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Samer Melki, Consul général : « Le Brexit a été un traumatisme pour les Français »

Malgré un agenda bien chargé, Samer Melki nous a reçus dans son bureau du Consulat général de France au Royaume-Uni. Le Consul général, en poste depuis septembre dernier, ne ménage pas ses efforts pour apporter le meilleur service possible à une communauté française qu’il juge « traumatisée » par le Brexit et qui doit aujourd’hui s’adapter à un Royaume-Uni en pleine réinvention.

Samer Melki, consul général de France au Royaume-UniSamer Melki, consul général de France au Royaume-Uni
Écrit par Damien Bouhours
Publié le 4 juillet 2023, mis à jour le 27 mars 2024

Avant d’arriver à Londres, vous avez travaillé à New York et Jérusalem, deux villes aux ambiances très différentes de la capitale britannique. Qu’est-ce qui vous a le plus surpris depuis votre arrivée à Londres ?

Cette prise de fonction a été en soi une découverte, puisque je n’avais pas vraiment d’expérience en tant que chef de poste. Le Consulat général de France au Royaume-Uni est une véritable usine, à défaut d’un meilleur terme. Il faut en permanence l’optimiser pour produire le meilleur service public pour les Français. Je ne mesurais pas nécessairement le travail sans fin que cela représente. Nous sommes toujours en train d’améliorer, optimiser, essayer de réduire les délais et toujours dans l’écoute des préoccupations d’une communauté de 250.000 à 300.000 Français.

 

Les Français ont eu l’impression d’avoir été sommés de choisir et se sont sentis soudainement étrangers

 

La deuxième surprise a été de constater à quel point le Brexit avait été un traumatisme pour les Français. Je m’en doutais comme n’importe quel diplomate de ma génération mais cela restait abstrait. En arrivant ici, je me suis rendu compte de l’incidence que cela avait eue sur la vie des Français. J’ai trouvé une communauté traumatisée, sous le choc. Ils ont vécu pendant des années, des décennies pour certains, entre les deux pays sans que cela ne pose aucun problème. Ils ont eu l’impression d’avoir été sommés de choisir et se sont sentis soudainement étrangers.

 

Le troisième élément de surprise est un peu plus personnel. J’ai découvert un pays qui est en train de se réinventer, « work in progress », comme les Britanniques peuvent l’exprimer. Le Royaume-Uni doit réinventer sa place dans le monde, sa relation avec l’Union européenne et la France. Le sujet des mobilités et de la liberté de circulation m’interroge particulièrement.

 

Aujourd’hui, les délais au consulat sont plus courts que dans certaines régions françaises.

 

Quels sont les grands défis que vous devez relever aujourd’hui ?

Il s’agit de défis communs à presque tout le réseau consulaire et au-delà de ça, à l’administration française. Nous avons dû rattraper le retard de délivrance des titres post-Covid. Il y avait ici un retard de 25.000 titres qui s’est reporté mécaniquement sur les années suivantes. Une grande partie de ce rattrapage a été effectué. L’année dernière a ainsi été une année record avec plus de 50.000 demandes de titres traitées. Nous sommes d’ailleurs sur des chiffres comparables, voire légèrement au-dessus, pour cette année.

L’effet de rattrapage n’est donc pas terminé. Cela implique pour nous des efforts considérables pour sortir d’une situation d’extrême tension où il n’était pas possible de prendre de rendez-vous. Nous avons obtenu des renforts, cinq équivalents temps plein sur les quatre derniers mois de l’année 2022, et avons amélioré notre organisation et nos méthodes de prise de rendez-vous. Aujourd’hui, les délais au consulat sont plus courts que dans certaines régions françaises.

 

Le Consulat général de France au Royaume-Uni a aussi été l’an dernier le premier poste au monde en termes de délivrance de visas.

 

Il y a ici un effet de volume qui tient à la taille de la communauté, mais aussi d’autres particularités propres au Royaume-Uni. Les déplacements entre la France et le Royaume-Uni impliquent aujourd’hui d’avoir un passeport (en tout cas pour les Français non-résidents) : les Français ont donc tendance à davantage renouveler leurs documents. De même, l’enregistrement comme résident – settled ou pre-settled status – renforce la nécessité de disposer de titres à jour, et concourt aussi à un rythme de renouvellement plus soutenu qu’ailleurs.

Le Consulat général de France au Royaume-Uni a aussi été l’an dernier le premier poste au monde en termes de délivrance de visas. En 2022, nous en avons accordé plus de 100.000. En 2023, nous dépasserons probablement les 120.000, ce qui fera de cette année une année record. Nous avons en moyenne 130 nationalités qui viennent demander des visas et nous avions jusqu’alors très peu de demandes de visas long séjour. Aujourd’hui, avec la fin de la liberté de circulation, les demandes de visas de long séjour (dont la quasi-totalité émane de citoyens britanniques) représentent 15% de la demande totale. De manière générale en matière de visas à Londres, compte tenu du profil des demandeurs, il y a un très fort enjeu d’attractivité pour la France, que ce soit pour le tourisme, l’investissement ou encore la création d’entreprise.

