Le funambule français Philippe Petit réalisa, en 1974, un des plus grands exploits humains connus. Il traversa, 8 fois, sur un fil, à New-York, la distance entre les deux tours du World Trade Center (412 mètres de hauteur et 110 étages). Comme disait la publicité de l´époque, 100 mètres de plus que la tour Eiffel ! Philippe Petit, âgé de 66 ans, mais toujours actif, est venu à Madrid, à l´occasion de la sortie du film sur sa vie, "El desafío", réalisé par Robert Zemeckis ("Forrest Gump"), une histoire spectaculaire non apte pour ceux qui souffrent du vertige.
Un rebelle sur un fil
Dans le décor incomparable et imposant de la Torre Picasso a lieu la conférence de presse de Philippe Petit (photo lepetitjournal.com). La Tour Picasso, 156 mètres, a été créée par Minoru Yamasaki, également architecte du World Trade Center new-yorkais. A l´intérieur de la belle et lumineuse "Sony Pictures Film Theater", la salle de cinéma vitrée la plus haute du monde, construite à l´occasion de la projection de "El desafío" [The Walk : Rêver plus haut] où, pendant quelques semaines, les spectateurs pourront voir le film, se déroule la rencontre avec ce "poète du ciel". Sympathique et humble, Philippe Petit évoque, dans un espagnol courant (il maîtrise 8 langues) ses exploits. "La création ne se fait pas sans révolte" déclare-t-il, en allusion aux motivations qui le poussent à faire ses "crimes artistiques", comme il les appelle. Sa révolte est contre la condition humaine ("trop attachée au sol"), contre les règles, contre l´école, contre les parents. A ce sujet, Petit raconte que durant une grande partie de sa vie, il a senti qu´il n´avait pas de parents parce que ceux-ci n´approuvaient pas ce qu´il faisait. "Mon père travaillait dans l´armée et il n´acceptait pas d´avoir un fils jongleur, funambule, qui faisait du spectacle dans les rues de Paris. Il avait honte" explique-t-il. C´est seulement à la fin de sa vie, que Petit s´est réconcilié avec son père. Son esprit de rébellion a commencé dès l´âge de 5 ans : "Pour m´éloigner des règles, je montais sur les tables, sur les arbres, sur les rochers et finalement sur un fil !". Avec son besoin de s´échapper "du troupeau", qu´il ressent comme une seconde nature, Petit explique qu´il a une personnalité très ouverte et très heureuse et qu´il ne peut pas exister sans cette joie de vivre qu´il ressent quand il est sur un fil. "Quand j´ai traversé les deux tours, mon sentiment principal était le bonheur et après l´extase", souligne-t-il, pour ajouter ensuite "Je n´avais pas peur, ce n´était pas un défi". "Je n´ai jamais eu peur face à un de mes projets. Je ne me suis jamais arrêté et je ne vais pas le faire maintenant. Tant que je pourrai physiquement, je ne vais jamais cesser de marcher dans les nuages !" s'exclame-t-il.
L´exploit du World Trade Center
45 minutes de spectacle, 8 traversées, plus de 6 ans de préparation?L´exploit du héros français qui avait déjà, avant 1974, fait la traversée-spectacle entre les deux tours de Notre-Dame (épisode qu´on voit dans le film) est un des moments les plus intenses de la vie professionnelle de Petit. Avec une concentration qu´il a expliqué être très personnelle, une sorte d´amalgame entre le c?ur, le corps et l´âme qu´il a su développer pour marcher sur le fil, le funambule explique qu´il est fondamental de ne pas laisser de côté le monde : "Ma concentration est très spéciale, fermée mais en même temps, ouverte au monde. Autrement, si on abandonne ce-dernier, quand on est sur le fil, c´est très dangereux". Sur la partie technique de ses 8 traversées, Philippe Petit commente que la première fut très contrôlée et que "c´est uniquement à partir de la seconde ou de la troisième que le spectacle a commencé". Une performance qui se réalisa sans la permission des autorités new-yorkaises et qui lui valut une arrestation mais aussi la renommée et l´admiration de la plupart des gens. Sur ses sensations, Petit dit qu´il avait l´impression d´explorer un autre monde quand il glissait sur le fil et aussi de se transformer en un animal à mi-chemin entre l´homme et l´oiseau. Dans le film de Zemeckis, lors des images de la traversée, le spectateur a l´impression de suivre Petit sur le fil jusqu´à la dernière seconde. A ce sujet, Petit déclare que "pour être artiste, il est important d´être humble parce que quand il se sent invincible, c´est alors que la mort le traque. Je sens l´humilité et je la porte en moi, toujours".
Les projets de Philippe Petit
Malgré ses 66 ans, Philippe Petit se sent toujours jeune. Parmi ses projets, il aimerait pouvoir faire une traversée entre les Tours Kio de la capitale espagnole ou une autre à las Ventas, la place de taureaux madrilène (il adore la tauromachie). Et de rire en disant qu´il faut déjà commencer à parler avec le maire de Madrid pour obtenir les autorisations pertinentes. "Malheureusement, on dit trop souvent ?non' aux artistes. C´est une gangrène moderne et c´est notre devoir de changer les ?non' en ?oui'. C´est ma façon de lutter contre les règles et les impositions" souligne Petit. Ce "jeune" de 66 ans, voyage toujours partout dans le monde en cherchant "des possibilités" car un artiste, d´après lui, doit continuellement créer et parce que "la créativité est le crime parfait". Actuellement, Petit continue aussi à travailler, de temps en temps, comme jongleur et il monte toujours sur son célèbre monocycle. Le seul aspect "triste" qu´il énonce est lié au manque de disciples. Lui, un autodidacte, aurait aimé transmettre ses connaissances mais, comme il le regrette, "les jeunes préfèrent faire du mime avant de devenir funambule". L´artiste a reconnu que la vie de funambule est dure : "il n´y a pas seulement le spectacle, le fait de se glisser sur le fil fier comme un toréador, mais tout un travail dur et technique de comment mettre le fil, les ancrages?". Néanmoins, il n´abandonne pas son rêve de créer une école ou une fondation des Arts du Théâtre. "Ma vie n´est pas faite de défis, mais de rêves" conclut le "poète du ciel".
Le film "El desafío" ("The walk") sort en Espagne le 25 décembre (le film est parlé en anglais et français).
Pour en savoir plus sur Philippe Petit :
Voir "Le Funambule", documentaire réalisé en 2008 par James Marsh (Oscar 2009 du meilleur film documentaire) d'après l'?uvre de Philippe Petit To Reach the Clouds: My High Wire Walk Between the Twin Towers. L´ouvrage en espagnol est intitulé "El desafío" (édition: Duomo Nefelibata)
Principales traversées de Philippe Petit dans le monde :
1971 : Cathédrale Notre-Dame de Paris (illégal)
1974 : World Trade Center de New-York (illégal)
1983 : Centre Georges Pompidou, Paris
1986 : Lincoln Center de New-York
1989 : Tour Eiffel, Paris
1996 : Cathédrale Saint-John le Divin, New York
2002 : Crossing Broadway, New York
Carmen PINEDA (www.lepetitjournal.com - Espagne) Vendredi 18 décembre 2015
