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Qui sont les King’s Cross Steelers, le premier club de rugby inclusif du monde ?

L'équipe des SteelersL'équipe des Steelers
Capture d'écran Youtube
Écrit par Lili Auriat
Publié le 20 octobre 2021, mis à jour le 21 octobre 2021

Notre rédaction est partie à la rencontre des King’s Cross Steelers. Ce club inclusif, ouvert à la communauté LGBT, est basé au East London Rugby Club et ce n’est peut-être pas la première fois que vous en entendez parler. Un film documentaire Steelers: The World's First Gay Rugby Club réalisé par Eammon Ashton-Atkinson a été présenté au Glasgow Film Festival en 2021. Nous avons cherché à en savoir plus sur eux, leur histoire et leur combat.

 

Les Steelers ont vu le jour en 1995. Matthew Webb, président du club depuis 4 ans, est revenu sur la création de ce club avec notre rédaction. « C’est l’histoire de 6 gars avec un amour commun pour le rugby » raconte-t-il « Certains d'entre eux avaient connu des problèmes de discrimination à cause de leur homosexualité dans les anciennes équipes dont ils faisaient partie. Ils ont donc voulu former une équipe de rugby inclusive pour les joueurs gays, un espace où ils pourraient jouer au rugby et vraiment en profiter "

 

De 6 joueurs à une organisation de notoriété publique

Si aujourd’hui le club est « le plus ancien et le plus grand » club de rugby inclusif dans le monde, il a connu des moments difficiles à l’époque de sa création. « Le club avait beaucoup de mal à trouver des membres et des équipes qui acceptaient de les rencontrer en match. C’était les années 1990, l’épidémie du VIH était à son apogée et beaucoup de monde avait peur de jouer contre des joueurs homosexuels, surtout dans un sport de contact comme le rugby ».

Aujourd’hui le club a fait d'importants progrès et est devenu une organisation d’envergure qui leur permet « d’utiliser le rugby pour se faire entendre, pour défendre qui (ils sont), pour être un moteur de changement ».

 

Pourquoi rejoindre les Steelers ?

Ce que ce club veut apporter à ses joueurs, c’est un espace où « ils peuvent rencontrer des gens de leur communauté, se sentir en sécurité. Et c’est un succès car après une longue période de lutte, le nombre de joueurs ne cesse d’augmenter » explique le président. Matthew Webb considère qu’il y avait besoin de ce genre d’organisation dans le monde du rugby dans la mesure où il est « un sport très social, et les joueurs veulent pouvoir profiter de ce côté-là avec des gens qui leur ressemble. Certains ont été victime de discriminations dans d’autres clubs et ne veulent plus vivre ça ».

La fin de la pandémie a relancé la vie du club. « Le Covid nous a montré que la communauté, la famille, ont une importance cruciale. C’est ce que nous sommes : une famille de rugby, où les gens peuvent venir et se sentir en sécurité, rencontrer des amis, des personnes ayant des expériences similaires aux leurs».

En discutant avec les joueurs, on s'aperçoit bien vite que les propos du président se confirment en interne. Chris et Ebenezer ont tous les deux rejoint le club cet été après la fin du confinement. Chris explique « C'était quelque chose qui manquait dans ma vie. J’aime le sport de compétition et c'était vraiment important pour moi que ce soit un club inclusif, une équipe où je puisse trouver des amis gays, des personnes similaires. Quand je jouais avant, j’étais « dans le placard », je n'avais pas l'impression que je pouvais être ouvertement gay, parler de qui je suis ». Son coéquipier renchérit « J'ai joué avec des clubs "habituels" et j'adorais mon ancienne équipe mais pour moi, en grandissant dans ce genre de club, je ne me suis jamais vraiment senti compris et même avec mes amis proches, je cachais une partie de ma vie parce que tu deviens vite le "mec gay" de l'équipe. »

Les Steelers sont aussi un club inclusif et non réservé aux hommes gays. On retrouve donc des joueurs bisexuels, pansexuels mais aussi hétérosexuels. Matthew Webb ajoute que ce sont « des alliés, des amis, de la famille, des personnes qui veulent juste jouer un rugby plus moderne sans masculinité toxique, sans « mâles alpha ». Pour Ebenezer « le plus important c’est l'idée, l'état d'esprit d'inclusion que tout le monde a dans le club ».