 

Je ne parlerai pas d’exode massif des Français mais plutôt d’un tarissement

 

Avec le Brexit et l’inflation, la situation des Français au Royaume-Uni s’est complexifiée. Est-ce que l’on peut craindre des départs en masse ?

Je ne parlerai pas d’exode massif des Français mais plutôt d’un tarissement. C’est le rythme des arrivées au Royaume-Uni qui a beaucoup baissé, plus que la population présente. Les Français ne sont pas les seuls concernés, les préoccupations sont les mêmes pour tous les Européens. Le solde migratoire a été négatif l’an dernier pour tous les ressortissants de l’Union européenne. Les départs des expatriés qui viennent travailler ici quelques années ne sont plus compensés par les arrivées. Et s’agissant de la communauté déjà installée, ce sont surtout les Français les plus fragilisés par le Brexit et l’inflation qui ont quitté Londres pour des villes moins chères ou ont même quitté le pays. Les demandes de bourses scolaires sont d’ailleurs en baisse – paradoxe qui, en période de forte inflation, ne peut s’expliquer que par le départ des familles les plus fragiles.

 

Les Français qui sont là depuis longtemps ont tendance à rester mais la communauté française subit une érosion

Les conditions de mobilité sont aussi plus difficiles, en particulier pour les jeunes. Il est très compliqué aujourd’hui de venir en stage, d’être au pair ou bien de venir pour faire des petits boulots. Les Français qui sont là depuis longtemps ont tendance à rester mais la communauté française subit une érosion, ou en tout cas se renouvelle beaucoup moins. Cela questionne aujourd’hui l’avenir de la relation entre nos deux sociétés. Si les jeunes Français et Britanniques ne peuvent plus se rencontrer et venir à la découverte l’un de l’autre même dans le cadre des voyages scolaires, qui sont devenus plus difficiles, cela risque de créer des trajectoires divergentes entre nos sociétés. C’est un vrai sujet de préoccupation.

Par ailleurs, si notre communauté ne se renouvelle pas, quels seront les effets sur le long terme ? Le lien avec la France n’est pas le même pour des Français qui viennent de s’installer ici et ceux qui sont là depuis plusieurs générations.

 

Je souhaite également mener à bien le chantier de l’amélioration des conditions d’accueil du public au consulat

Quel sont vos projets dans les prochains mois ?

Il y a plusieurs projets qui me semblent prioritaires pour le consulat. Je souhaite poursuivre les efforts qui ont été réalisés sur la délivrance des titres et des visas. Si la situation est moins tendue à l’approche de l’été, nous devons lisser au maximum le caractère cyclique et mieux anticiper les pics de demandes pour solliciter des renforts.

Je souhaite également mener à bien le chantier de l’amélioration des conditions d’accueil du public au consulat. Ce chantier avait déjà été entamé par mes prédécesseurs et je me suis engagé à le poursuivre. Nous avons déjà optimisé les flux de réception du public entre les personnes demandeuses et celles qui viennent récupérer leurs titres. Nous sommes dans un beau bâtiment dont nous ne pouvons pas pousser les murs et nous devons pourtant accueillir 500 personnes par jour.

Nous allons également poursuivre la sécurisation du consulat pour le mettre aux standards d’une administration moderne. Nous n’avons pas à nous inquiéter de menaces en particulier mais nous sommes dans une grande ville où les risques existent. Nous voulons assurer à tous, public comme agents, les meilleures conditions de sécurité possibles.

 

Les Français qui ont leur pre-settled status vont au cours des prochaines années demander en grand nombre leur settled status

 

Des efforts ont déjà été engagés au niveau de la signalétique mais aussi de la communication du consulat. Nous voulons mieux informer sur les différents services du consulat mais aussi sur les droits des Français. Nous travaillons d’arrache-pied avec nos partenaires européens et britanniques pour protéger les droits de nos citoyens et les accompagner de manière extrêmement vigilante. Les Français qui ont leur pre-settled status vont au cours des prochaines années demander en grand nombre leur settled status. Je leur recommande de le faire dès que possible. Pour les autres, la Haute Cour de justice a conclu que ceux qui n’ont pas faits de démarches pour obtenir leur settled status pourront conserver leurs droits. Nous sommes dans un dialogue permanent avec les autorités britanniques pour que cette décision se traduise par un dispositif lisible et vérifiable.

 

La question des mobilités est le dernier gros chantier de ces prochains mois. Nos autorités et, localement, l’Ambassadrice pilotent les discussions bilatérales sur le sujet. J’ai à cœur d’y jouer mon rôle sur la définition de ce que peut être le nouveau cadre de mobilité entre nos deux pays. Depuis le sommet bilatéral du 10 mars dernier, nous avons tourné une page dans nos relations et nous sommes dans une période de dialogue beaucoup plus ouvert et transparent et de recherche de solutions concrètes et pragmatiques. Cela va prendre du temps mais nous y travaillons. S’agissant des mobilités, notamment pour les jeunesses de nos pays, cela me semble absolument indispensable pour éviter l’effet de divergence que j’ai mentionné précédemment.

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