Édition internationale
Radio les français dans le monde
--:--
--:--

Julien Guyot : “Le consulat, c'est la diplomatie du quotidien” 

Julien Guyot, chef de chancellerie au Consulat Général de France au Royaume-Uni, nous a ouvert les portes du service consulaire à Londres. Délais de délivrance des papiers administratifs, nouvelle perception du consulat, il nous explique comment le service s'adapte aux besoins de la communauté française. Il nous parle également des innovations mises en place pour améliorer l'accès aux services et renforcer les liens avec les expatriés : “Plutôt que d’attendre que les Français viennent au consulat, nous allons à leur rencontre.”

Julien Guyot, chef de chancellerie Julien Guyot, chef de chancellerie
Julien Guyot, chef de chancellerie (crédit : les Coflocs)
Écrit par Ewan Petris
Publié le 26 décembre 2024, mis à jour le 30 décembre 2024

Comment pourriez-vous vous décrire ? 

Je dirais que je suis curieux. Quand nous faisons ce métier, la curiosité doit nous guider. Cette curiosité nous amène à avoir des échanges avec les gens, à découvrir de nouvelles cultures, et de nouveaux métiers :  mon entrée au ministère est d’ailleurs une seconde carrière. J'y suis entré à 33 ans, après avoir travaillé dans la francophonie universitaire à Montréal, où j'ai longtemps vécu en tant que franco-canadien. À la suite d'une mutation à Paris, j'ai passé le concours des Affaires étrangères, car je souhaitais un métier qui me permette de vivre à l'étranger, tout en gardant un lien avec la France et étant stimulé par de nouveaux défis. Travailler pour le ministère de l’Europe et des affaires étrangères, c’est avoir accès à une large palette de métiers, tous aussi différents les uns des autres selon la catégorie des agents. C’est aussi vrai dans le domaine consulaire : nous pouvons très bien nous occuper de comptabilité-gestion que d’état civil, de visas, de ressources humaines, etc.

 

Julien Guyot, chef de chancellerie - (Cdt : Les Coflocs)
  Julien Guyot, chef de chancellerie - (Cdt : Les Coflocs)

Quelles étaient vos activités avant de venir à Londres ?

J'ai débuté au ministère à Nantes, au service central d'état civil, où j'ai découvert cette spécialité consulaire pendant trois ans. J'ai ensuite rejoint Paris, comme chargé de mission à la direction des Français à l'étranger et de l'administration consulaire (DFAE). Ce poste m'a permis de toucher à une multitude de domaines : visas, affaires sociales, adoption internationale, protection consulaire... Cette période coïncidait avec la pandémie de Covid-19, qui a posé des défis importants : comment maintenir des services consulaires, qui induisent nécessairement des contacts avec le public, dans un contexte où les contacts physiques étaient impossibles ? Nous avons dû prioriser les services à rendre, adapter les conditions dans lesquelles ils étaient rendus, ce qui est passé par une dématérialisation accrue. Il a aussi fallu mettre en place un plan de vaccination des Français à l'étranger, ce qui a été un chantier majeur. Enfin, j'ai été affecté à Londres sur des fonctions de chef de chancellerie, pour m'occuper de ce qu’on appelle « l'administration des Français ».

 

 

 

Qu'est-ce qui vous a motivé à accepter cette affectation à Londres ? 

Deux éléments ont été déterminants : le volume d’activité, unique au monde, et le contexte post-Brexit. Le Royaume-Uni abrite l’une des plus grandes communautés françaises, avec 140 000 Français inscrits au registre des Français établis hors de France. Il s’agit du troisième pays au monde en termes de présence française. A titre de comparaison, les États-Unis comptent 150 000 Français enregistrés, soit 10 000 de moins qu’ici, alors que la superficie des deux pays, tout comme le dispositif consulaire, n’ont rien à voir. Cette communauté est également très active électoralement, avec 120 000 électeurs. Chaque scrutin organisé ici se fait de manière XXL. Cela se traduit aussi par plus de 50 000 passeports et cartes d’identité demandés chaque année.

Par ailleurs, le contexte post-Brexit ajoutait une dimension unique au rôle. Après le départ du Royaume-Uni de l’Union européenne, il était essentiel de comprendre et de gérer les impacts que cette séparation allait avoir sur les Français résidant dans le pays. Tous ces éléments faisaient de ce poste une mission particulièrement intéressante pour moi.

 

Quelles ont été vos premières impressions en arrivant au consulat ?

Excellentes ! J’ai rejoint une équipe compétente, motivée, et dotée d’un excellent esprit d’équipe. Cela m’a particulièrement marqué, car il faut savoir que le secteur de l’administration des Français fonctionne avec environ 25 agents, pour servir une communauté de 140 000 Français inscrits, et probablement bien plus quand on sait qu’on estime entre 250 et 300 000 le nombre de Français établis au Royaume-Uni.

