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“La moitié de la langue anglaise est issue du français”

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Écrit par Stéphane Germain
Publié le 1 mars 2021, mis à jour le 11 septembre 2024

Anthony Lacoudre, auteur de L’incroyable histoire des mots français en anglais, revient sur la manière dont la langue française s’est incorporée dans la langue anglaise au fur et à mesure du temps.

 

Certaines expressions françaises sont couramment entendues dans la langue de Shakespeare : rendez-vous, fiancée, je-ne-sais-quoi… Plus qu’une coquetterie linguistique, le français a imprégné l’anglais à tel point que l’auteur Anthony Lacoudre estime à la moitié la part du vocabulaire anglais issue de notre chère langue française. Le 17 mars 2016, l’auteur donnait une conférence à l’Université Paris Dauphine dans le cadre du programme Brooklyn. Il y détaillait alors les différentes périodes historiques et les divers rafistolages ayant fait de l’anglais une langue very frenchy.

 

Un peu d’histoire

A son origine, l’anglais était une langue celte qui survécut durant des siècles. Mais à la chute de l’Empire Romain, l’Angleterre (appelée alors Britannia) fut envahie par les Angles et les Saxons, des peuples germaniques. Alors, le vieil allemand s’imposa en Angleterre pendant plus d’un demi-millénaire : “Pendant 600 ans, jusqu’à l’invasion de Guillaume Le Conquérant, la langue officielle de l’Angleterre est bien l’Allemand”, affirme Anthony Lacoudre.

Ce n’est qu’à partir de la conquête normande de l’Angleterre et de l’arrivée de Guillaume Le Conquérant au pouvoir, que le français commença à se répandre sur l’île. Seul hic, l’apparition du français se fit contre le gré des Anglais : “La langue française a d’abord été incorporée à l’anglais sous la contrainte : Guillaume Le Conquérant coupait la tête de ses opposants”, précise Anthony Lacoudre. “En 1066, Guillaume Le Conquérant envahit l’Angleterre et fait tuer le roi Harold, dernier roi Anglo-Saxon, et se fait couronner roi d'Angleterre à Westminster. Il fait massacrer entièrement l’aristocratie anglo-saxonne, prend possession de toutes les terres du pays, et la langue française devient alors la langue officielle du royaume pendant 350 ans” poursuit-il. A ce moment-là, le français s’imposa donc comme la langue de l’élite évoluant dans les domaines de l’école, de la communication ou encore du commerce.

Mais lorsqu’arrive la Guerre de Cent ans au 14e siècle, les Capétiens, voyant qu’ils ne parviendraient pas à réunir les deux pays et anticipant la défaite inéluctable de l’Angleterre, décident que le français représente “la langue de l’ennemi (...) et qu’elle ne doit donc plus être la langue officielle du pays.”A partir de 1420, le français est donc délaissé puis remplacé par le vieil anglais, qui entre-temps, s’était déjà imprégné de 10000 mots français. C’est à cette même période que les Anglais décidèrent de latiniser certains mots, comme pour dissimuler le fait qu’ils étaient issus du français : “Les Anglais vivent dans le déni et présentent la partie française de leur langue comme étant latine” s’amuse l’auteur “Or, aucun mot latin n’est rentré en anglais avant le 14e siècle (....) où l'Angleterre s’est tournée vers le latin uniquement pour se distinguer des Français”.

Puis, à partir de la Renaissance, une seconde phase d’intégration du français dans la langue anglaise s’opère. A cette période, la France brille aux yeux du monde pour son excellence intellectuelle et atteint les sommets de son prestige. Il devient alors de bon goût d’ajouter des mots français à son vocabulaire. “La meilleure illustration de cela, c’est Shakespeare, qui était un importateur de mots français, ce qui lui a valu beaucoup d’insultes à l’époque d’ailleurs” ajoute l’auteur. A cette période, la langue anglaise ajoute à son vocabulaire des mots français tels que alphabet, jurisprudence, metal, routine, sensation, toucan, surface, esplanade, education...

Pour Anthony Lacoudre, l’incorporation du français s'étendra jusqu’après la Seconde Guerre mondiale, avec des apparitions de mots nouveaux toujours plus nombreuses dont le champ lexical gravite à l’époque autour des innovations technologiques de guerre : camouflage, téléphone…

 

“Aucune langue vivante n’a été imprégnée à ce point par une autre langue vivante”

Anthony Lacoudre estime que la moitié des mots anglais seraient issus, directement ou transformés, du français. “L’influence linguistique française aura duré 950 ans. Aucune langue vivante n’a été imprégnée à ce point par une autre langue vivante”, précise-t-il. Le français se retrouve en effet jusqu’à la devise du pays “Dieu et mon droit”, fameuse maxime de Richard Coeur de Lion, et dont le blason va jusqu’à afficher des armes françaises aux côtés d’armes anglaises.

