Septembre 1522 - Presque trois ans jour pour jour après avoir quitté l’Espagne, la Victoria accoste à Sanlúcar de Barrameda. A son bord, son capitaine Juan Sebastián Elcano est alors le premier homme à avoir réalisé un tour du monde complet. Injustement méconnu, Elcano est celui qui prend la relève du grand Magellan pour achever cette folle expédition qui marqua l’histoire du monde.
Les grandes découvertes espagnoles
1519 est une bonne année pour le royaume d’Espagne. Son monarque, Charles Ier, petit fils des Rois Catholiques et choisi pour ceindre la couronne impériale. Il reçoit alors le nom avec lequel il passera à la postérité : Charles Quint.
L’époque est aux grandes découvertes et aux expéditions les plus audacieuses, dans le cadre plus général d’une compétition acharnée avec la couronne portugaise. Une trentaine d’années auparavant, les voyages de Christophe Colomb vers l’Amérique ont fait passer la rivalité dans une nouvelle dimension.
En 1519 donc, Magellan, navigateur portugais convaincu de la rotondité de la terre, parvient à convaincre Charles Quint de participer financièrement à une folle expédition : il lui annonce pouvoir rejoindre les riches îles Moluques (actuelle Indonésie) en contournant le continent américain par le sud. Dans la foulée, cinq navires partent de Séville: la Trinidad, le San Antonio, le Santiago, la Concepción et la Victoria. Des victuailles en nombre y sont chargées et deux-cent-quarante hommes d’équipage sont recrutés sur place. Parmi eux, Juan Sebastián Elcano.
Juan Sebastián Elcano, le basque aventureux
Elcano est un pêcheur du Pays Basque. Son activité doit être prospère car il est en mesure de s’acheter un navire de deux-cents tonneaux. Avec ce dernier, il peut s’engager dans les expéditions militaires du cardinal Cisneros, en 1509, qui verront les conquêtes d’Alger et de Tripoli, et participe aux guerres d’Italie. A son retour en Espagne, Elcano s’attire des ennuis en contractant des dettes et est contraint de mener une vie d’errance qui le conduit à Séville, ville fourmillant de projets de grand large en cette fin d’années 1510. Le Basque y rencontre le fameux Magellan qui en fait le contremaître de la Concepción pour son expédition de 1519 validée par l’empereur.
L’ancre est levée en septembre. Après une escale aux Canaries, Magellan descend la côté africaine avant de mettre le cap à l’ouest pour traverser l’Atlantique. Pendant l’hiver, alors que les cinq navires se trouvent près des côtes de Patagonie, une mutinerie éclate. Elcano fait alors partie des rebelles mais parvient à se faire oublier quand Magellan rétablit la situation et que les meneurs sont punis.
En octobre 1520, Magellan finit par trouver l’accès à la "mer du sud" (comme on disait alors), l’océan Pacifique, en passant par le Détroit qui portera son nom. Toutefois, après la joie, le dépit. On ignorait les dimensions gigantesques de l’océan Pacifique. Pendant trois mois ils ne virent terre, alors que le scorbut faisait des ravages dans un équipage contraint de se nourrir de vers, de rats et de cuir.
En mars de l’année suivante, les premières îles sont en vue. Il s’agit des Mariannes, qu’ils baptisèrent "Iles des Voleurs", suite à une mésaventure avec des autochtones qui ont dérobé un navire.
Terminer le périple de Magellan
En Océanie, Magellan se mit à vouloir nouer des alliances avec les habitants, tentant de jouer les unes contre les autres, dans le but d’obtenir les richesses des îles. Le navigateur périt dans une escarmouche en avril 1521. Par un concours de circonstances, alors qu’il n’est pas le choix le plus évident, le commandement de ce qu’il reste de l’expédition échoit à Juan Sebastián Elcano. A ce moment-là, seuls trois navires sont encore en état de flotter mais seuls deux peuvent fonctionner avec les marins restants. Le 8 novembre 1521 ils arrivent aux Moluques, la destination annoncée par Magellan à Charles Quint. Ces îles sont riches en épices et Elcano en profite pour faire du troc mais aussi pour tisser des liens, avec succès cette fois, avec les indigènes.
Seulement, les Portugais voient d’un très mauvais œil la présence des navires espagnols dans ce qu’ils considèrent être leur pré carré. Avant que cela ne débouche sur un véritable conflit, Elcano, commandant de la Victoria, prend la direction de l’Espagne par l’océan Indien : aller par l’Ouest et non par le Détroit de Magellan d’où l'expédition est venue. Pour échapper aux navires portugais, l’idée est de rentrer à Séville sans faire d’escale où les marins espagnols seraient vulnérables.
Il s’agit d’une entreprise très périlleuse : il y a 30.000 km qui séparent la Victoria de Séville. Elcano prend tous les risques en s’éloignant des côtes indiennes surveillées par les Portugais. Les conditions de traversée sont terribles : le scorbut est là, la nourriture qui se raréfie et le bateau prend l’eau. Après des semaines d’une bataille acharnée contre les éléments, la navire espagnol finit par passer le cap de Bonne Espérance. Ensuite, la remontée de la côté ouest africaine se transforme en chemin de croix : la chaleur y est étouffante au fur et à mesure qu’ils approchent de l’Equateur. Une vingtaine d’hommes est victime des âpres conditions de navigation. Le bateau prend toujours l’eau et lorsque le riz vint à manquer, pour avoir une chance d’atteindre l’Espagne, le commandant décide de faire escale au Cap Vert portugais. Pour obtenir des victuailles, les navigateurs mentent en affirmant venir des Amérique et s’être perdus.
Le fin du premier tour du monde
En septembre 1522, seuls 18 hommes revinrent à Sanlúcar de Barrameda : 13 Espagnols, 3 Italiens, un Portugais et un Allemand. Elcano s’empresse d’envoyer une note à l’empereur Charles Quint lui indiquant qu’il rapportait des denrées précieuses mais surtout la gloire d’avoir mené à bien le tour du monde : "Nous sommes partis par l’ouest et revenus par l’est". Un périple incroyable de plus de mille jours et près de 85.000 km touche à sa fin. L’empereur le reçoit à Valladolid. Il le couvre d’or et l’anoblit.
Nous sommes partis par l’ouest et revenus par l’est
Elcano passe trois ans à la cour du monarque, profitant d’une vie paisible. Mais le désir d’aventure n’a jamais quitté le Basque. Il reprend du service en s’embarquant pour une nouvelle expédition dans les Moluques en suivant la route que Magellan et lui-même avait tracée des années auparavant. Elcano meurt, certainement de scorbut, dans ces îles en aout 1526. Son cadavre sera inhumé en haute mer par l’équipage.
Un demi-millénaire plus tard, l’exploit d’Elcano demeure. Un demi-millénaire durant lequel l’homme n’a cessé de repousser les limites de l’exploration faisant de sa formidable curiosité le levier pour aller toujours plus loin, dans des expéditions les plus périlleuses, sur des engins les plus invraisemblables. Si on peut relier Paris à New York en six heures en 2022, c’est aussi grâce aux exploits de marins comme Elcano.