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23-F : il y a 40 ans, le coup d’Etat qui a fait trembler l’Espagne

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copie d'écran RTVE
Écrit par Quentin Gallet
Publié le 22 février 2021, mis à jour le 31 mai 2024

C’était il y a quarante ans jour pour jour. Madrid. 23 février 1981. Il est 18 heures passées. Nous sommes en pleine cérémonie d’investiture où un nouveau président doit être élu. Des coups de feu résonnent dans l’hémicycle du Congrès des Députés. La caméra tourne. 


Un contexte tendu

En ce début d’année 1981, nous sommes moins de six ans après la mort de Francisco Franco et la Constitution n’a pas trois ans. La démocratie est jeune et fragile. Le pays est alors gouverné par Adolfo Suárez, un centriste qui a fait sa première carrière dans le franquisme d’Etat. Avec le roi Juan Carlos, ils ont proposé au peuple espagnol une Constitution acceptée par referendum en 1978. Les partis politiques sont légalisés et l’héritage franquiste progressivement liquidé. Toutefois, la situation est délicate dans le pays et la transition souffre de problèmes économiques auxquels viennent s’ajouter le terrorisme d’ETA, véritable fléau pour la jeune démocratie avec une centaine de victimes rien qu’en 1980. 

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Adolfo Suarez

Et puis, il y a l’armée espagnole dans laquelle une frange n’a pas franchement goûté le changement de régime et l’abandon progressif de l’héritage franquiste dont le roi aurait dû se porter garant. Complots et plans de coups d’Etat sont montés dès 1977 au moment de la légalisation du parti communiste. Adolfo Suárez apparait alors comme un traître et un liquidateur pour ses anciens collègues franquistes. Les milieux militaires nostalgiques du Caudillo remuent. On fustige la mollesse avec laquelle serait dirigé le pays, et ce notamment dans l’affaire basque. 

Menacé, Suárez l’est aussi au sein de son propre parti, l’Union du Centre Démocratique (UCD). En bref, au tout début des années 1980, son œuvre ayant été faite, il est un homme dont la carrière politique touche à sa fin. Certains ministres démissionnent et ses proches se font de plus en plus rares. 

Homme politique chevronné, Suárez comprend qu’il faut se retirer. Il l’annonce le 1er février 1981 et présente sa décision comme un désir de sauver la jeune démocratie espagnole. Il démissionne et Leopoldo Calvo-Sotelo, second vice-président du gouvernement, est appelé à lui succéder. 
 

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Leopoldo Calvo-Sotelo en 1976


    

Des coups de feu dans le Parlement

Ce fameux 23 février 1981 est la journée où doit avoir lieu l’investiture du nouveau président, Calvo-Sotelo. Il est 18h21. Les caméras tournent. Le président de l’assemblée égraine les noms des députés afin qu’il vote l’investiture ou non du candidat à la succession de Suárez. 

Tout à coup des agents de la Guardia Civil font irruption, armes à la main. Le groupe est dirigé par le lieutenant-colonel Antonio Tejero. Moustache de belle taille et tricorne de la Benemerita vissé sur le chef, ce militaire n’est pas un inconnu : il s’était déjà illustré quelques années auparavant dans une tentative de putsch. Cette fois, Tejero fait arrêter le vote et intime aux députés l’ordre de se mettre à terre. 

       
                   
       
                      El asalto de Tejero el 23F            

 

Devant les protestations légitimement opposées, les putschistes font alors montre de plus d’agressivité en tirant des coups de feu au plafond (l’hémicycle en garde toujours les impacts de nos jours.) Les députés se jettent sous leurs sièges aux exceptions notables de Santiago Carrillo, dirigeant du Parti Communiste et Adolfo Suárez qui est encore président du conseil. L’écrivain espagnol Javier Cercas a publié "Anatomie d’un instant" : un livre qui se fonde sur la posture, héroïque, d’Adolfo Suárez durant l’assaut. Il ne se couche pas et reste là, blême, à toiser les putschistes. Le président demande des comptes à Tejero. Ce dernier ne répondra que cette phrase laconique : "Tout pour l’Espagne". 

 

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Trous faits par les balles des putschistes au plafond de l’hémicycle du Parlement espagnol

 


 

Peu après, la partie proprement militaire du coup d’Etat semble se mettre en place dans la IIIème région militaire espagnole. Son capitaine général, Jaime Milans del Bosch, fait sortir les chars dans les rues de Valence. En revanche, la compagnie de blindés Brunete, chargée dans le plan initial de contrôler les points stratégiques de Madrid, ne bascule pas dans le camp des insurgés. 

