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L’Espagne, toujours un pont entre l’Europe et l’Amérique Latine ?

panneaux indicateurs en Amérique latinepanneaux indicateurs en Amérique latine
Alexander Schimmeck
Écrit par Armelle Pape Van Dyck
Publié le 19 octobre 2021, mis à jour le 21 octobre 2021

Historiquement si proche et pourtant de plus en plus éloignée de l’Amérique Latine, l’Espagne reste le 2e investisseur, avec plus de 100.000 entreprises qui exportaient en 2019, même si le pays perd du terrain. De son côté, le continent pourrait voir s’effacer plus de dix ans de progrès à cause du Covid.


L'Amérique latine est confrontée à une crise qui marquera sûrement son histoire. Il y aura un avant et un après Covid-19, dont les effets ont été – et sont encore malheureusement - dévastateurs. En juin 2021, plus de 1.260.000 personnes étaient mortes du Covid. Cela équivaut à 32% du nombre de décès dans le monde, selon les données de our world in data et de la Banque Mondiale.

 


La région du monde la plus touchée

La Banque Mondiale signale d’ailleurs que l'Amérique latine est "désormais la région du monde la plus touchée par la pandémie de Covid-19. Elle a sombré dans la crise économique après plusieurs années de croissance décevante et de progrès limités sur le plan des indicateurs sociaux, et après des tensions sociales marquées dans certains pays à la fin 2019". Tout cela a entraîné une hausse sans précédent du chômage, une baisse des revenus et une augmentation de la pauvreté et des inégalités qui aggravent encore les problèmes structurels.

Pour ne rien arranger, l'accès difficile et inégal aux vaccins et aux services de santé - tant au sein des pays que des groupes sociaux – ainsi que l'apparition de nouvelles variantes du virus accroissent l'incertitude quant à l'évolution de la pandémie et le redressement des économies des différents pays d’Amérique Latine. 

 

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La Banque Mondiale signale que l'Amérique latine est "désormais la région du monde la plus touchée par la pandémie de Covid-19 / ia huh

Dix ans de progrès effacés

Face à ce constat, la Fondation Ramón Areces a organisé la semaine dernière un débat intitulé "L'Amérique latine et le Covid-19" afin d'analyser comment la pandémie a affecté la région d'un point de vue économique et social. Parmi les intervenants figuraient des experts d’organismes internationaux, tels que le FMI ou la BID. Tous ont averti de la nécessité d'adopter au plus vite des mesures pour éviter que la pandémie n'efface tous les progrès économiques et sociaux de la dernière décennie dans la région.

C’est ainsi que l'ancien directeur du département hémisphère occidental au Fonds Monétaire International, Alejandro Werner, a indiqué que le taux de pauvreté en Amérique latine est revenu en 2020 aux niveaux de 2012 et 2013. "Il en va de même pour les mesures de répartition des revenus, qui ont régressé en 2020 aux niveaux d'il y a dix ans - a-t-il ajouté-. Une partie de tout cela sera récupérée en 2021, mais pour ça, nous devons améliorer la gouvernance. C'est le principal défi à relever pour empêcher la région d'annuler les progrès réalisés au cours de la dernière décennie". 

 

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Le taux de pauvreté en Amérique latine est revenu en 2020 aux niveaux de 2012 et 2013 / Bernardo Ramonfaur 

Méfiance envers les gouvernants

M. Werner a d’ailleurs rappelé que la confiance dans les gouvernements latino-américains "a considérablement diminué", ce qui constitue un obstacle aux investissements des entreprises, tant nationales qu’internationales. 

Pour l’ancien président de la Banque Interaméricaine de Développement, Enrique V. Iglesias, la région d'Amérique latine est confrontée à deux défis majeurs : "D'une part, sur le plan interne, chaque pays doit parvenir à des accords nationaux majeurs entre les partis politiques et les gouvernements pour faire face, de manière ordonnée, aux problèmes causés par la pandémie". 

D’autre part, face à l'extérieur, l’ancien président de la B.I.D a averti que les pays devaient être prêts à se battre ensemble pour être plus compétitifs : "la région a été championne en termes d'institutions d'intégration - a expliqué Iglesias-, mais aujourd'hui nous vivons avec un peu de frustration le fait que toutes ces initiatives ont échoué - à l'exception de quelques cas comme en Amérique centrale. Je tiens à rappeler que dans le monde à venir, l'intégration est encore plus importante qu'auparavant. Nous allons devoir naviguer dans des mers beaucoup plus compétitives et encore plus fermées qu'auparavant, et évoluer dans ce scénario en partenariat ou ensemble sera toujours plus bénéfique pour tout le monde".

