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Mujeres Avenir: "La violence faite aux femmes, c'est l'autre pandémie"

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Julia Robles
Écrit par
Publié le 26 novembre 2020, mis à jour le 27 novembre 2020

Mercredi 25 novembre, à l'occasion de la Journée internationale pour l'élimination de la violence à l'égard des femmes, l'association d'amitié hispano-française Mujeres Avenir organisait comme chaque année à cette date un débat, intitulé en cette édition : "Perspective et réponse politique et judiciaire à la violence de genre en 2020".

 

Les débats introduits par la Présidente de l'association, Maria Luisa de Contès, modérés par la Coordinatrice contre la violence de genre au sein du ministère espagnol des Affaires étrangères, ont réuni autour de la table quatre femmes, deux Françaises et deux Espagnoles : Mariel Garrigos, magistrate de liaison entre la France et l'Espagne, Marie-Christine Lang, Consule générale de France à Madrid, Maria Celsa Nuño Garcia, du ministère espagnol des Affaires extérieures et Carmen Delgado, magistrate.


La date est donc marquée au fer rouge dans le calendrier de l'association, qui œuvre dans le cadre de l'amitié entre la France et l'Espagne, avec comme mot d'ordre de s'inspirer des bonnes pratiques développées de part et d'autre des Pyrénées. Le 25 Novembre constitue ainsi l'occasion de rappeler qu'en matière de violence de genre, l'Espagne constitue un modèle pour la France, avec un arsenal législatif précurseur, élaboré dès 2004, et ayant inspiré une partie des mesures appliquées en France. Mais surtout, la date constitue un triste anniversaire dont on aimerait bien se passer mais qui, année après année, se révèle toujours nécessaire, avec des chiffres qui montrent que non seulement à l'échelle mondiale la violence faite aux femmes perdure, mais qu'au sein même de nos sociétés espagnoles et françaises, elle continue à bénéficier d'une inadmissible tolérance sociale. 

 

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Photo Julia Robles

 

71 féminicides en France et 41 en Espagne, en 2020

Une fois n'est pas coutume, c'est au sein de l'amphithéâtre de l'Ecole espagnole de Diplomatie que la cérémonie a cette année été accueillie, devant 45 invités triés sur le volet, pour un débat courageux, maintenu envers et contre tout, en dépit, même, des mesures de distancement social. Si les femmes avenir ne sont pas du genre à rester confinées dans l'inégalité, elles n'auront pas manqué de dénoncer les effets du confinement sur la violence de genre. De fait en 2020, les 71 féminicides en France et 41 meurtres enregistrés en Espagne ne représentent que la partie émergée de l'iceberg, avec toutes les nuances que le harcèlement moral, physique ou sexuel exercé au sein de la relation de couple peut comporter, et surtout le caractère presque toujours invisible qu'il revêt. Ce qui se passe au sein du couple reste en général au sein du couple : il a fallu une véritable révolution pour qu'il soit considéré que la violence de genre effectuée dans la sphère privée devait être sortie au grand jour et traitée comme une affaire publique.

Le confinement a vu décroître tous les indicateurs de la violence domestique faite aux femmes : baisse des plaintes, baisse des condamnations, baisse des mesures de protection accordées aux victimes. Parallèlement, le nombre d'appels reçus par les numéros d'assistance aux victimes, à l'instar du 016, ont explosé. "La violence continue, mais silencieuse", a expliqué Carmen Delgado. La magistrate a détaillé des chiffres qui font froid dans le dos, car ils illustrent l'entonnoir administratif et judiciaire du traitement de la violence faite aux femmes : la violence sexuelle hors du couple n'est ainsi dénoncée que dans... 11,1% des cas ! Au sein du couple, dans 32,1% des cas. Les chiffres sont faibles. Plus encore quand on sait que seules 30% des plaintes font l'objet d'un procès. Et que dans le cadre de ces procès, seules 70% des sentences sont condamnatoires (contre 82% sur l'ensemble des délits traités par les tribunaux). Le constat est donc simple : la violence faite aux femmes se dénonce peu, elle se condamne encore moins. Les plaintes sont régulièrement retirées par les victimes, les tribunaux manquent souvent d'arguments -ou d'appréciation- pour condamner les auteurs. Ces donnés, tirées des statistiques espagnoles, ne sont pas démenties par les observations faites en France. Cette dernière s'inspire en matière de la lutte contre la violence faite aux femmes, de l'Espagne, "un modèle pour son dispositif", a déclaré Mariel Garrigos.

