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Covid-19 : et si Albert Camus était là pour nous livrer ses pensées ?

Albert Camus confinement Albert Camus confinement
Écrit par Luther Beaumont
Publié le 6 avril 2020, mis à jour le 20 septembre 2021

Face à la crise que nous traversons, l'aspect le plus élémentaire de la décence de nos actes s’est révélé. Mais cela ne peut être suffisant quant à la construction d'une société saine et juste, n’est-ce pas Monsieur Camus…

L'épidémie a remis en cause toutes les certitudes ou convictions admises sur le plan économique, en faisant apparaître une solidarité sociale entre les individus. Ce dont nous avons tous besoin désormais, c'est que les politiques fassent évoluer leurs actions en ce sens.

« Nos concitoyens s'était mis au pas, ils s'étaient adaptés, comme on dit, parce qu'il n'y avait pas moyen de faire autrement ». Tels sont les mots du Docteur Rieux, personnage central du roman « La peste » d'Albert Camus, écrit en 1947. La morale du roman, et plus globalement celle plébiscitée par l'œuvre de Camus, réside dans l’importance que l’auteur concède à la décence des décisions que nous sommes amenés à prendre tout au long de notre vie.

Camus se serait sûrement félicité des choix remplis de morale, effectués par la plupart des populations dans la gestion de cette épidémie. Cela pourrait même être associé à un rayon de soleil en comparaison à certains de nos comportements pour le moins étranges comme par exemple dans les rayons des supermarchés dans lesquels certains se sont précipités pour vider les rayons ou sur les plages bondées alors que la consigne destinée à nous faire rester chez nous avait déjà été annoncée.

À ce jour, prenant en considération la violence avec laquelle nos existences ont pu être bouleversées, la façon dont nous avons du brider nos comportements, ainsi que la célérité dans laquelle ces changements ont pu nous être imposés, il est extraordinaire que la population ne se soit pas révoltée contre ces nouvelles mesures sociales. Il est encore plus fabuleux d'observer que la grande majorité de la population ait pu s'exécuter si volontiers. Les rayons vides dans les supermarchés illustrent la véracité des exhortations officielles. Pour autant, le nombre de personnes ayant constitué des stocks pharamineux est faible. Nous sommes pour la plupart cloisonnés à la maison plutôt que sur notre lieu de travail. Tellement de restaurants et de cafés sont fermés. La population consomme de plus en plus différemment, en se rendant de moins en moins souvent dans les magasins, mais en achetant de plus grandes quantités. Ironiquement, ce sont davantage nos obligations sociales que notre potentiel égoïsme qui vident les rayons des magasins.

Mais si l'épidémie a permis de mettre en lumière, dans bon nombre des cas, le bon sens de la population, cela aura aussi permis d’illustrer les différences de points de vue d'une personne à l’autre. Un sondage “YouGov” a démontré que 93 % de la population soutient les mesures gouvernementales prônant l’éloignement social, et que quasiment autant redoutent que les autres ne les prennent pas suffisamment au sérieux, à l’image de la désobéissance observée dans les parcs londoniens ce week-end.

Cela reflète en partie ce qui peut aller de paire avec une épidémie. L'historien américain Jill Lepore énonça un commentaire de l'œuvre de Camus : « Contrairement aux habituels scénarios apocalyptiques, au travers desquels l’ennemi peut s’avérer chimique, volcanique, ou sismique. L’ennemi se trouve être dans ce cas les autres ».

Ceci ne se vérifie pas seulement dans la fiction, mais aussi en tant que faits réels survenant pendant l’épidémie. Tant de la part des médias que de la population, nous semblons allouer plus d'importance aux comportements de quelques idiots plutôt qu'à la décence dans laquelle la majeure partie de la population s'est inscrite. Comme si cela demeurait la représentation de la nature humaine.

Et si le problème venait finalement des autres ?

Cette tendance quant au fait de percevoir autrui comme le problème, est issue d'une perception plus atomisée de notre société. Et c’est en cela que se manifeste le paradoxe entre cet élan de sollicitude sur le plan communautaire, symbolisé par le demi-million de personnes s’étant portées volontaires pour aider le NHS, et cet espèce de ressenti obscur lié à la perception de comportements irresponsables qui tendraient à remettre en question cette solidarité grandissante. L’éloignement social est la principale expression de la solidarité qui touche la population. Il serait même question du symbole majeur de cette solidarité en cours.

Le paradoxe peut aussi s'observer, au travers des réajustements politiques, tout particulièrement dans l’inversion du rapport de force entre la société et l’état. En l'espace de quelques semaines, les gouvernements à l'ouest comme à l’est de l’Atlantique, ont abandonné les politiques perçues jusque là comme de véritables saints sacrements sur le plan économique. Les mêmes analystes qui ont préconisé pendant des années la constitution de gouvernements plus réduits, ainsi que la réduction de la dette, encouragent désormais les autorités à adhérer pleinement aux principes de l’idéologie socialiste. Et ce, afin de préserver l’économie de marché. Un parlementaire du parti conservateur a déclaré au journaliste Robert Peston que le gouvernement se trouvait être en train : « de mettre en œuvre quasiment l’intégralité du programme de Jeremy Corbyn ». Le tout, après que Corbyn se soit littéralement fait humilier lors des dernières élections.

« L’état omniprésent est de retour »

C’est ce que faisait observer le magazine « The Economist ». Mais d'une façon différente de ce qui a pu être observé dans le passé. Pendant la période qui a suivi la seconde guerre mondiale, les principes Keynésiens avaient été mis en œuvre, en partie du moins, par un gouvernement de gauche mis au pouvoir par l’intermédiaire d’un engouement populaire considérable. L’état omniprésent des temps actuels, est composé de politiciens qui, pas plus tard que lors des dernières élections, prônaient ardemment l’austérité. Il ne nous reste plus, cloîtrés à la maison, qu’à nous délecter de ces conférences de presse durant lesquelles les nouvelles mesures sociales nous sont présentées.

Dans son roman, Camus développe la nécessaire action individuelle et collective sous forme d’engagement. Il n’en attend pas une efficacité, mais plutôt un surcroît de dignité. Le personnage du docteur Rieux est un être humain parce qu’il n’a pas succombé au sortilège du renoncement.

La bienséance est un composant indispensable dans le maintien d’une bonne structure sociale, mais cela ne peut être suffisant. Au delà de cette pudicité de la population, il y a le comportement de notre gouvernance. De quelle façon la décence de la population va-t-elle pouvoir s’exprimer ? Vers quel type de structure sociale cela peut-il bien nous mener ? Cela dépendra des volontés et aspirations de nos politiques dans leur gestion de tout ce qui va devoir être solutionné collectivement.

Lorsque nous n’aurons plus à rester éloignés les uns des autres, nombreuses sont les questions que nous devrons nous poser. Qu’en sera-t-il de l’énergie déployée pour s’aider mutuellement ? De celle animant les volontaires du NHS ? De celle dépensée par les banques alimentaires ? Ou encore de celle nous faisant mettre nos quotidiens en suspens pour le bien commun ?

 

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