Il faut rappeler que l'Amérique latine représente 7,3% du PIB mondial et que l'année 2020 s'est achevée avec une baisse de 7% du PIB dans la région. "La chute a été plus intense en Amérique latine – affirme Xiana Margarida Méndez, secrétaire d'État au commerce espagnol- et la reprise sera également plus longue, outre le fait qu'elle sera inégale selon les pays". 

 

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La région revêt un caractère commercial stratégique pour l'Espagne, non seulement pour des raisons historiques, mais aussi et surtout pour des raisons économiques / Artem Beliaikin 


Une région toujours stratégique pour l'Espagne

Il est clair que la région revêt un caractère commercial stratégique pour l'Espagne, non seulement pour des raisons historiques, mais aussi et surtout pour des raisons économiques. En effet, avant la pandémie, en 2019, plus de 100.000 entreprises espagnoles exportaient vers la région. En outre, les investissements des entreprises espagnoles en Amérique latine sont passés de 110,4 milliards en 2019 à 171 milliards en 2020, en pleine pandémie, ce qui maintient l'Espagne comme deuxième investisseur en Amérique latine après les États-Unis. 

D’ailleurs, lors du débat organisé par la Fundación Ramón Areces, la présidente de la patronale CEOE Internationale, Marta Blanco, a revendiqué "le pouvoir des sommets ibéro-américains", qu'elle a appelé à reprendre dès que possible. "Nous devons promouvoir les rencontres d'affaires bilatérales, qui sont d'excellentes occasions de renforcer les liens avec la région, dans le cadre des visites gouvernementales. Les défis sont nombreux, mais il existe également de nombreux outils dont nous devons faire bon usage, ce qui facilitera et encouragera sans aucun doute une activité commerciale et une collaboration accrues entre l'Amérique latine et l'Espagne", a-t-elle conclu.


L’Espagne : un pont entre deux mondes

Depuis son entrée dans la Communauté Européenne en 1986, l’Espagne n’a eu de cesse de revendiquer ses relations privilégiées avec l’Amérique Latine, ainsi que sa position de trait d’union d’un côté et de l’autre de l’Atlantique. Il y a quelques jours encore, sur France 24, le ministre espagnol des Affaires Étrangères, José Manuel Albares tenait à réaffirmer que "L'Espagne n'abandonnera jamais l'Amérique latine, elle sera toujours son pont vers l'UE".

 

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Les relations entre l'Amérique latine et l'Espagne s'affaiblissent depuis plusieurs années / Noel Broda

Mais en perte de vitesse

Pourtant, il faut souligner que les relations entre l'Amérique latine et l'Espagne s'affaiblissent depuis plusieurs années en raison justement, pour certains, de ces liens historiques (la célébration du 12 octobre 1492 est de plus en plus décriée) et pour d’autres, de "l'européanisation" de l'Espagne, comme le signalait récemment l’ancien président de la Colombie, Ernesto Samper. Il est vrai que l'Espagne s’implique de plus en plus au sein d'une Union européenne où le Brexit a remodelé les relations entre partenaires.


La France, mieux vue que l’Espagne

Certains pays européens en ont "profité" pour gagner du terrain. C’est le cas de la France dont les échanges commerciaux avec l’Amérique latine sont en constante progression. Elle figure parmi les premiers investisseurs étrangers dans de nombreux pays de la région. Toutes les grandes entreprises françaises sont présentes en Amérique latine, dans les domaines de l’infrastructure, de l’énergie ou de la défense. En Colombie ou au Brésil, la France est même le premier employeur étranger et se positionne traditionnellement parmi les 6 premiers investisseurs.

Qui plus est, selon la dernière enquête "Country RepTrack" du thinktank Real Instituto Elcano avec l’américain Rep Track Company, la France aurait une meilleure réputation internationale que l’Espagne en Amérique Latine. De ce fait, dans le dernier classement du prestige, du point de vue de l'Amérique latine, l'Espagne ne se classe qu’au huitième rang des 18 pays évalués, juste au-dessus des États-Unis. Le Canada est en tête, suivi par la France, l'Allemagne et l'Italie.


Quand la Chine s’éveillera…

Un autre motif de la perte de vitesse de l’Espagne provient également de la montée en puissance de la Chine. En à peine deux décennies, le géant asiatique est devenu le premier partenaire d'investissement et de commerce de nombreux pays d'Amérique latine, acquérant ainsi un rôle prépondérant dans la sphère économique. Il est néanmoins curieux de constater que, toujours selon le dernier classement "Country RepTrack", le pays le moins apprécié en Amérique Latine est précisément la Chine !

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