Membre du Cercle Montesquieu, à Paris, et fondateur de FIDADE, à Madrid, Eric Gardner de Béville est juriste et recruteur. Il propose un regard international sur l’histoire et la gloire de l’Espagne au cours de ses plus de 500 ans de relations avec l’Amérique.
Tandis que vient de s’achever la première réunion virtuelle pré-G7, il convient de rappeler que l’Espagne n’est pas membre de ce club élitiste malgré les efforts de certains présidents antérieurs -en particulier José María Aznar- pour intégrer ce groupe de discussion et partenariat économique des sept pays réputés être les plus grandes puissances. Il s’agit de l’Allemagne, Canada, États-Unis, France, Italie, Japon et Royaume-Uni.
On remarquera bien sûr l’absence de la Chine qui occupe le 2e rang en matière de PIB mondial et de l’Inde qui occupe la 2ème place au niveau population, et aussi de la Russie. La création du G7 remonte à 1975 (G6 à l’époque), ce qui explique la liste des membres qui paraît singulière aujourd’hui à bien des égards. En réalité, le G7 n’est exclusif que sur papier car chaque année sont invités de nombreux représentants des autres principaux pays, tels que justement la Chine, l’Inde et la Russie, mais aussi l’Australie, La Corée du Sud, le Brésil ou l’Afrique du Sud.
En prévision du prochain G7 qui doit se tenir au Royaume Uni, les 11-13 juin, 2021, les représentants des sept pays ont organisé un « pré-G7 virtuel », le tout premier du genre, le 19 février. L’année dernière la réunion aurait dû se dérouler au Trump National Doral Miami, le golf de Donald Trump, mais après une levée de boucliers des invités, elle fut relocalisée à Camp David pour in fine être annulée au regard des sondages défavorables -et confirmés par les élections- relatifs à la présidence des Etats-Unis.
La réunion de ce pré-G7 2021 a été la première par vidéo-conférence avec le nouveau président américain, Joe Biden. Le programme était dominé par la crise sanitaire et les mesures collectives à prendre au niveau mondial, mais aussi par un nouveau concept à la mode, le multilatérisme, et la question centrale du partage des vaccins avec les pays non-membres du G7, c’est-à-dire les autres 186 pays répertoriés par l’ONU.
L’Espagne ne satisfait pas actuellement les conditions économiques pour être membre du G7, même si lesdites conditions sont floues et imprécises. Quoiqu’il en soit, l’Espagne a une place à prendre -une place importante- dans le nouveau débat mondial politico-économico-culturel. Le pays n’a non seulement pas à rougir de son passé, mais aussi et surtout l’Espagne peut et doit être fière, digne et contente d’avoir tant contribué à la richesse mondiale, et depuis si longtemps.
Des liens historiques, linguistiques, culturels, économiques et politiques avec les Amériques
En Occident, nous apprenons tous que l’Amérique fut découverte par Christophe Colomb en 1492. Est-ce vrai ? Ou bien les Vikings étaient-ils venus avant ? Ou les Chinois selon la théorie de Gavin Menzies ? Peu importe, la vérité « vraie » est que les Espagnols sont venus, revenus et revenus encore, à la différence des autres, et c’est cela qui a fait que c’est eux qui ont découvert et conquis l’Amérique.
Les liens entre l’Espagne et l’Amérique sont trop souvent mal connus et mal expliqués. D’abord, il faut distinguer entre l’Amérique Anglaise et l’Amérique Latine, et au sein même de l’Amérique Latine, distinguer aussi entre le Brésil (portugais) et le reste de d’Amérique du Sud (espagnol).
Ensuite, il est utile de savoir qu’à l’apogée de la période coloniale (surtout le 18ème siècle), l’Espagne possédait un territoire immense entre l’Alaska au nord et la Terre de Feu au sud, couvrant la moitié des Etats-Unis actuels, plus toute l’Amérique Centrale (y compris les principales îles des Caraïbes) et toute l‘Amérique du Sud, sauf le Brésil.
Aujourd’hui encore, l’espagnol est la langue parlée dans toute l’Amérique du Sud (sauf le Brésil) ainsi que dans tous les pays de l’Amérique Centrale, et aussi par les quelques 60 millions de hispaniques (et aussi les quelques 10 millions de migrants non-documentés) aux Etats-Unis. Il suffit en effet de voyager entre Washington et Los Angeles, Chicago et Dallas, pour se rendre compte à quel point la culture hispanique est non seulement présente mais forte, encrée et enracinée dans le « American Way of Life ».
