise au deuxième trimestre de 2023.
Flexibilité sur le lieu de travail : mythe ou réalité ?
La pandémie a mis en évidence le fait que les modèles de travail rigides ne sont plus valables à l'ère du travail dit "intelligent". La possibilité de travailler à distance a ouvert un nouveau monde pour de nombreux employés, qui réclament désormais de nouveaux moyens plus souples de concilier vie professionnelle et vie familiale.
Mais ces changements impliqueraient de leur donner une plus grande autonomie sur leurs horaires, ce que de nombreuses entreprises ont jusqu'à présent refusé de faire. D’ailleurs, la majorité des entreprises (51,7%) déclarent qu'elles ne maintiendront pas ce mode de travail une fois la crise sanitaire passée. Le télétravail est généralement considéré comme une solution temporaire.
Cependant, quelque chose est en train de changer. Parmi les entreprises interrogées, 55% estiment que proposer des horaires de travail flexibles pourrait être l'une des mesures les plus efficaces pour sortir de la crise et améliorer leur compétitivité. Par ailleurs, 46,4% estiment que le fait d'offrir la possibilité de télétravail est également une bonne mesure, de même que la modification des conditions de travail (29,4%) et la rémunération variable (24,7%). De leur côté, 57,6% des travailleurs souhaitent continuer à télétravailler et ils préfèrent un modèle hybride qui combine les deux options.
La semaine de 4 jours ressurgit
La pandémie a également ravivé l'intérêt pour la mise en œuvre de la semaine de quatre jours. Il y a quelques mois, le gouvernement a même proposé un projet pilote de trois ans destiné à aider les entreprises à effectuer cette transition. Mais 61,7% des entreprises ne considèrent pas cette option comme viable. La raison est principalement le manque de bénéfices pour maintenir les salaires avec de meilleurs horaires de travail. Cette opinion se heurte frontalement aux aspirations des salariés puisque 56,3% d'entre eux pensent qu’il est possible de réduire la semaine de travail tout en maintenant les salaires.
Madrid, Catalogne, Pays Basque... Une offre très concentrée
L'un des traits caractéristiques de l'offre d'emploi en Espagne est son degré de concentration régionale. Ainsi, Madrid, la Catalogne et le Pays basque génèrent à elles seules le plus d'emplois. Au cours de l'année écoulée, ces trois communautés autonomes ont concentré 55,9% de l'offre totale, mais avec une tendance à la baisse puisqu’elles représentaient 60,3% en 2019.
Plus largement, Madrid, la Catalogne, le Pays basque, l'Andalousie et Valence se partagent sept emplois sur dix créés en Espagne. La Communauté de Madrid arrive en première position, avec 24% du total, la Catalogne est deuxième (21,2%) et le Pays basque, troisième (10,6%). Cependant, certaines communautés autonomes sont de plus en plus actives et les plus favorisées par ce changement de tendance sont l'Andalousie, qui a grimpé à la quatrième place du classement, réussissant à prendre 9,8% des parts du marché national. Viennent ensuite Castilla y León et Castilla-La Mancha, qui sont celles qui ont le plus augmenté leur offre d’emplois. La Communauté de Valence reste à la cinquième place, avec 6,9% des offres.
Santé !
La pandémie a également eu un impact sur les secteurs qui offrent le plus d’emplois. Ainsi, le commerce et la distribution (9,5%; +2 points) est celui qui a généré le plus d'offres d'emploi. En deuxième position, on trouve le secteur industriel, qui représente 8,2% des offres, soit deux points et demi de plus qu'en 2019, et en troisième position, le secteur de la santé, qui a progressé de plus de cinq points, se plaçant à 7,8%. Le secteur de l'éducation (5,3%) et le transport de marchandises et la logistique (5,2%) ont également connu des augmentations significatives. Comme on pouvait l’imaginer, le revers de la médaille est le secteur de l'hôtellerie et du tourisme qui a enregistré la plus forte baisse. Il occupait normalement la tête du classement sectoriel avec 12,4% de l'offre totale, et est passé à 4,8% en 2020.
Il est important de signaler aussi que seulement 5,2% des entreprises interrogées ont déclaré avoir augmenté leur activité l’an passé et restent clairement optimistes pour les mois à venir. Il s’agit principalement d’entreprises du secteur de la logistique et des transports, de la santé et des services sociaux, des TIC, de l'alimentation et des boissons ou de l'agriculture.
On retrouve d’ailleurs cette tendance en analysant la répartition fonctionnelle de l'emploi: Ainsi, la fonction productive a dominé le marché du travail espagnol (20,7%), en particulier les activités liées à l'achat, à la logistique et à la distribution de marchandises (17,7%) grâce à l'essor du commerce électronique. La hausse la plus importante concerne le service à la clientèle (+7,6 p.p.), un département qui a été essentiel pour les entreprises au cours de ces mois.
Que cherchent les RH ?
Selon les responsables de Ressources Humaines, les métiers qui seront les plus demandés dans les deux prochaines années sont ceux relatifs au commerce et à la vente (33,53%), service clientèle (21,18%); TIC (20,50%; ingénierie et production (18,24%), administration (15,88%); marketing et communication (14,71%); Big data (12,35%); achats, logistique, transport (8,24%); qualité, I+D, environnement (5,88%); droit (3,53%); design (2,35%); autres (1,18%).