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Victor Hugo à Jersey et Guernesey, de l’exil à la renaissance littéraire

Lepetitjournal.com vous entraîne sur les pas de Victor Hugo, poète en exil, guidé par Gérard Audinet, directeur des Maisons Victor Hugo. Cap sur Jersey et Guernesey, îles battues par les vents et bercées par les marées, qui ont façonné l’homme, l’écrivain et le dessinateur engagé.

Victor HugoVictor Hugo
Écrit par Hermine Pinoteau
Publié le 28 mai 2025, mis à jour le 29 mai 2025

 

Jusqu’au 29 juin 2025, les Maisons Victor Hugo et la Bibliothèque nationale de France vous invitent à un voyage littéraire et artistique hors du temps à travers une exposition inédite consacrée aux dessins de Victor Hugo à la Royal Academy of Arts.

 

Victor Hugo, au-delà des mots : une plongée dans ses dessins à la Royal Academy

 

À cette occasion, Lepetitjournal.com revient sur l’un des chapitres les plus marquants de la vie du poète : son exil sur les îles anglo-normandes de Jersey et Guernesey, qu’il magnifie notamment dans Les Contemplations : “S’il y avait de beaux exils, Jersey serait un exil charmant. C’est le sauvage et le riant marié au beau milieu de la mer dans un lit de verdure de huit lieues carrées.”  

 

Un exil qui fut à la fois un déchirement et une source d’inspiration, tant pour l’homme que pour l’artiste. Gérard Audinet, directeur des Maisons de Victor Hugo à Paris et Guernesey, nous a offert sa précieuse expertise littéraire et historique sur cette période fondatrice et cette figure incontournable du Panthéon français.

 

Jersey, premier refuge d’un proscrit révolté

 

Suite au coup d’État de Napoléon III en décembre 1851, Victor Hugo est contraint de prendre le chemin de l’exil. Après un bref séjour à Bruxelles, il se réfugie à Jersey, puis Guernesey, où il restera pendant près de deux décennies, accompagné de sa famille et de sa maîtresse Juliette Drouet.

 

Dans ses carnets du 22 janvier 1852, Hugo exalte l’exil comme un acte de foi : “J’aime la proscription, j’aime l’exil, j’aime mon galetas de la grande place, j’aime la pauvreté, j’aime l’adversité, j’aime tout ce que je souffre pour la liberté, pour la patrie et pour le droit; j’ai la conscience joyeuse”.

 

Mais comme le souligne Gérard Audinet, cette glorification éclipse une réalité plus complexe : “L’exil est une souffrance, et le restera. Victor Hugo est profondément patriote, viscéralement attaché à la France. Il souffre d’être à l’étranger, mais cette épreuve le rend à l’écriture. Il y trouve une paix propice au travail.”

 

Victor Hugo Jersey
Victor Hugo à Jersey sur le rocher dit "des proscrits", par Charles Hugo en 1853, BNF

 

Un choix dicté par les circonstances

 

Contrairement à d’autres exilés français, Victor Hugo refuse de s’installer à Londres, au grand dam de sa famille, “qui aurait préféré un exil plus mondain.” “Il ne veut pas se perdre dans les luttes intestines des factions politiques. Il fuit le grenouillage politique londonien”, explique Gérard Audinet.

 

Ainsi, le 5 août 1852, Victor Hugo débarque à Jersey, accueilli en héros par les habitants et les proscrits déjà présents. Dans Les Contemplations, il décrit la superbe de ces paysages : “Nous sommes ici dans un ravissant pays; tout y est beau ou charmant. On passe d’un bois à un groupe de rochers, d’un jardin à un écueil, d’une prairie à la mer. Les habitants aiment les proscrits. De la côte on voit la France.”

 

Le choix de cette destination n’est pas fortuit. “À Bruxelles, il redoute les actions de la police secrète de Napoléon III et il lui est interdit de s’exprimer politiquement. Or, Hugo refuse de se taire et veut continuer son combat”, raconte Gérard Audinet. Jersey s’impose comme un compromis idéal : “Proche de la France, francophone et la vie y est peu chère, un critère déterminant pour Victor Hugo, qui a perdu ses revenus et ses droits d’auteur après son exil.”