Certes il y a une différence, en 2021, entre influence hispanique et espagnole bien que les racines soient les mêmes. Toutefois, et c’est sans doute un atout majeur pour l’Espagne, la langue, l’histoire et la culture sont entremêlées et constituent un groupe hispano-parlant aux Amériques Nord et Sud qui sont une force politique et économique considérable et croissante.
Quelques points de discorde passés, présents et sans doute futurs
Pendant la période coloniale, il y eût bien des différents entre les quatre « grandes » puissances qui se partageaient les Amériques : Espagne, France, Angleterre et Portugal. L’Espagne était arrivée aux Caraïbes en 1492, le Portugal au Brésil en 1500, la France à Québec au Nord et la Nouvelle Orléans au Sud à partir de 1534 et l’Angleterre plus tard en 1607 à Jamestown, Virginie, et à Plymouth, Massachusetts, en 1621 (d’où vient la belle tradition du Thanksgiving américain).
Les points de discordes entre ces pays furent nombreux du 16ème au 19ème siècle, auxquels vinrent s’ajouter les nombreux conflits d’indépendance de tous les pays, en commençant par les Etats-Unis en 1776 jusqu’aux Caraïbes dans les années 1980, en passant par l’Argentine en 1816, le Brésil, la Colombie et le Mexique en 1821.
La guerre hispano-américaine de 1898 est cataloguée dans les annales historiques comme une bien piètre et peu glorieuse excuse des Etats-Unis et du président Théodore Roosevelt (1858-1919) pour attaquer l’Espagne et lui confisquer Cuba et les Iles Philippines.
Les points de discordes entre l’Espagne et les Etats-Unis ont même influencé la qualification de la grande pandémie de 1918-21, qualifiée de « grippe espagnole » alors qu’elle arriva vraisemblablement en Europe par les soldats américains ayant quittés Fort Riley, au Kansas, pour venir se battre en France lors de la Guerre de 14-18.
Après la Guerre Civile espagnole (1936-39), la Seconde Guerre Mondiale (1940-45) et le plan Marshall (1948-52), le Caudillo Franco consolida les relations avec les Etats-Unis et proposa l’installation de la base navale américaine de Rota, près de Cadiz, en 1953. La base est encore en service aujourd’hui.
Ce fut sans doute le président José María Aznar qui fut le plus pro-Américain de tous, affichant et offrant un soutien politique fort et fidèle au président américain George W. Bush après les attentats de New York, le 9 septembre 2001. C’était la première fois depuis des décennies que l’Espagne clamait haut et fort son alignement et attachement aux Etats-Unis d’Amérique. Le courage du président Aznar et de l’Espagne tout entière se solda malheureusement par les terribles attentats terroristes islamiques de 2004, à Madrid, faisant 193 morts et plus de 2.000 blessés innocents.
L’Espagne est une passerelle européenne vers les Amériques, Sud et Nord
L’Espagne jouit d’une position particulièrement enviable dans les relations avec les Amériques, avec des relations privilégiées sur les plans historique, linguistique, économique et culturel.
Les entreprises espagnoles Telefónica, Repsol, Santander, BBVA, Endesa et Iberdrola et tant d’autres TPE, PME et groupes ont développé un marché local considérable en Amérique Centrale et du Sud. Les produits alimentaires et vins espagnols sont depuis quelques décennies vendus aux Etats-Unis et dans presque toute l’Amérique Latine. Les énergies renouvelables ont le vent en poupe dans le nouveau monde et les entreprises espagnoles sont en pole position.
Qui plus est, l’Espagne est une véritable passerelle européenne -et trampoline- pour les entreprises de l’Union Européenne souhaitant investir aux Amériques. Les entreprises espagnoles sont très présentes en Amérique Latine, les cabinets d’avocats espagnols spécialisés en transactions M&A, restructuration et implantations locales sont nombreux et de grande qualité, les Etats-Unis offrent un marché hyper-dynamique de plus de 70 millions d’hispano-parlants (la plus forte minorité locale) et les liens historiques et culturels solides et positifs augurent d’un bel avenir.
Certes, la pandémie de la Covid19 remet en cause bien des paradigmes mais il ne s’agit toutefois pas de la Peste Noire de 1346-53, ni de la grippe « espagnole ». L’Espagne a payé un lourd tribu avec plus de 67.000 morts du Coronavirus, au 20 février, mais le pays est sur la voie de la récupération affichant une résilience exemplaire, comme le prouvent aussi les élections en Catalogne le 14 février qui envoient un signal prometteur et positif.