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La casserolade : une pratique française en temps de confinement

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Écrit par Quentin Gallet
Publié le 19 mai 2020, mis à jour le 18 février 2021

Vendredi 15 mai, 21h. Madrid célèbre son patron, saint Isidore, dans une ambiance très particulière due au confinement. Pas de fête, pas de danse mais un concert de casseroles grandeur nature. Le métal hurle dans les rues de la capitale. Petite casserole, marmite, couvercles, cuillère en bois, louche en métal.   

Peu avant, le gouvernement de Pedro Sanchez a annoncé que Madrid (comme Barcelone) ne passerait pas à la phase 1 à l’issue du week-end (ce qui aurait permis la réouverture partielle des terrasses et des réunions de proches jusqu’à dix personnes). Après deux mois d’un confinement parmi les plus stricts d’Europe, certains habitants n’y tiennent plus et laissent éclater leur mécontentement, tapant sur des casseroles. D’où vient cette pratique et que symbolise-t-elle ? 


Les casserolades des républicains français

Taper sur une casserole ou tout autre objet pouvant faire du bruit est une pratique fort ancienne. On pense aux fêtes populaires romaines mais aussi aux charivaris de la France médiévale. Ces derniers sont de véritables concerts de casserole donnés par des villageois si un veuf se remariait avec une jeune fille par exemple. Le vacarme, partie d’une rituel plus vaste, vise alors à humilier le couple en punition d’un acte que la communauté juge répréhensible. 
Mais c’est dans la France du XIXe siècle, sous la Monarchie de Juillet, que cette pratique ancestrale est revivifiée et qu’elle prend sa symbolique politique moderne. Les casserolades sont alors dirigées contre la monarchie constitutionnelle du roi Louis Philippe Ier. Cette méthode infamante sera utilisée contre d’autres personnalités politiques de cette époque comme Adolphe Thiers, accusé d’avoir trahi la Révolution.  

Plus proche de nous, les concerts de casseroles ont notamment eu lieu au Chili, au lendemain du coup d’Etat de Pinochet. En Europe, la casserole était un des accessoires de la panoplie des Indignés espagnols, l’important mouvement social née sur la Puerta del Sol en 2011, de même que celle des détracteurs de François Fillon pendant la dernière campagne présidentielle. Là, le recours à la casserole est une claire allusion aux affaires en cours.  


Taper contre la Couronne

Rappelons-nous. C’était le 18 mars dernier. Le roi Philippe VI apparait à la télévision sur fond de crise sanitaire bien sûr mais aussi dans le cadre d’une affaire de possibles malversations financières en relation avec la Couronne, et particulièrement le roi émérite Juan Carlos Ier.

Des bruits de casseroles se font alors entendre. En effet, diverses personnalités politiques avaient appelé les citoyens espagnols à manifester leur réprobation à l’encontre des pratiques du père et prédécesseur de l’actuel monarque. 
Ce concert de casserole, orchestré principalement par républicains et indépendantistes, renouait alors avec ce qu’il avait été en France au XIXe siècle. où les tambourinades étaient destinées au roi mais surtout à la monarchie et à ses dérives supposées ou avérées. 

 


Taper contre le gouvernement

Cette manifestation contre le roi n’a toutefois pas fait long feu, dévorée par l’actualité quasi-unique du Covid-19 et ses ravages en Europe et dans le monde. Au fil des semaines, l’Espagne  est devenu un des pays comptant le plus de morts. 

Le confinement très strict mis en place est contraignant mais le peuple s’y plie volontiers les premières semaines, comprenant là qu’il s’agit du seul moyen disponible pour limiter l’hécatombe. Certes, il y a bien quelques casserolades ici ou là (notamment contre le vice-président Pablo Iglesias qui passe outre le confinement pour se rendre à des réunions et en conférence de presse) mais elles demeurent sporadiques. 

En revanche, depuis fin avril, les concerts de casseroles se font plus soutenus. En particulier à Madrid, mais pas seulement. Initialement limitées à des tambourinades depuis les balcons et fenêtres, de petits rassemblements ont commencé à se former dans les rues, ce qui n’est pas autorisé par l’Etat d’alarme en vigueur depuis la mi-mars. L’agglomération la plus importante est située rue Nuñez de Balboa qui, depuis le week-end du 9-10 mai semble être "l’épicentre" de la contestation contre l’exécutif espagnol au moyen, justement, d’intenses casserolades. 

Ces manifestations sont, pour le moment, modestes. Les participants sont parfois enroulés dans des drapeaux espagnols et presque tous portent des masques. En supplément des casserolades, des slogans sont hostiles au gouvernement Sanchez, jeune coalition désignée par ses détracteurs comme "socialo-communiste". 


La fin des applaudissements : voici venu l’ère des casseroles ?

La manifestation de la rue Nuñez de Balboa, nichée dans un quartier très cossu, a entraîné immédiatement des réactions. Ainsi Unidas Podemos par la voix de Pablo Echenique a ironiquement raillé une casserolade de "Cayetanos" (prénom socialement connoté, équivalent de notre "Charles-Henri"). 

Les partis de droite, le PP madrilène en tête, ont fait remarquer que tant que les casserolades restaient dans le cadre de la loi d’exception, elles faisaient partie de la vie démocratique normale et de la liberté d’expression. A noter que les partis de gauche et les indépendantistes avaient usé des mêmes arguments au moment des concerts de casseroles contre la Couronne. 

D’autant plus que les casserolades seraient peut être en passe de remplacer les traditionnels applaudissements de 20h. Ces dernières semaines et singulièrement ces derniers jours, ceux-ci se faisaient de plus en plus timides. On était loin des tonnerres d’applaudissements de mars et avril quand chaque soir, les habitants ouvraient à la hâte leurs fenêtres tout à la fois pour rendre hommage aux personnels soignants, aux chargés d’entretiens, aux caissiers et pour profiter d’un soupçon de vie sociale en saluant des voisins qu’ils ne connaissaient pas quelques semaines auparavant. 

Mais cet élan s’est étiolé au long de ses deux mois. Comme pour tirer le bouquet final, les réseaux sociaux ont transmis le message de produire dimanche 17 mai un ultime grand applaudissement pour les travailleurs et travailleuses qui ont combattu le virus, parfois en y laissant leur propre vie. 

Ce sera peut être le début de la fin d’un temps de patience et de soutien pour entrer dans celui de la contestation ouverte et bruyante : l’ère de casseroles.