Troisième personnage clef à entrer en scène : le général Alfonso Armada pénètre dans le palais du Congrès peu avant minuit afin de convaincre Tejero de quitter les lieux, sans succès.  Armada est en réalité de mèche avec les insurgés et aurait très certainement dû prendre la suite du lieutenant-colonel de la Guardia Civil en faisant mine de sauver la situation et de se présenter comme un recours politique. C’est alors qu’une intervention du sommet de l’Etat va faire basculer le cours du coup d’Etat. 

 

Le discours d’un roi

Le cœur du pouvoir politique espagnol est à l’arrêt. Dans les autres régions, la nouvelle arrive de la prise d’otage de l’hémicycle. Jordi Pujol, président de la région catalane, affiche son soutien au régime démocratique et fait diffuser un message radiophonique d’appel au calme. 

 

Après de longues heures d’attente, le roi Juan Carlos prend la parole vers une heure du matin. Il apparait en uniforme militaire pour signifier qu’il est le chef suprême des armées. Par un discours bref et martial, il ordonne aux militaires de mettre fin à cette tentative de coup d’Etat. Le putsch est tué dans l’œuf. Les capitaines généraux des provinces militaires d’Espagne obéissent à leur chef. Tejero et sa bande n’ont d’autre choix que de quitter le Congrès aux premières lueurs du 22 février. 

Le lieutenant-colonel de la Guardia Civil, ainsi que Milans et Armada seront condamnés à de la prison ferme. Leopoldo Calvo-Sotelo sera finalement élu par trente voix d’avance le 25 février. L’année suivante, les socialistes prendront le pouvoir à l’issue des législatives. 

L’image du roi Juan Carlos sortit considérablement renforcée de cette crise. Le monarque sera salué comme un garant des institutions et un sauveur de la démocratie. 


Une tentative de coup auréolée de mystères

Dès les jours qui suivent, cet évènement va faire beaucoup parler de lui en Espagne et à l’étranger. Les rumeurs les plus folles circulent sur le nombre et l’identité des conjurés. Il apparait que Tejero n’a pas pu agir seul. Il était la partie opérationnelle du putsch. Armada en était le chef politique tandis que Milans s’occupait de la partie militaire. Mais la tentative s’est enrayée et tout ne s’est pas déroulé comme prévu. 

Il convier de noter que les motivations au sein même du camp putschiste sont disparates. Certains gardés veulent une restauration pure et simple des institutions franquistes avec une centralisation puissante. D’autres, voyant que Suárez n’a plus vraiment le contrôle du pays, guère plus que Juan Carlos, rêvent d’un scénario à la De Gaulle. En 1958, le général s’empare du pouvoir afin de répondre à la crise algérienne. Ce second camp voit donc des similitudes entre l’Espagne de 1981 et la France de la fin des années 1950. Alfonso Armada est dans ce camp des "modérés" tandis que Milans et Tejero sont partisans d’un renversement plus catégorique et musclé. 
Pour épaissir le mystère, il a souvent été fait mention de "l’éléphant blanc", nom de code qui désignerait une haute autorité à laquelle le lieutenant-colonel de la Guardia Civil aurait dû remettre le pouvoir : le rôle de Tejero n’aurait été que de temporiser. Jusqu’à sa mort, Alfonso Armada nia catégoriquement être cet éléphant blanc. Les rumeurs les plus folles circulent encore sur son identité, certains n’hésitant pas à nommer le roi Juan Carlos.  
 

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Le général Alfonso Armada

Cette théorie est attisée par le fait que les relations entre le roi et Adolfo Suárez n’étaient plus au beau fixe. Certes, le tandem avait été très efficace pour la transition démocratique mais le roi sentait les difficultés de Suárez et n’avait pas l’intention à ce qui celui-ci l’entraînât dans sa chute. 

Plus surprenant encore,  Felipe Gonzalez, le chef du parti socialiste, fut soupçonné d’avoir accepté une proposition d’Armada où le militaire serait président et Gonzalez vice-président d’un Parlement réunissant toutes les sensibilités politiques à l’exception des indépendantistes. Le général Armada se chargea lui-même de la diffusion de cette rumeur. 


 

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