 

Il est remarquable de constater qu’une équipe aussi réduite parvient à répondre aux attentes d’une communauté aussi large que diverse.

 

Julien Guyot, et ses équipes
Julien Guyot et une partie de l'équipe du consulat

 

Quelles sont les principales différences entre une chancellerie consulaire et une chancellerie politique (comme celle de l’Ambassade de France au Royaume-Uni) ?


Une formule résume parfaitement notre mission : le consulat, c'est la diplomatie du quotidien. Là où l’ambassade se concentre sur les relations bilatérales entre la France et le Royaume-Uni, qu’il s’agisse de coopération politique, économique, ou culturelle, le consulat, lui, est directement au service des Français, dans leur vie de tous les jours.

Nous jouons à la fois un rôle de mairie et de préfecture et cela passe par une grande diversité de démarches administratives : la transcription d’un acte de naissance pour un enfant né au Royaume-Uni, la délivrance de passeports, la gestion des demandes de bourses pour les enfants scolarisés dans des établissements français, ou encore le traitement des visas pour les ressortissants étrangers qui souhaitent visiter ou s’installer en France, pour ne citer que ces quelques exemples.

 

Les volumes de demandes administratives sont-ils toujours aussi extraordinaires ici à Londres ? 

Le consulat de Londres représente plus de 10 % de l’activité mondiale en matière de délivrance de passeports et cartes d'identité depuis plusieurs années. Plusieurs raisons expliquent cela : la taille de la communauté française, l'engouement pour la nouvelle carte d'identité et les services numériques dont elle va s’accompagner, et le contexte post-Brexit où de nombreux Britanniques, nés d’un parent français, se redécouvrent aussi citoyens français et souhaitent obtenir des documents d'identité européens. Il est frappant de constater qu’environ 30 % des compatriotes qui nous rendent visite au consulat sont anglophones, ayant grandi au Royaume-Uni sans être scolarisés dans des établissements français.

 

 

Comment se déroule une journée-type ?

Les journées au consulat sont variées, ce qui fait la richesse du métier. Il n'y a pas une journée qui ressemble à l'autre. Cela fait sûrement ‘cliché’, mais il s’agit de la réalité : nous ne savons jamais comment la journée va se dérouler. Bien qu’une grande partie de l’activité soit planifiée, avec des rendez-vous réservés, de nombreux imprévus surviennent : un touriste qui a perdu ses papiers pendant le week-end et doit absolument reprendre son Eurostar, un retraité qui doit faire viser un certificat d’existence, un usager qui a impérativement besoin de faire certifier sa signature, un jeune binational qui s’interroge sur ses obligations militaires, etc.

Chaque jour, nous sommes confrontés à des cas inattendus, pour lesquels il faut trouver la réponse dans la réglementation applicable, quitte parfois à trouver des solutions ad-hoc tant les contextes locaux où nous exerçons peuvent être différents de celui de la France. A cet égard, un consulat ne fonctionne pas en vase clos, et l’appui et les conseils prodigués, au quotidien, par les services de l’administration centrale du ministère nous sont essentiels.

 

Le premier conseil est de s'assurer d'être en règle auprès des autorités britanniques.

 

Quels conseils donneriez-vous aux Français souhaitant s'installer à Londres ?

Depuis la sortie de l'UE, il faut disposer d’un passeport français pour visiter le Royaume-Uni (attention à la mise en place d'une autorisation de voyage à partir du 2 avril 2025), mais il n'est plus possible de s’y installer et d’y travailler sans visa. Une fois sur place, le deuxième conseil est de veiller à avoir des documents d'identité français en cours de validité. Il est prudent de toujours anticiper ces démarches, car le délai moyen de traitement d’une demande de renouvellement de passeport est d’environ 4 semaines. 

 

Julien Guyot, et ses équipes
Réunion avec une partie de l'équipe des 17 consuls honoraires du Royaume-Uni

 

Y a-t-il des idées reçues sur le rôle du consulat ?

Une idée reçue est que le consulat peut intervenir dans tous les domaines, ce qui n'est évidemment pas le cas. Les Français qui vivent au Royaume-Uni, ou qui y sont de passage, peuvent venir au consulat pour accomplir une grande diversité de démarches administratives françaises, dont la plus emblématique est la délivrance de passeports et de cartes nationales d’identité. En revanche, le consulat ne peut pas s’ingérer dans les affaires intérieures de l’Etat où il est installé, ni même auprès d’opérateurs privés. Par exemple, on ne peut pas intervenir dans des affaires judiciaires locales, pour faire libérer de prison un compatriote, annuler des contraventions, intervenir dans un litige avec un assureur privé, ou encore demander aux autorités locales de délivrer un visa à un Français. Bien que ce soit flatteur, il ne faut pas non plus surestimer les moyens d’un consulat : aucun consulat ne dispose d’un avion ou d’un hélicoptère dans la cour, prêt à l’emploi en cas de besoin !