 

Guernesey, sanctuaire d’un imaginaire littéraire et graphique

 

Expulsé de Jersey en 1855 pour avoir critiqué la reine Victoria qui s’est rapprochée diplomatiquement de Napoléon III, Victor Hugo trouve refuge à Guernesey, où il achète sa première maison : Hauteville House. Il y trouve un havre de création, un lieu habité par l’océan, la lumière et le silence.

 

“Les paysages presque mystiques de Guernesey imprègnent profondément son œuvre, tant littéraire que graphique. Dans ses dessins comme dans ses textes, on retrouve l’omniprésence de la mer, les jeux de lumière brumeuse, cette nature à la fois menaçante et sublime”, observe Gérard Audinet.

 

Ce que la plupart ignorent, c’est que Victor Hugo est aussi un dessinateur prolifique. Plus de 4.000 dessins témoignent d’un imaginaire visuel puissant. Comme le précise Audinet : “Hugo voulait être connu comme écrivain. Ses dessins relevaient pour lui de l’intimité, ils étaient réservés à ses proches et lui-même, même s’il avait conscience de sa qualité en tant que dessinateur.”

 

Le gai château, 1847
Le gai château, Victor Hugo, 1847

 

Une renaissance littéraire “hugolienne”

 

Loin de Paris, Hugo entame l’une des périodes les plus fécondes de sa carrière. À Jersey, il achève Les Contemplations, à Guernesey, il inaugure la seconde partie de son œuvre, plus engagée, plus “hugolienne” : Les Misérables, Les Travailleurs de la mer, L’Homme qui rit, La Légende des siècles, William Shakespeare...

 

Dans Les Travailleurs de la mer, il consacre un volume entier, L’Archipel de la Manche, à la description de ces îles anglo-normandes. Dans L’Homme qui rit, il dépeint sur plusieurs centaines de pages, avec une précision presque scientifique, les tempêtes, les falaises, les courants... “Il avait une telle capacité d’observation et d’imagination qu’il anticipait même parfois des découvertes de la science moderne”, souligne Gérard Audinet.

 

La Durande, Victor Hugo, 1866
La Durande, Victor Hugo, 1866

 

“Nationaliste cocardier”, entre rejet et admiration littéraire de l’Angleterre

 

Si Hugo choisit de s’exiler sur “ces morceaux de la Gaule”, c’est aussi parce qu’il les perçoit comme “davantage normandes que britanniques”, explique Gérard Audinet. Une nuance géographique qui reflète une réserve plus profonde à l’égard de l’Angleterre, dont il refusera toujours d’apprendre la langue.

 

Audinet explique ce ressentiment par l’histoire familiale de l’écrivain : “Les Anglais sont les vainqueurs de Waterloo. Or le père de Victor Hugo était officier de l’armée impériale, qui a combattu pour Napoléon Ier, notamment pendant la campagne de France. Il y a chez Hugo une forme de nationalisme cocardier qui s’accorde mal avec l’Angleterre.”

 

Pourtant, ce rejet n’empêche pas l’admiration sincère d’Hugo pour une figure majeure de la littérature britannique : William Shakespeare. Lorsque son fils François-Victor entreprend la première traduction intégrale des œuvres du dramaturge, Victor Hugo accepte d’en rédiger la préface. Mais fidèle à son souffle lyrique, il livre bien plus qu’un simple texte introductif : un ouvrage entier, William Shakespeare.

 

L’Angleterre devient aussi un décor de son imaginaire littéraire, notamment dans L’Homme qui rit, situé sous le règne de la reine Anne, où Hugo dresse un tableau critique de la société anglaise et de ses injustices sociales.

 

Victor Hugo
Victor Hugo à Jersey sur le rocher dit "des proscrits", par Charles Hugo en 1853, Musée d'Orsay 


C’est finalement dans Ce que c’est que l’exil, que Victor Hugo offre l’une de ses plus belles métaphores sur cette dualité, mêlant grandeur lyrique et colère politique : “Puisqu’il est au bord de la mer, qu’il en profite. Que cette mobilité sous l’infini lui donne la sagesse. Qu’il médite sur l’émeute éternelle des flots contre le rivage et des impostures contre la vérité (...) Qu’il regarde la vague cracher sur le rocher, et qu’il se demande ce que cette salive y gagne et ce que ce granite y perd."

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