L'Espagne connaît la plus forte progression et le plus grand nombre de cas de Covid-19 d’Europe, loin devant la France. Pourtant, la grande majorité des gens suit scrupuleusement les consignes, en particulier le port du masque obligatoire depuis le printemps. Comment expliquer alors ce paradoxe ?
Il n'est pas facile de répondre de façon catégorique à cette question. Mais les experts consultés par lepetitjournal.com indiquent une combinaison de facteurs sociaux, culturels ou économiques pour expliquer la situation actuelle. La spécificité même des Espagnols, le mode de vie, les relations avec la famille ou encore la décision précipitée de rouvrir le pays après l’état d’alarme sont les causes qui pourraient être à l'origine de cette explosion de cas de Covid-19. Les derniers chiffres publiés par le Centre européen de prévention et de contrôle des maladies (ECDC) situent l'Espagne comme le pays européen ayant le taux le plus élevé d’infections pour 100.000 habitants (281,6), devant la France (162,8), le Royaume Uni (55,6), l’Italie (32,9) et l’Allemagne (22,7).
Une désescalade précipitée
L'Espagne a connu le confinement le plus strict d’Europe, voire du monde, ce qui a permis de contrôler la première vague de l'épidémie plus rapidement que d'autres pays, d’autant que la population a respecté scrupuleusement les règles. Cependant, il faut rappeler la rapidité avec laquelle l’Espagne a rouvert ses portes au début du mois de juillet. Bien que cette mesure ait été prise pour relancer une économie bien mal en point, les experts estiment qu'elle a été précipitée. Il a été question d'une "nouvelle normalité", véhiculant un message de tranquillité qui a été en fait contre-productif. Après tant de semaines de confinement, les rencontres avec la famille et les amis se sont multipliées et avec elles, les premiers foyers de contagion.
Aucun contrôle pour rentrer en Espagne
De peur que l'économie ne s'enfonce davantage, le gouvernement a voulu réactiver immédiatement le tourisme pour ne pas perdre la saison. La ministre des Affaires Étrangères, Arancha González Laya, avait d’ailleurs lancé un message de confiance en plusieurs langues qui affirmait "L'Espagne vous attend". Hormis un formulaire à remplir et théoriquement la prise de température, l’Espagne n'a imposé cet été aucune restriction aux visiteurs à leur entrée sur le territoire, sans doute pour ne pas les dissuader de venir.
Cependant, non seulement les touristes ont boudé l’Espagne mais de nombreuses personnes venant de l’étranger (en particulier des étudiants ou travailleurs qui retournaient chez eux voir leur famille pour les vacances) sont à l’origine de plusieurs foyers dès juillet.
En revanche, de nombreux pays imposent des restrictions, voire interdisent l’entrée des Espagnols sur leur territoire, et seuls vingt pays, dont huit appartenant à l'Union européenne, autorisent actuellement l'entrée sans réserve des voyageurs en provenance d'Espagne. Ce dernier commence à son tour à rectifier le tir et vient d’autoriser les tests PCR pour les touristes souhaitant se rendre aux Canaries. D’autres régions, comme les Baléares ou Madrid exigent la même mesure.
Bas les masques
Bien qu'en Espagne, le port du masque soit obligatoire partout et en toutes circonstances, les Espagnols ont tendance à l’enlever dans les situations les plus "risquées", c'est-à-dire lorsqu’ils sont réunis en famille ou avec des amis. Or, comme le rappellent les experts, c'est justement dans les espaces clos et bondés que le masque est vraiment efficace. De plus, l'été est une période qui favorise les rapprochements, ce qui pourrait également avoir une influence sur le nombre plus important de transmission du virus.
Fiesta et jeunes de plus en plus infectés
Ce n’est un secret pour personne. En Espagne, on aime sortir et faire la fête. Selon l'Office européen des statistiques (Eurostat), chaque Espagnol dépense 15% de ses revenus dans des bars, des restaurants et des cafés. Ce chiffre est deux fois supérieur à la moyenne de l'UE. D’ailleurs, l'Espagne est le pays qui a la plus forte densité de bars au monde : près de 265.000, soit un pour 175 personnes. Le "botellón" est aussi devenu un fléau national et à Madrid, par exemple, au cours du mois de juillet, 153 personnes ont reçu chaque jour une amende pour avoir bu de l’alcool dans la rue.
"La noche es joven" aiment à dire les Espagnols. Le soir, les discothèques, et autres espaces de danse ont pu rouvrir leurs portes pendant la dernière phase de la désescalade, et sont restés ouverts jusqu'à la mi-août. En France ou en Allemagne, leur ouverture n’a pas été autorisée ou alors les restrictions étaient si importantes que cela ne valait pas le coup. C’est pour cela que cet été, les jeunes ont été particulièrement touchés en Espagne. L’OMS a signalé à ce sujet que le pourcentage de jeunes infectés a triplé depuis le début de la pandémie.
Phénomène Tanguy
L'émancipation tardive des jeunes Espagnols pourrait être une autre raison du niveau élevé d'infection dans le pays. Selon les données d'Eurostat, les Espagnols sont parmi ceux qui ont le plus de mal à quitter le nid. Ils le font vers l'âge de trente ans. C'est trois points de plus que la moyenne européenne. En Suède, le taux d'émancipation est de 17,9 ans, au Danemark de 21,1 ans et en France de 23,6 ans.
Or, ces jeunes qui sortent pour faire la fête retournent ensuite tranquillement chez eux, où ils maintiennent un contact étroit avec leur famille. Comme le soulignent les experts, c'est précisément ce qui déclenche la contagion. En effet, 60% des nouveaux diagnostics de Covid-19 cet été étaient asymptomatiques, avec une tranche d’âge comprise entre 15 et 35 ans.
Réunions de famille
Selon un rapport de l'Institut de santé Carlos III, les fêtes familiales sont derrière plus d’un tiers des cas de Coronavirus, depuis la fin de la désescalade. Or, d’après les caractéristiques sociologiques des Espagnols, ils sont généralement plus démonstratifs et les baisers, embrassades et autres marques d’affection entre parents sont beaucoup plus fréquents que dans les pays nordiques et d'Europe centrale.
En outre, 17% des grands-parents en Espagne s'occupent quotidiennement de leurs petits-enfants, et encore plus depuis la crise économique. Ce chiffre est beaucoup plus élevé que dans des pays comme la Suède, les Pays-Bas ou le Danemark, où il se situe autour de 2%.
Pas assez de traceurs Covid-19
L’Espagne manque cruellement de traceurs, nécessaires pour contrôler l'épidémie. Leur rôle est de tracer les contacts des personnes testées positives afin de cartographier les personnes à risque. Un nouveau métier est né. Selon les estimations, le nombre optimal de traceurs serait d'environ 1 pour 5.500 habitants en Espagne, soit quelques 8.500 professionnels au total. L’Allemagne estime quant à elle qu'il en faut un pour 4.000 habitants. Quoiqu’il en soit, l’Espagne compte actuellement moins d'un traceur pour 35.000 habitants, ce qui est six à sept fois moins que le besoin estimé…