 

Comment le consulat parvient-il à innover et à répondre aux besoins de tous les Français à Londres ?

Bien que nous soyons une équipe relativement restreinte, nous sommes agiles ! En plus d’optimiser nos procédures (mise en ligne de rdv 3 fois par jour sur le site ; rendez-vous calibré pour durer 15 minutes pour offrir le maximum de créneaux), nous en profitons pour faire évoluer le service public en expérimentant des nouveautés. C’est le cas avec l’extension des horaires d’ouverture et les "consu’late", où nous avons pu ouvrir des créneaux de rendez-vous en soirée, deux fois par mois. C’est plus pratique pour les usagers qui ne peuvent pas se libérer en journée et c’est une initiative qui a largement été appréciée.

Plus récemment, nous avons aussi lancé le "consu’lien", qui consiste à créer un lien plus direct avec les Français : plutôt que d’attendre que nos compatriotes viennent au consulat, nous allons à leur rencontre. Nous avons ainsi participé à des forums d’associations françaises, dans les lycées français à Londres, ou à des événements comme la Maison de l’Expatriation. L’idée est de répondre aux questions des Français où qu’ils soient, ce qui est plus pratique pour eux et pour nous.

 

La Maison de l’expatriation à Londres, keep calm and stay in London !

 

Cela nous permet aussi d’anticiper des problèmes concrets. Par exemple, le recensement obligatoire à 16 ans en France conditionne l’inscription au baccalauréat, tout comme l’accomplissement d’une Journée défense et citoyenneté (JDC) pour passer un examen national (permis de conduire ou inscription à l’université). Beaucoup de parents expatriés se rendent compte trop tard qu’ils n’ont pas fait la démarche, souvent parce qu’ils ne sont pas inscrits au registre consulaire. En nous rendant dans les lycées, nous sensibilisons les parents à cette obligation et leur expliquons que l’inscription au registre facilite ces démarches en évitant les problèmes de dernière minute.

Enfin, les Français à l'étranger bénéficient de facilités qui n’existent pas pour ceux en France dans l’accomplissement de leurs démarches, comme la possibilité de recevoir son passeport par courrier postal sécurisé (conditionnée à l’inscription au registre), ou de retirer ses documents d’identité auprès d’un des 17 consuls honoraires au Royaume-Uni, qui sont les premiers relais du consulat, notamment pour assurer la protection consulaire à nos compatriotes, notamment en cas de crise.

 

keep calm and registre

 

Parlez-nous du registre. À quel point est-il important pour vous ?

Le registre est essentiel pour le consulat, et surtout pour nos compatriotes. Grâce à lui, les français bénéficient de nombreux avantages : recensement en cas de crise, envoi postal sécurisé des passeports, facilitation des opérations de détaxe, demande de bourses scolaires pour les enfants scolarisés dans un établissement du réseau de l’AEFE, tarifs réduits pour certaines démarches au consulat, etc. Par ailleurs, plus nous savons précisément combien de Français vivent dans le pays, plus nous pouvons adapter le dispositif consulaire, c’est-à-dire les services proposés à nos ressortissants, à la taille de la communauté.  

 

Y a-t-il une grande différence entre les chiffres officiels et non officiels ?

Comme évoqué, nous estimons qu'il y aurait potentiellement jusqu’à 300.000 Français ici : 140.000 inscrits au Registre, 250.000 demandeurs de settled status, et un nombre inconnu de binationaux franco-britanniques, dont une partie peut être inscrite au registre.  

En termes de rendez-vous au consulat, nous avons vu une forte augmentation ces dernières années. Entre 2015 et 2018, nous délivrions environ 35.000 titres par an. En 2019, avec le Brexit, nous avons atteint un pic à 40.000. Après la chute liée à la Covid, nous sommes remontés à 50.000, puis 54.000 en 2023. En additionnant les trois dernières années, cela fait plus de 150 000 titres demandés, pour 140.000 inscrits : cela prouve que de nombreux Français non-inscrits utilisent nos services.

 

Qu'en est-il de la perception des ressortissants sur place ?

La question est ouverte et tout est affaire d’impressions et de vécus, comme des conditions d’installation pour les nouveaux arrivants. Certains Français ont l'impression qu'il y a de moins en moins de compatriotes. Avant, tout était facile : beaucoup de jeunes venaient pour apprendre l'anglais, avoir une première expérience professionnelle à Londres, souvent sans grande préparation. Aujourd'hui, avec les visas de travail, les restrictions sur les stages, et les frais universitaires qui ont explosé, les nouveaux entrants rencontrent clairement plus de blocages à l’entrée. Cela dit, il reste une masse critique importante de Français qui demeure au Royaume-Uni, comme en témoigne le nombre d’inscrits au Registre et, de manière plus prosaïque, le vivier de candidatures reçues lors des recrutements au consulat, toujours riche en postulants !

Pensez aussi à découvrir nos autres éditions