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Pauline Fétu sur l’exode des sage-femmes : “les femmes finiront par accoucher seules”

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Aditya Romansa - Unsplash
Écrit par Marie Benhalassa-Bury
Publié le 20 octobre 2021, mis à jour le 25 août 2023

Le Royaume-Uni connaît actuellement des pénuries de travailleurs, auxquelles vient s’ajouter un « exode » des sage-femmes. De nombreuses grèves s’organisent en France, tandis que les midwives manquent de plus en plus à l’appel en Grande-Bretagne. Retour sur les causes et les revendications de ces professionnelles au rôle crucial avec Pauline Fétu, elle-même sage-femme.

 

 

Pour revenir à la genèse de cette crise : depuis le Brexit, un certain nombre de Midwives qui ont quitté le NHS. Pourquoi selon vous ?

 

Déjà, je pense que les sage-femmes britanniques, mais aussi européennes, quittent globalement de plus en plus la profession. Le Royaume-Uni constituait, au départ, parmi les pays au sein desquels les conditions de travail d’une sage-femme étaient plutôt réputées pour être bonnes, très axées sur la physiologie. On prônait plus, à l’époque, le principe actuellement revendiqué, d’« une femme, une sage-femme » et on se faisait même courtiser par des chasseurs de tête britanniques. On avait donc, de notre côté, envie de s’y expatrier.

 

On tend à rendre invisible les sage-femmes, à savoir la profession qui fait naître!

 

Or, le Brexit a provoqué des départs de sage-femmes européennes, qui ne savaient pas quoi prévoir quant à leurs salaires, leurs droits et leurs retraites. Ces départs ont impacté d’autant plus les conditions de vie de celles restées sur place. Il existait déjà une situation préexistante qui explique aussi les démissions de celles qui n’ont pas fui pour cause du Brexit, mais plus en raison du manque d’attractivité des hôpitaux publics. Le problème dans ces établissements est similaire au cas français : l'objectif de rentabilité à tout prix dans un secteur médical et humain associé à un problème de recrutement conduit à une charge de travail et des responsabilités accrues pour les autres.

Les jeunes sage-femmes surtout ne sont plus tentées par l’exercice en hôpital, et le renouvellement se fait très difficilement avec de moins en moins de sorties d’école. Donc, pour celles qui persévèrent, le nombre de pathologies à traiter augmente énormément, et elles se retrouvent presque à faire un métier complètement différent et manquent cruellement de temps pour les patientes. Elles doivent composer avec un rythme de travail si soutenu qu’il leur empêche parfois d’avoir le temps de manger ou de boire pendant leur garde. Une cadence qui peut affecter leur vigilance et, parfois, créer des absences d’accompagnement. Bien évidemment, la pandémie n’a pas aidé à cet understaffing, et le personnel soignant est globalement épuisé. Malgré tous ces éléments et ces départs en masse, nos revendications sont complètement éclipsées. On tend à rendre invisible une profession qui fait naître!

 

 

Les médias font état actuellement d’une véritable possibilité d’« exode ». Quels risques pour le pays découlent de cette situation ?

 

Une véritable catastrophe en découle, c’est bien pour ça que les gynécologues (français) nous soutiennent. Ils se rendent compte de la situation puisqu’ils en sont eux-mêmes victimes. Il va tout simplement se produire que les femmes finiront par accoucher seules et sans suivi ! La gravité de la situation est incroyable. Je crois également que le sexisme n’y est pas pour rien dans la mesure où les ministres sont presque tous des hommes, qui n’ont donc jamais accouché, faisant face à une profession largement féminine. On écoutait plus les mouvements d’infirmiers par exemple, puisqu’ils sont bien plus mixtes. Une manifestation de sage-femmes n’intimide personne, d’autant plus qu’il n’y a pas de casseuses. Mais les pouvoirs nous poussent à bout, tout en nous demandant toujours plus d’abnégation : nous étions mêmes mobilisées pour les campagnes de vaccination !

En France, et sans doute aussi au Royaume-Uni - quoique moins publiquement - de plus en plus de sage-femmes dénoncent les maltraitances opérées au sein des établissements. Il y a parfois plus de quatre patientes, en plein travail en même temps, tandis qu’on se retrouve parfois seule puisqu’il n’y a pas de remplacements en cas d’absence. On est censées les accompagner elles mais aussi leurs bébés, ce qui s’avère désormais tout bonnement impossible. Alors on commet des erreurs, parfois graves. Les femmes ne sont plus toujours en sécurité. Quant aux sage-femmes, elles pourraient bien se retrouver au tribunal. À l’hôpital, on réalise un toucher vaginal par-ci, une petite vérification par-là, on accouche les femmes mécaniquement sans les choyer et on rentre chez soi en pleurs. Le métier est complètement dénaturé.

 

 

Quel parallèle peut-on faire avec la situation française ? Les problématiques y sont-elles les mêmes ?

 

En France comme au Royaume-Uni, les salaires n’évoluent pas. La rémunération de départ britannique est tout de même plus importante (aux alentours de £24 000 ou £25 000 par an contre 1600-1800€ par mois du côté hexagonal) mais tout comme peut l’être le coût de la vie. Des sommes dérisoires pour un métier qui induit la responsabilité de deux vies à la fois, mais aussi une responsabilité pénale !

Bien sûr, nous aimons notre travail. Mais sans reconnaissance salariale, et avec tous les sacrifices qu’il induit en termes de vie familiale et personnelle, il n’en vaut plus la peine. Une plus grande valorisation est essentielle. En fait, en France, les sage-femmes ont un statut médical à compétences limitées, elles ont le droit de prescrire légalement. Pourtant, leur rémunération s’indexe sur les grilles de salaire du paramédical. Ces revendications-là sont une constante depuis des décennies, je les entendais déjà à mes débuts en 2007.

Au Royaume-Uni, c’est différent, le champ des compétences est moindre et la capacité de prescription est très limitée, mais on a la possibilité de passer des petits modules supplémentaires au cours de notre carrière. Ce sont deux systèmes qui ne sont pas comparables. Toujours est-il que nous sommes en première ligne lors d’un accouchement et de tous les moments qui l’entourent. Il ne fait donc pas sens que ces informations et nos revendications ne soient pas diffusées, c’est un véritable problème de santé publique vis-à-vis duquel les responsables font l’autruche. En France, on n’a qu’un droit sur le papier de faire grève, mais nous sommes assignées au travail et portons un brassard dans les hôpitaux, nous ne sommes par conséquent pas prises au sérieux.

 

 

Cette pénurie se traduisant surtout dans les maternités, comment peuvent faire les mamans pour trouver les soins dont elles ont besoin ?

 

Il n’y a à mon sens aucune solution, si ce n’est manifester à nos côtés. Tout le pays est concerné et doit donc se mobiliser bien davantage. Il y a par ailleurs plus d’échos à notre parole sur les réseaux sociaux. Nous recevons donc un certain soutien, inter-féminin, face à des élites déconnectées, en pleine crise sanitaire gravissime… laquelle semble être perçue comme un caprice féminin.

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