Par-delà les clés de lecture précieuses procurées pour appréhender l’affaire Sasha Johnson, ma conversation avec Ngozi Fulani s’est laissée bercer au fil de digressions passionnées, sur l’action menée par Sistah Space, qu’elle préside, sur fond de lutte anti-raciste.
En premier lieu, pouvez-vous nous rappeler le rôle de Sistah Space au Royaume-Uni ?
Nous sommes une œuvre de charité qui accueille les victimes de violences domestiques, sous contrat avec le département du maintien de l’ordre et du crime à la mairie de Londres. L’équipe se compose de spécialistes dans les besoins spécifiques des femmes africaines et caribéennes.
Nous avons fondé ce projet vers la fin 2014, après le meurtre vicieux de Valerie Forde et de son nourrisson tout juste âgé de 22 mois. L’auteur des faits est son ex-conjoint, or il faut savoir qu’elle s’était rendue plusieurs fois au commissariat en leur expliquant les menaces qu’elle recevait. Les forces de l’ordre ont uniquement pris note de menaces à la propriété. Une représentation très claire de ce qui se produit aujourd’hui : les femmes noires ne reçoivent pas l’aide dont elles ont besoin, ou bien un soutien très limité, et de ce fait, des blessures graves ou des décès surviennent, avec l’omerta qui les accompagne.
Nous avons donc proposé une loi, par le biais d’une pétition. Elle s’intitule « Valerie’s Law » : elle permettrait de rendre obligatoire pour les autorités compétentes le suivi d’une formation spécifique quant aux besoins culturels de femmes victimes de violences domestiques et issues de minorités, principalement d’origine africaine ou caribéenne. N’importe qui avec un passé comportant des violences domestiques, ou inquiet quant à un nouveau partenaire, pourrait dès lors avoir accès à ces informations, cette vraie logique pédagogique est plus que nécessaire pour que l’histoire ne se répète plus ! Nous avons pour le moment plus de 15 000 signatures, il en fallait 10 000 pour solliciter une réponse du Parlement, mais pour que la proposition puisse être concrètement débattue en assemblée, il nous faudrait en réunir 100 000.
[ Petite précision : ces propos ont été récoltés il y a une semaine, or le gouvernement vient de répondre ce 15 juin à la pétition. Cette réponse a consisté en un descriptif des actions déjà menées par l’exécutif, et en un rappel qu’il est bien écrit dans certaines lois que « les besoins spécifiques des victimes d’abus devraient être pris en compte par les autorités ». Aucune formation obligatoire ne semble figurer dans cet agenda politique néanmoins. ]
Et quand aviez-vous lancé le projet ?
Fin octobre.
Rencontrez-vous des obstacles quotidiens spécifiques à la nature de votre charité ?
Oui, surtout en termes de légitimité accordée. Nous sommes une association entièrement créée et dirigée par des femmes noires. Nous devrions donc être reconnues pour notre compétence, car nous sommes la seule œuvre de la sorte implantée à Londres. Or nous sommes en conflit constant avec le council de Hackney qui ne souhaite pas nous plébisciter !
Selon vous, comment faire pour faire réagir le public sur ces problématiques ? Même sans les moyens financiers adéquats, ou sans une large communauté à disposition, il doit bien exister des moyens de créer une prise de conscience… lesquels préconiseriez-vous?
L’essentiel avant de vouloir partager ses savoirs est que chacun soit introspectif, en réflexion constante et effectue la démarche de s’informer par soi-même. Je pourrais vous communiquer des statistiques, par exemple, mais je trouve ça très européen de tout baser sur des chiffres. Car la réalité est sous nos yeux, ces problèmes sont omniprésents : les minorités sont plus enclines à souffrir de violences, que ça soit au Royaume-Uni, en Chine, en France…
Mon message à tous, ainsi, est tout simplement le suivant : faites vos propres recherches, interrogez-vous, posez-vous les bonnes questions.
Ensuite, chacun peut s’exprimer haut et fort et changer la face du monde.