 

Avant tout, un club de rugby…

Bien que ce club se veuille plus qu’un club, l’objectif principal reste, lui, de « s'entraîner, de profiter du rugby et de faire du sport » déclare le président. « Nous prenons des gens qui n'ont jamais joué au rugby auparavant, et on leur apprend tout à partir de zéro. Le rugby est très important pour nous ».

Chris montre, lui, que ce club est comme tous les autres clubs car « une fois sur le terrain, la sexualité de la personne qui joue à côté ne fait aucune différence. Si quelqu'un te plaque fort, il te plaque fort. Point. ». Là où le club essaye de faire une différence, c’est dans « la partie sociale, la fraternité hors du terrain car la façon dont nous jouons ensemble, la façon dont nous apprécions la compagnie de l'autre, c’est quelque chose qui se sent pendant un match ».

Matthew Webb conclut « Notre but c’est aussi d’aller jouer à l’extérieur et de montrer que nous sommes comme tout le monde ».

 

…mais aussi bien plus qu’un club pour certains

Pour certains joueurs comme Ebenezer, ce club a été l’occasion de se faire « de nouveaux amis, des gens comme moi. Avant, j'étais toujours dans des environnements hétérosexuels et je n'ai jamais ressenti de problème avec cela, mais en venant ici, j'ai commencé à exister dans un environnement gay et ça m’a donné confiance en moi. Bien sûr, je n'aime pas tout le monde dans une équipe de 120 personnes mais ce club est un environnement social massif où se créent de vraies amitiés. Ça a été une nouvelle expérience pour moi. En peu de temps, le club a joué un rôle très important dans ma vie et mon bien-être mental. »

 

Les Steelers, leader dans un rugby plus inclusif

Si les Steelers sont le premier club de rugby inclusif, il en existe aujourd’hui entre 80 et 90 à travers le monde. Il en existe sept en France, d’autres dans le reste de l’Europe et on en retrouve aussi en Amérique, au Japon, en Australie, en Nouvelle Zélande…Une organisation, l’International Gay Rugby (IGR) a été créée pour représenter tous ces clubs.

« Les relations sont très régulières entre les clubs » témoigne Matthew Webb. « Les Steelers sont l'un des 7 clubs fondateurs de cette organisation. On a donc un leadership naturel puisque nous sommes le plus vieux et le plus grand des clubs, mais il y aussi un peu de rivalité et de jalousie entre les clubs », admet-il. « Dans le passé, les nouveaux clubs ont demandé des conseils aux Steelers lors de leur création, surtout l'équipe de Brighton. Mais aujourd’hui ils se tournent vers l'IGR qui leur apporte beaucoup de soutien et nous, nous aidons quand nous le pouvons ».

Chaque année sont organisés plusieurs tournois internationaux entre ces clubs auxquels les Steelers participent : La Union Cup en Europe et le Bigham Cup, à l’échelle internationale.

 

Les Steelers, l’histoire d’une lutte contre les discriminations dans le sport

Matthew Webb nous décrit le rugby comme « un sport très tolérant où toutes les tailles, toutes les formes, toutes les origines sont acceptées, mais qui ne célèbre pas vraiment les différences, le fait d’être issu d’une minorité…, il doit continuer de changer ». Chris confirme : « personnellement, je n’ai jamais rencontré aucun problème dans une équipe. Le rugby est un sport de gentleman, ce n’est pas le type de sport où les gens s'insultent. »

