La guerre civile espagnole, huit décennies après sa fin officielle, est loin d’appartenir au passé. Elle est encore un sujet de vives querelles et un objet de réécritures. En Espagne, la mémoire historique de ce conflit est débattue entre les héritiers des belligérants, ou supposés tels.
Toutefois, cette guerre de trois ans eut un impact au-delà de la péninsule Ibérique. Ainsi, la France voisine et les Français auront un rôle dans ce conflit fratricide. Une action faite d’actes courageux mais aussi d’atermoiements et de trahisons.
Le Front Populaire français, un allié ambigu
Lorsque la Guerre Civile éclate, en juillet 1936, le Front Populaire est au pouvoir depuis peu dans la France de la IIIème République. Le socialiste Léon Blum dirige une coalition bigarrée de partis de gauche. Celle-ci est le pendant hexagonal du Frente Popular de Manuel Azaña, au pouvoir à Madrid, qui est gravement menacé par le soulèvement militaire fomenté par Francisco Franco.
Le premier réflexe de Léon Blum, on le conçoit, est d’aider le gouvernement légitime de l’Espagne. Il faut préciser qu’au-delà d’une affinité idéologique, il s’agit d’une alliance en bonne et due forme entre les deux pays. En effet, un accord militaire existe depuis 1935 et la France peut donc légitimement accéder à la requête du gouvernement espagnol de fournir du matériel de guerre.
La promesse ne sera toutefois pas honorée. Le pacifisme du gouvernement français mêlé au véto de l’Angleterre qui refuse de s’immiscer dans ce qu’elle pressent comme un bourbier, orientent la France du Front Populaire dans la neutralité. Les alliés républicains outre-Pyrénées sont laissés à leur sort.
La bascule se fait le 25 juillet quand Blum décide de ne pas donner suite à la commande d’armes faite par Madrid. Un choix lourd de conséquences : le même jour, le chancelier allemand Hitler envoie des avions aux insurgés franquistes. Le déséquilibre des forces s’instaure en Espagne.
Le gouvernement français ira jusqu’à signer avec l’Angleterre, l’Allemagne et l’Italie un accord de non-intervention dans la guerre d’Espagne. Les espoirs du Frente Popular sont douchés définitivement : il n’y pas d’aide à attendre de l’allié français.
Cette non intervention franco-anglaise a des répercutions désastreuses : les démocraties occidentales font montre d’une faiblesse maquillée en pacifisme. L’Italien Mussolini et surtout l’Allemand Hitler, qui réarme la Rhénanie cette même année 1936, prennent note pour de futurs coups de force.
Le gouvernement du radical Daladier reconnaitra l’Etat franquiste en 1939. Une reconnaissance qui donna en France des débats houleux, dans un contexte d’agressivité accrue des régimes totalitaire, de pacifisme latent d’une partie de l’opinion et d’un anti communisme véhément de l’autre.
A noter que le général Franco avait déjà les bonnes grâces dans certains cercles politiques français. En effet, en 1930, il avait été fait commandeur de la Légion d’Honneur pour son action musclée dans la guerre du Rif et ce sur proposition du maréchal Philippe Pétain.
L’exil français des Républicains espagnols
Par sa proximité géographique, la France sera malgré tout la destination, dans les derniers mois de la Guerre Civile, des républicains espagnols en déroute. La Catalogne est prise en février 1939 : 500 000 civils et militaires se dirigent vers la France.
Au milieu de ces colonnes de réfugiés, le célèbre photographe hongrois Robert Capa qui passe le Perthus puis documentera la vie de ces républicains dans les camps de concentration français. En effet, alors que les femmes, enfants et personnes âgées sont autorisés à passer, les militaires et civils majeurs doivent rejoindre les camps des Pyrénées orientales. On en trouve à Argelès-sur-mer, à Saint Cyprien, ou au Barcarès.
Les réfugiés espagnols, considérés comme des « miliciens » par le gouvernement français, doivent faire face à des conditions extrêmement difficiles entre le vent, le froid, l’insalubrité et les épidémies. Montrant les aspects les plus durs de cette Retirada (le terme qui désigne l’exil républicain), le reportage de Capa sera publié dans le Picture Post à Londres.
Parmi les centaines de milliers de républicains espagnols qui passèrent la frontière pour trouver refuge en France, se trouve Manuel Azaña, le président de la République espagnole. Quand il passe les Pyrénées, au début du mois de février 1939, il est encore titulaire officiellement de la charge suprême. Pas pour longtemps.