L’Allemand n’aura, lui, laissé que très peu de traces à l’anglais moderne : la langue anglaise ne compte "qu’une grosse centaine de mots allemands". Ceux-ci sont, de plus, issus du vieil allemand, une langue qui n’est plus pratiquée du tout en Allemagne. Le français, en revanche, a eu une influence colossale sur l’anglais. L’auteur recense au total près de 250000 mots dans la langue anglaise, dont 25000 seraient issus du français. Bien loin de la moitié, donc ?

Oui, sauf que ce chiffre ne prend pas en compte les déclinaisons, formes ou ajouts de suffixes qui, comptabilisés, multiplient jusqu’à quatre fois ce total. L’auteur, qui décore d’exemples ses démonstrations, illustre son propos avec des mots anglais tels que “mortgage” ou “pinecone”, qui sont en fait le résultat de l’agglomération de deux mots français. Mais il explique aussi que les déclinaisons d’un mot tel que “large”, donnant “larger” ou “largest” ont aussi été comptabilisées. En considérant ainsi le vocabulaire anglais dans sa totalité, celui-ci serait donc bien imprégné à hauteur de la moitié de mots issus du français.

 

Quatre groupes de mots recensés

Anthony Lacoudre distingue quatre groupes de mots, permettant d’identifier les différentes manières dont la langue de Molière a inondé celle de Shakespeare.

Premièrement, il repère ce qu’il appelle les mots “en français dans le texte”. Il s’agit de ces fameux termes, souvent prononcés à la française, qui semblent tant amuser les Anglais, en apportant ce petit “je-ne-sais-quoi” : rendez-vous, vis-à-vis, carte blanche, chauffeur, lingerie, ménage à trois, fait accompli. Ce groupe représenterait approximativement 400 mots seulement, mais constituent les plus connus du grand public.

Ensuite, nous retrouvons les “gallicismes transparents”, qui représentent, eux, environ 1000 mots. Ceux-ci “ont pour caractéristique d’être utilisés tels quels par les Anglais sans savoir qu’il s’agit de français”. Pour la majorité, ce sont des mots simples, des mots de tous les jours tels que agriculture, ambulance, sculpture, orange, page, pollution, journal, urgent, village… “La majorité des mots français qui ont pénétré la langue anglaise sont des mots à usage commun”, précise Anthony Lacoudre.

Le troisième groupe est constitué par les “gallicismes torturés”. Il s’agit ici bien souvent de mots imprononçables pour les Anglais. Ainsi, “bleu” devint “blue”, et “muet” devint “mute”. D’autres mots n'ont pas vu leurs lettres rebattues, mais ont été atrophiés : “véhicule” devint “vehicle”, et “tentacule” devint “tentacle”. Enfin, certaines lettres ont été modifiées, sans explication linguistique viable : “ciment” devint “cement”, “abricot” devint “apricot”. Ces “torturés” l’ont finalement été bien souvent par commodité de prononciation.

Le quatrième et dernier groupe relevé par l’auteur est celui des “mots issus du vieux français”, plus particulièrement du vieux norman. Distinct de la langue française, le norman avait une écriture et une prononciation différente de certains mots, et il est à l’origine de beaucoup de mots de l’anglais moderne. Par exemple, “écran” se disait “escren” en vieux norman, qui donna le mot “screen” en anglais. Aussi, la sonorité -gue se prononçait -we en vieux norman : “regard” devint ainsi “reward” (aujourd’hui “reward” soit récompense en anglais). Le mot “guerrier” était prononcé “werrier” en vieux norman, qui donna “warrior” en anglais (le combattant). Et la liste continue… Ainsi, ce dernier groupe relevé par l’auteur est sans doute celui ayant le plus influencé la langue anglaise : Anthony Lacoudre estime à 12 000 le nombre de mots issus du vieux français ayant enrichi la langue anglaise.

 

What about les faux amis ?

Grands redoutés de l’école primaire et du collège, les faux-amis seraient en fait des mots d’ancien français dont le sens premier aurait été conservé en anglais alors même que le sens avait évolué en France. Anthony Lacoudre prend l’exemple de “noise”, soit “bagarre” en français et “bruit” en anglais, qui, à son origine médiévale, désignait le bruit provoqué par une bagarre. Alors, la France a gardé de cette étymologie la partie belliqueuse tandis que nos voisins d’outre-Manche ont préféré conserver l’aspect sonore du terme. Pour une fois que nos deux pays semblent parvenir à se partager quelque chose d’un commun accord, sans faire trop de noise, cela valait la peine d’être souligné.

 

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