Édition internationale

Anne Berest : “Être traduite en anglais, c’est une chance qu’il faut honorer”

Anne Berest, l'autrice française est venue présenter Gabriële, un livre coécrit avec sa sœur Claire Berest dans la librairie Hatchards à Piccadilly, récemment traduit en anglais. À la veille de sa participation au festival Beyond Words, elle confie : “C’est très difficile pour un écrivain français d’être traduit, car l’édition anglophone propose déjà une profusion de livres dans sa langue. Une traduction coûte cher à un éditeur, et le marché est très concurrentiel. Alors, être traduite en anglais c’est une chance qu’il faut honorer.”

Anne BerestAnne Berest
Actuellement en tournée mondiale, Anne Berest est venue présenter son tout nouveau livre à Londres : Gabriële. L'autrice a parcouru les mémoires de son arrière grand-mère, figure de l'art du 20 ème siècle.
Écrit par Morat Alizée
Publié le 20 mai 2025, mis à jour le 22 mai 2025

Le 8 mai, dans la librairie Hatchards, nichée au cœur de Piccadilly, Anne Berest s’apprête à rencontrer ses lecteurs. Déjà venue en Angleterre à l’occasion de la sortie de La Carte Postale, l'autrice revient aujourd’hui avec Gabriële, un ouvrage rédigé bien plus tôt, mais qui bénéficie de la dynamique initiée par ce premier triomphe. « C’est dans l’énergie de ce succès que Gabriële a vu le jour en anglais », confie-t-elle. À mesure que son lectorat anglophone s’élargit, Anne Berest tisse des liens forts avec ce nouveau public : « parfois, ce sont de nouveaux lecteurs, parfois des fidèles. C’est très agréable de créer cette proximité. » Dans un marché anglo-saxon saturé de publications, convaincre un éditeur d’investir dans une traduction relève souvent de l’exploit. Et pourtant, elle connaît ce « miracle » pour la seconde fois. La Carte Postale avait déjà séduit au-delà des frontières francophones : « j’ai eu la chance de vivre un beau succès aux États-Unis et en Angleterre. C’est cette énergie qui a permis à Gabriële de voir le jour en anglais, même si ce livre avait été écrit bien avant », exprime-t-elle.

 

Anne Berest : un lien précieux avec les lecteurs

Ce n’est pas la première fois qu’Anne Berest échange avec un public anglophone, mais chaque rencontre reste singulière. « Le public évolue, s’élargit. Il y a parfois des visages familiers, et c’est très émouvant. Ce sont des liens doux, profondément humains. » Ce soir, elle espère transmettre non seulement la richesse de la vie de Gabriële Buffet-Picabia, mais aussi la joie d’avoir écrit à quatre mains, en famille. « J’imagine un moment chaleureux. J’ai envie de raconter Gabriële, de partager notre démarche d’écriture. »

La part des femmes dans l’histoire de l’art a souvent été effacée par les historiens. Ce livre, c’est une manière de lui redonner sa juste place.

Gabriële : une héroïne oubliée, une histoire familiale

Gabriële, c’est le nom de leur arrière-grand-mère. Les sœurs Berest retracent la vie de leur ancêtre, Gabriële Buffet, femme libre, intellectuelle influente, théoricienne de l’art, brillante, avant-gardiste... Autant de mots pour décrire cette femme aux multiples facettes. Longtemps restée dans l’ombre des artistes qu’elle a inspirés, elle a traversé le XXe siècle dans l’ombre de grands noms masculins. “La part des femmes dans l’histoire de l’art a souvent été effacée par les historiens. Ce livre, c’est une manière de lui redonner sa juste place. Aujourd’hui, un jardin porte son nom à Paris, et de jeunes chercheurs s’intéressent à son travail.” 

L’écriture de ce roman a été un véritable travail d’archives : “nous avons travaillé comme des universitaires : recherches bibliographiques, entretiens avec des spécialistes, collecte de témoignages… C’est en tombant par hasard sur une biographie qu’on a découvert sa vie incroyable.” Mais plus qu’un travail d'historienne, Anne Berest revendique une écriture de romancière. Elle parle de “romans vrais”. Tous les faits sont justes, vérifiés, relus par des spécialistes, “mais je les raconte avec le souffle du roman” confie-t-elle.

Au-delà de l’écriture, c’est une histoire familiale qui s’écrit. “Nous avons retrouvé nos cousines, qui possédaient des documents inédits, jamais consultés par les historiens. Nous avons recueilli plus de 800 pages de notes avant de transformer cette matière en roman”, raconte Anne Berest. Le projet, né d’un désir de “jouer à deux” comme dans leur enfance, s’est transformé en une aventure familiale bouleversante. L’écriture à quatre mains s’est faite naturellement. Ensemble, les deux sœurs ont mené une enquête historique qui a resserré les liens familiaux : “En découvrant Gabriële, nous avons offert à notre mère une part de son histoire qu’elle ignorait. Ce n’est pas elle qui nous a transmis notre héritage, c’est nous qui le lui avons transmis.”

 

“Choisis toujours la plus grande vie”

Que dirait Anne Berest à la jeune femme qu’elle était à 20 ans ? Elle réfléchit : « Je lui dirais : crois en toi et travaille beaucoup. Même si tu penses que les autres sont plus talentueux, mieux entourés… ce qui fait la différence, c’est le travail. » Si elle devait changer quelque chose ? « J’effacerais l’inquiétude. L’angoisse qui me rongeait, ce sentiment que je n’y arriverais jamais. Mais en même temps, c’est aussi ce qui m’a poussée à travailler. »

Un sourire traverse son visage. « Je me dirais : fais moins attention à ce que les autres pensent de toi. Il y aura toujours quelqu’un pour te critiquer. Va vers ceux qui te désirent. Et choisis toujours la plus grande vie, celle qui fait un peu peur. On ne le regrette jamais. »

Après Gabriële, Anne Berest poursuit son exploration des mémoires familiales. Son prochain roman, Finistère, paraîtra en septembre. Il s’intéressera cette fois au côté paternel de sa famille : « Une autre histoire, d’autres récits passionnants que j’ai hâte de partager. » Ce soir-là, devant le public londonien, elle a raconté le destin singulier de Gabriële Buffet. Un moment suspendu entre mémoire, littérature et transmission.

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