De Collonges-sous-Salève, où il réside aux premiers temps de son exil, il rédige sa démission qui sera acceptée par les Cortes. Manuel Azaña meurt le 3 novembre 1940, dans un bâtiment diplomatique mexicain à Montauban. C’est d’ailleurs, pour l’anecdote, un drapeau de pays qui soutint la république espagnole qui recouvre le cercueil de l’ancien président.
Sa dépouille repose toujours dans la cité du Tarn et Garonne où sa mémoire continue d’être honorée : des cérémonies commémoratives étant régulièrement organisées.
La guerre "par procuration" des intellectuels français
Loin d’être une considération secondaire, la Guerre Civile déchaîna la vie publique française. A tel point que pour l’historien Pierre-Frédéric Charpentier, qui consacra un ouvrage à la question, le conflit fut "une guerre par procuration".
Les intellectuels de gauche comme les poètes René Char, Jacques Prévert ou Louis Aragon sont des soutiens affirmés de la République espagnole et font pression pour que la France aide le régime légitime dans l’autre côté des Pyrénées. Les moyens d’intervention sont divers : tracts, affiches, levées de fonds, pétitions…
En face, certains intellectuels de droite soutiennent le putsch du général Franco : Charles Maurras, de l’Action Française, en est en quelque sorte le chef de file. Le journaliste fait même le voyage en Espagne en 1938 et rencontrera le Caudillo. Ces intellectuels défendent les "nationaux" fidèles au roi et à l’Eglise contre le "péril rouge".
Toutefois, les deux camps de cette guerre par procuration ne sont pas monolithiques. La gauche se déchire autour de la non-intervention : les communistes sont furieux et une partie des socialistes (auxquels appartient Blum) avec eux. Par ailleurs, on ferme parfois les yeux sur les violences des républicains et ce n’est qu’en privé que des intellectuels de gauche mettent des mots sur la "terreur rouge". C’est le cas de Simone Weil par exemple.
A droite, la concorde est loin d’être évidente pour louer le franquisme. François Mauriac, par exemple, au départ plutôt favorable au soulèvement, critique durement les militaires insurgés après le massacre de Guernica, au printemps 1937.
Le royaliste Georges Bernanos est présent à Majorque pendant la Guerre Civile et voit la "terreur blanche" à l’oeuvre. Profondément marqué par la violence des troupes franquistes, il publiera Les grands cimetières sous la lune en mai 1938. Il sera décrié par une partie de la droite qui l’accusera de faire le jeu des communistes.
André Malraux et Simone Weil, les combattants
Si la participation à la guerre d’Espagne se fait par les mots, elle se fait aussi armes à la main. Parmi les personnalités françaises qui vont s’illustrer, des noms connus : André Malraux et Simone Weil.
André Malraux, brillant écrivain et militant antifasciste, s’engage en Espagne dès août 1936. Même si la France a fait savoir qu’elle ne répondrait pas à la commande d’armes de la république espagnole, Malraux obtient du ministre de l’Air, Pierre Cot, quelques avions. L’escadrille Malraux combat à Madrid, Tolède, Teruel ou encore Malaga.
André Malraux quitte l’Espagne en 1937, plein de souvenirs et d’anecdotes plus ou moins véridiques dans sa besace. Il en abreuvera les Américains lors de sa tournée outre-Atlantique pour lever des fonds pour la république espagnole menacée.
De cette expérience, il en tirera surtout L’espoir , livre qui relate sa guerre d’Espagne. Il est publié en décembre 1937 et, l’année suivante, Malraux réalise lui-même l’adaptation. Le tournage dans le nord-est de l’Espagne est rendu extrêmement périlleux par l’avancée des troupes nationalistes en Catalogne. Le film sera interdit en septembre 1939 par le gouvernement français à la demande de l’ambassadeur de France en Espagne, Philippe Pétain.
Philosophe talentueuse aux convictions ancrées, Simone Weil s’engage en 1936 dans la guerre d’Espagne, malgré une sante fragile. Elle arrive en Catalogne et s’engage dans la colonne Durruti, une milice républicaine anarchiste avec certains combattants étrangers. Weil se rend sur le front d’Aragon, constitué afin de stopper l’avancée des troupes de Franco vers le nord-est du pays.
La philosophe française restera toutefois peu de temps en Espagne :elle repartira dès fin septembre en France après avoir été accidentellement blessée. Très affaiblie et incapable de combattre, Weil devra se résoudre à quitter le front.
On connait l’action de Simone Weil dans la Guerre Civile par ses écrits. Sa correspondance avec George Bernanos révèle qu’elle est témoin des atrocités de la guerre civile et de ses exactions dans les deux camps. La philosophe réalisera également que la gauche espagnole est trop divisée pour l’emporter.