Établissement d’excellence, le Lycée International de Londres Winston Churchill s’appuie sur le bilinguisme pour proposer un programme complet à ses élèves. Camie Steuer, coordinatrice pédagogique du primaire et professeure de Petite section de maternelle, revient sur cette méthode d’apprentissage qui se révèle être un cadeau pour les enfants, et ce dès trois ans.
Camie, pouvez-vous nous expliquer comment le bilinguisme se développe au Lycée International de Londres Winston Churchill ?
Notre établissement propose plusieurs systèmes pour aider à l’apprentissage de deux langues. Les enfants qui entrent à l’école en Petite et Moyenne section pratiquent un bilinguisme complet. Cela signifie qu’une enseignante française et une professeure anglaise sont présentes dans la classe pour l’ensemble des activités. Tous les enseignements se réalisent simultanément en langue anglaise et française. Les enfants baignent donc dans les deux langues tout le temps avec des professeurs qui enseignent dans leur langue native.
Pour être concret, nous partons en général de la découverte d’un ouvrage bilingue, que nous allons lire en français puis en anglais et vice versa. S’il s’agit de cuisine, nous allons apprendre aux uns et aux autres comment on traduit un œuf, du beurre ou de la farine dans l’autre langue. Toujours sur la thématique du livre, après le vocabulaire, nous allons faire un peu de mathématiques en français et le même exercice tout de suite en anglais, pour qu’il se crée une connexion entre les deux langues.
Lorsque les enfants passent en Grande section, ils étudient le matin en anglais et l’après-midi en français, ou inversement. C’est aussi du bilinguisme car les enfants continuent d’entendre les deux langues dans la journée, et les enseignants travaillent en étroite collaboration. La méthode est vraiment adaptée à l’âge des enfants.
En quelle langue les enfants interagissent-ils entre eux ?
Cela dépend des classes. Cette année, en Petite section, j’ai une majorité d’enfants bilingues, et plutôt issus de familles francophones. Donc ils vont plutôt avoir tendance à jouer en français. Mais dès qu’un enfant plus anglophone va se joindre à eux, ils vont directement s’adresser à lui en anglais. Cela va vraiment dépendre des années, et de la proportion d’élèves anglophones ou francophones. J’ai par exemple le petit Pierre qui vient d’arriver de France cette année et qui ne parle absolument pas anglais. Quand les enfants vont jouer avec lui, ils vont tous faire l’effort de s’adresser à lui en français, s’ils le maîtrisent bien sûr.
Ils sont même beaucoup plus flexibles que nous. Lorsque les enfants plus anglophones m’adressent la parole, ils font l’effort de me dire ‘merci’, ‘s’il te plaît maîtresse’… même si le reste qui suit est en anglais, surtout au début. Ils savent qu’avec maîtresse Camie on parle français et qu’avec maîtresse Erin on parle anglais. Ils ont cette incroyable faculté d’adaptation, de passer d’une langue à l’autre et encore plus pour les enfants bilingues. C’est notamment le cas des enfants francophones dont les familles sont à londres depuis plusieurs années et qui ont fait leur “nursery” dans le système anglais. Ils ont du coup déjà grandi avec les deux langues depuis tout petits.
Pour eux, l’intégration d’une seconde langue semble naturelle. Ils apprennent sans s’en rendre compte ?
Exactement. Et c’est dans cet objectif que nous recommandons le bilinguisme dès la maternelle. À cet âge, ils sont tous très heureux de venir à l’école, de voir leurs copains et leurs maîtresses - le lien est très fort avec les enseignants, en particulier en maternelle - et Ils ont cette volonté de bien faire et de faire plaisir. Ils ne se posent finalement aucune question. Les enfants qui intègrent plus tardivement un cursus bilingue pourraient avoir plus de difficultés scolaires. En grandissant, les enfants prennent conscience de leurs lacunes et peuvent se sentir dévalorisés. Cependant, avec le bon état d’esprit et notre accompagnement, l'apprentissage de la nouvelle langue se déroule parfaitement !
J’imagine que beaucoup de spécialistes ont travaillé sur la question du bilinguisme. Quels ouvrages conseillez-vous aux parents qui s’interrogent sur cette méthode d’apprentissage ?
J’ai à l’esprit une étude menée en 2019 par l’Institut d’apprentissage des sciences du cerveau de l’Université de Washington qui déconstruit les idées reçues, notamment sur les retards de langage potentiellement dus au bilinguisme. Les parents pensent souvent que l’enfant parlera plus tard car il devra assimiler le même mot dans deux langues différentes. Un enfant de deux ans et demi qui parle une seule langue peut maîtriser environ 300 mots, tandis qu’un élève bilingue du même âge utilise également 300 mots, mais de manière indistincte entre les deux langues.
