Soho a été, pendant de longues années, un haut lieu de la communauté française à Londres. Si elle se trouve désormais ailleurs, remonter la piste des ‘Frogs’ est toujours possible.
Lorsque l’on songe aux Français à Londres, nous répondrions spontanément : « South Kensington ». Soho semble même très éloigné de nos mœurs. Et pourtant. Situé dans le West End, le quartier est bordé par les grandes avenues de la capitale, dont Oxford et Regent Street. C’est une zone mondialement reconnue pour son 'lifestyle' florissant, mais où l’héritage de la communauté française se ressent encore.
L‘immigration protestante : aux origines de l’installation des Français
De nombreux protestants français – ou huguenots – font cap vers les îles Britanniques, aux XVIème et XVIIème siècles. Une conséquence de l’insécurité de leur statut sur le sol du Royaume de France, la poussant à immigrer en masse à travers l’Europe. Les guerres de religion, avec la Saint Barthélémy pour pic de violence, entraînent une première vague de départs vers l’Angleterre. La révocation de l'édit de Nantes en 1685 incarne une deuxième période de fuite. En tout, des dizaines de milliers de protestants français quittent l’Hexagone pour venir s’installer dans les quartiers de la City ou de Spitafield.
Le grand incendie de Londres, en 1666, enclenche l’urbanisation des terres rurales de Soho. La communauté française s’y établit alors. De nombreux temples sont construits, grâce aux ordonnances royales autorisant l’installation des lieux de culte étrangers. C’est à Greek Street qu’est bâti le premier temple huguenot de Soho.
Soho, quartier façonné par la patte française
Au cours des XVIIIème et XIXème siècles, la communauté française devient prépondérante dans Soho. Le visage du quartier en est alors fortement influencé. Sur Soho Square, un temple protestant est inauguré en 1893. Le bâtiment se détache de l’architecture londonienne avec son style gothique flamand, pensé par Aston Webb, à l’origine de la façade de Buckingham Palace. Le tympan (la sculpture qui décore l’entrée du temple), installé en 1950, commémore, lui, la décision du roi Édouard VI d'accueillir les huguenots.
Bien que les huguenots soient majoritaires, le profil des Français à Soho se diversifie. L’église catholique y établit son lieu de culte suite à la promulgation, en 1829, du Catholic emancipation act. L’église de Notre Dame de France est construite en 1868, au moment où le quartier de Soho, alors très pauvre, commence à changer de démographie. De nombreuses échoppes tricolores s’implantent, à l’image de la pâtisserie Bertaux (sur Greek street), ouverte en 1871. Il est encore possible d’y déguster des viennoiseries typiquement françaises.
Conjointement, l’expatrié Georges Gaudin fonde, à Soho (toujours sur Greek Street), le premier restaurant d’Angleterre qui propose des escargots. En 1896, son nom est Le Bienvenue. Il est renommé plus tard l’Escargot, du fait de sa spécialité. Bien qu’il ne soit plus tenu par des Français, l’Escargot est actuellement reconnu comme l’un des meilleurs restaurants de la capitale.
Soho à l’heure de la Résistance
La Seconde Guerre mondiale n’est pas étrangère au quartier de Soho. Pendant que des bombes tombent sur le quartier durant le terrible épisode du Blitz, confie Bénédicte Fougier, présidente du consistoire de l’Église protestante de Londres, la communauté tricolore s’implique en faveur des FFL (Forces Françaises Libres). Ces forces se sont rassemblées à Londres après la défaite française du 22 juin 1940, sous l'égide du Général De Gaulle, pour poursuivre la lutte contre les nazis.
« En réalité, le pasteur de l’Église protestante de Londres (Soho Square), Frank Christol, s’est présenté aux forces françaises libres pour en devenir l'aumônier. À l'issue d’un dîner avec le Général de Gaulle, en 1942, Mr Christol obtient le statut d'aumônier capitaine des FFL », explique Bénédicte. Elle renchérit, « Lorsque les FFL s’organisent en un semi-gouvernement provisoire, André Philippe, nouveau Commissaire à l’intérieur (de confession protestante), s’empresse de rencontrer le pasteur Christol. L’entrevue est un succès et Mr Philippe revient régulièrement au temple ».
L’Église protestante française de Soho devient alors un point de rencontre important pour les FFL. De nombreux soldats protestants y transitent, en particulier ceux d’Outre-Mer. Le sous-sol du temple - où se trouvent désormais nos bureaux réunissant les collaborateurs de LePetitJournal.com et du magazine franco-britannique Fogg - est utilisé par André Philippe et le pasteur Christol comme salle de réunion.
Deux initiatives y sont lancées : la transformation du journal paroissial, Le Lien, en Organe de la France Protestante Combattante, distribué à travers le monde. Puis, la création d’un insigne « Résistez » - élaboré par le joaillier Cartier - pour tous les combattants, y compris Winston Churchill et De Gaulle. « Les archives l’attestent : sans être un centre de la résistance française, Soho s’est farouchement impliquée en faveur de la France Libre » conclut Bénédicte, aujourd'hui chargée de la bibliothèque de l’Église protestante de Soho.
Une mémoire qui s’est perdue ? Rencontre avec l’un de ses gardiens
La présence française dans Soho s’essouffle au cours du XXème siècle. D’importantes institutions du pays sont construites autour de South Kensington et Knightsbridge, comme l’Institut français, dès 1910, le lycée Charles de Gaulle (au 1-7 Cromwell Gardens) en 1920 ou la résidence de l’ambassadeur de France en 1944. Progressivement, les familles expatriées déménagent dans ces quartiers, tandis que Soho se spécialise dans les divertissements, l’industrie du sexe et les clubs, entrainant l’arrivée de nouvelles populations.
Cette mémoire s’est-elle estompée ? Christian, créateur de French London Expérience et guide d’un tour historique de Soho, esquisse un début de réponse. Celui dont la vocation est de partager ses connaissances sur ce qu’était le quartier lorsque les Français s’y sont établis anime un parcours de deux heures, portfolio à la main, regorgeant d’analyses historiques, d’anecdotes et de légendes. « Je souhaite vraiment montrer qu’ici, il y a eu une présence française influençant tout le quartier », me lance-t-il, en fixant le tympan du temple. Quelle est la pièce maîtresse de cet héritage ? Il sourit, « l’installation de la communauté huguenote, assurément ». La trace de ces expatriés est donc bel et bien encore vivace en ces lieux.
Les participants au parcours du jour commencent à affluer. La visite est en français, mais cela n’a pas découragé Rachelle, originaire de Londres. Elle m’explique que « ce sera l’occasion d’améliorer (son) français ». Et l’héritage tricolore, Rachelle ? « Je ne le connais pas bien, mais je vais le découvrir » bricole-t-elle dans notre langue. Une pierre deux coups, puisque Christian est aussi professeur de français. La visite commence. Entre deux présentations, j’interroge Frédéric, venu avec sa fille. Il me souffle, passionné, « Je suis un expatrié français et pour respecter mes origines, je me renseigne sur la culture de notre pays ». Sa sincérité donne le sourire. Comme quoi, Soho plaît toujours autant aux ‘frogs’.