De fait, la lutte contre les inégalités fait partie des priorités de la présidence française et cette "grande cause nationale" s'accompagne d'une série de mesures, visant à lutter contre les violences sexuelles et sexistes. Voilà un an désormais se tenait en France le Grenelle des violences conjugales, duquel est né toute une série de propositions pour les combattre. La loi adoptée sur la question en juillet dernier reprend certaines de ces propositions, renforçant les moyens d'action des procureurs, ainsi que les dispositifs de répression. L'introduction peut être la plus emblématique de cette loi concerne l'assouplissement du secret médical, qui était régulièrement opposés par les professionnels quand il s'agissait de dénoncer les cas où ils pouvaient soupçonner l'existence d'une telle violence. Parmi toute une série de mesures, une autre nouveauté est directement inspirée par les pratiques "de la grande sœur espagnole" : il s'agit du bracelet anti-rapprochement, dont l'usage devrait d'ici la fin d'année être étendu à l'ensemble du territoire français. "Il y a encore un véritable effort à faire au niveau des délais d'exécution des peines" a estimé Mariel Garrigos concernant la situation dans l'Hexagone. Elle a en outre rappelé que sur dans 70% des cas d'homicides conjugaux enregistrés en 2020, les victimes n'avaient jamais déposé de plainte, ni de main courante, preuve d'un certain dysfonctionnement dans la relation entre les autorités et les victimes.

 

Quand c'est la femme expatriée, la victime de violence de genre

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Photo Julia Robles

La violence de genre ne connaît pas de frontières et l'Etat espagnol, précurseur dans sa lutte contre ce fléau, assure via la politique de son ministère des Affaires étrangères, le rayonnement de ses convictions bien au-delà de la Péninsule. "Nous avons une action clairement féministe", a confirmé Maria Celsa Nuño Garcia, qui a détaillé au cours de son intervention les directives assumées en la matière par le ministère, tant par son action en interne qu'en externe. La politique de coopération et d'aide humanitaire, visant à soutenir les populations les plus vulnérables, priorise ainsi l'aide aux projets qui incluent la perspective de genre dans leur action. Marie Christine Lang, Consule générale de France à Madrid a elle aussi évoqué l'action du réseau diplomatique dans le cadre de la lutte contre la violence faite aux femmes, en développant les initiatives prises par le MEAE français. Parmi elles, on retiendra la mise en place depuis 2017 à Madrid d'un groupe de réflexion sur la violence de genre, en coordination avec les associations, les professionnels de la santé et les avocats, le tout en bonne intelligence avec les autorités locales. "Il est essentiel que la femme expatriée victime de violence de genre ne soit pas seule", a déclaré la Consule, qui a mis en relief la condition d'extrême vulnérabilité de ces victimes, souvent éloignées de leur familles, parfois isolées dans un pays où elles ne contrôlent pas toujours ni la langue, ni les us et coutumes. "Le réseau des consuls honoraires, des conseillers consulaires, des chefs d'établissements et des associations nous aide à faire remonter les alertes", a-t-elle précisé. Ce n'est sûrement pas de trop. Les (mauvais) chiffres de l'entonnoir administratif espagnol concernant la violence de genre ne peuvent malheureusement être que plus accentués, s'agissant de ressortissantes étrangères.


"Le confinement nous a permis de dresser un constat tragique", a estimé Mariel Garrigos : "il y a beaucoup de femmes qui vivent en état de confinement continu, pour qui chaque week-ens seules avec leur conjoint est un nouveau confinement à passer". 

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