Il faut en être conscient, mais cette situation n’est toutefois pas la norme, et la majorité des élèves qui se forment au contact du bilinguisme n’ont pas plus de difficultés de langage. Ils réussiront de toute façon à obtenir leurs diplômes sans soucis. Il s’agit seulement d’une différence de vitesse de développement.
Autre écrit intéressant : le classique Raising a Bilingual Child, de Barbara Zurer Pearson est l’une des références en matière de bilinguisme. Je conseille aussi aux parents de lire le guide pratique Comment éduquer un enfant bilingue ? qui est disponible gratuitement en ligne. Grâce à de nombreuses activités, il donne de multiples pistes pour bien élever son enfant dans un cadre bilingue.
Justement, quels sont les avantages du bilinguisme pour le développement de l’enfant ?
Grâce à l’apprentissage conjoint de deux langues, les enfants bilingues développent la flexibilité de leur cerveau et améliorent leurs performances dans les tâches exécutives. En basculant d’une langue à l’autre, leur esprit a l’habitude d’une certaine gymnastique. Ils parviennent à lire un peu plus rapidement, grâce à leur conscience phonologique plus développée. Ils sont également meilleurs en résolution de problèmes mathématiques, car changer de langue en permanence est déjà un problème qu’ils résolvent quotidiennement.
Lorsqu’ils ne connaissent pas un mot dans une langue, ils doivent le remettre dans le contexte pour l’identifier, analyser la gestuelle de l’enseignant pour le comprendre… Toute une gymnastique se met progressivement en place, et leur permettra ensuite de solutionner plus facilement les problèmes dans les matières scolaires. Mais ce n’est pas le seul avantage, puisque les enfants bilingues se montrent aussi plus ouverts sur le monde. La culture de la différence fait partie intégrante de leur apprentissage.
Sur quel programme les enseignants s’appuient-ils pour transmettre leurs savoirs aux élèves, notamment en maternelle ?
Notre curriculum s’inspire de celui utilisé en Angleterre, communément appelé l’EYFS (Early Years Foundation Stage), tout en l’ajustant pour qu’il convienne au programme français. En Petite et moyenne section, nous privilégions une méthode pédagogique libre, qui laisse de la place à l’apprentissage par le jeu, mais qui reste très structurée. Nous construisons actuellement notre propre programme en combinant les meilleurs aspects des cursus anglais et français. Tout en respectant les grands axes d’apprentissage, les enseignants pourront s’adapter aux besoins et à la curiosité des enfants.
Les enfants qui ne parlent pas français peuvent aussi intégrer l’école ?
Tout à fait. Nous accueillons d’ailleurs de plus en plus de familles anglophones, car les bienfaits du bilinguisme s’étendent au-delà de l’intérêt d’apprendre une autre langue. Cette année, en maternelle, sur les quatorze élèves de la classe, cinq familles ne parlent pas français en dehors de l’école. Nous accueillons par exemple une petite fille dont la mère est Malaisienne et le père Hollandais. Pour elle, l’anglais est donc sa troisième langue, et le français sa quatrième !
En plus de lui offrir une chance inouïe, ses parents pourront, s’ils le souhaitent, l’inscrire dès la classe de sixième dans la filière internationale de notre école qui propose de suivre un cursus en anglais aboutissant au diplôme de l’IB (international baccalaureate). Certains enfants peuvent parfois décider d’aller dans le système scolaire anglais et ce, sans difficultés majeures. Ils conservent alors leur connaissance de la langue française qui pourra leur être utile pour leurs études supérieures ou pour le passage d’examens divers.
Quel soutien mettez-vous en place pour les élèves anglophones ?
À partir de la Grande section et jusqu’au CM2, ces enfants bénéficient de cours de FLE (français langue étrangère, ndlr). Par petits groupes, et à raison de deux à trois fois par semaine, un professeur leur apporte une aide en vocabulaire et en grammaire afin qu’ils maîtrisent les bases de la langue française. Ce soutien leur permet aussi de mieux s’intégrer auprès de leurs camarades bilingues. Nous mettons tout en place pour faciliter l’adaptation des enfants anglais dans ce nouvel environnement. Et c’est évidemment très apprécié par les familles et hautement bénéfique pour les enfants.
Vous accueillez de plus en plus d’enfants dont les parents ne sont ni Anglais, ni Français ?
C’est exact. Et les apprentissages ne posent pas forcément plus de difficultés ! Je peux vous donner l’exemple de Marco qui, à son arrivée à l’école, ne parlait presque pas français. Cinq mois plus tard, il était devenu parfaitement bilingue. C’est le cas également de Magda, dont la mère est Polonaise et le père Roumain, et qui a parfaitement réussi son intégration. Un autre élève de Moyenne section, qui parle déjà le mandarin et l’allemand, apprend désormais le français et l’anglais dans notre établissement. La dimension de notre « Lycée International » prend alors tout son sens, avec un rayonnement bien plus cosmopolite maintenant qu’à l’ouverture.