Les Steelers, faisant partie de la structure RFU, ont commencé leur saison comme toutes les autres équipes au mois de septembre. Matthew Webb raconte que les incidents homophobes sont « très rares mais arrivent encore, pas uniquement chez les Steelers, dans les autres clubs dans le monde aussi. La société a un vrai problème avec le langage et le respect envers les personnes gays. ». Dans la majorité des incidents il explique que « les coéquipiers demandent à la personne problématique d’arrêter, de se taire. Mais parfois, il y a besoin d’aller plus loin et d'impliquer l'arbitre. Heureusement, la situation est très différente aujourd’hui qu’il y a 25 ans parce que les joueurs se sont battus pour montrer qu’ils étaient sérieux avec le rugby. »

Ebenezer rejoint le président : « Le sport se construit dans un monde hétéronormé qui implique beaucoup de discriminations, envers les gays mais aussi envers les femmes par exemple. C’est juste le monde dans lequel nous vivons. Peu de situations de discrimination nous arrivent ici, mais quand elles arrivent, ce sont aussi des moments vraiment positifs où l'équipe vous défend et vous protège. C'est bien de voir que votre équipe est derrière vous. Ce genre de choses s’est produit dans mon équipe « hétero » tout comme dans mon équipe inclusive. Quand il y a des soucis de discriminations, l'entraîneur insiste pour les signaler parce que la ligue dans laquelle nous jouons fait tous les efforts possible pour s'assurer que nous nous sentons en sécurité dans ce sport. »

 

L’homosexualité dans le monde du rugby

« Le monde du rugby a fait de grandes avancées dans le domaine de la tolérance mais, avouons-le, si vous regardez les équipes professionnelles de rugby, il y a si peu de gays que cela doit signifier quelque chose, que des discriminations existent toujours » analyse Chris.

Officiellement, aucun joueur professionnel n’a encore osé faire son coming out durant sa carrière. D’après une étude réalisée par le cabinet Olivier Wyman auprès de 385 joueurs et membres des staffs dans des clubs de rugby professionnels, 87 % des personnes interrogées estiment qu’il est difficile d’être homosexuel dans ce milieu et 75 % qu’il est même difficile d’y parler d’homosexualité. Le seul joueur à avoir révélé publiquement son homosexualité a été l’ancien capitaine du l’équipe du Pays de Galles et des Lions britanniques, Gareth Thomas, qui a fait son coming out à 35 ans, une fois à la retraite. "Ça a été vraiment difficile pour moi de cacher qui je suis vraiment et je ne veux pas que ce soit comme ça pour le prochain jeune qui veut jouer au rugby. (…) Je veux envoyer un message positif aux autres homosexuels, qu’ils sachent qu’ils peuvent le faire aussi » confiera-t-il après avoir expliqué que le fait de cacher son identité l’avait parfois conduit à avoir des pensées suicidaires.

Le célèbre arbitre Nigel Owens a lui aussi essayé d’attenter à sa vie alors qu’il cachait son homosexualité. Il décrit son coming out public en 2007 comme « formidable », « impossible à décrire », « comme une nouvelle naissance ». « J'ai été accepté par 99% des gens dans le rugby, mais il y aura toujours ce un pour cent. » regrette-t-il. « En tant qu'homosexuel, j'ai malheureusement subi des abus homophobes au cours de ma carrière ». Le monde du rugby a donc encore des progrès à faire pour voir disparaître les discriminations envers les homosexuels. « Il y aura toujours un petit nombre d'intimidateurs » conclut Nigel Owens « Ils sont en minorité, mais ils ont un impact énorme sur la vie des gens, et ils ne devraient pas. Ce que les gens doivent savoir, c'est qu'ils ne doivent pas avoir peur. »

En France, pour lutter contre ces problèmes, la Ligue nationale de rugby a mis en place depuis 2020 un programme « #PlaquonsLHomophobie » en partenariat avec le magazine Têtu. Elle organise ainsi des ateliers dans des clubs afin de sensibiliser les joueurs sur le tabou de l'homosexualité, encore trop présent.

 

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