Au Royaume-Uni, l’inflation atteint des taux jamais atteints depuis trente ans. Le pic est attendu pour le printemps. Kathleen Henehan, analyste senior à la Resolution Foundation nous aide à comprendre les facteurs et enjeux de cette crise.
Au Royaume-Uni, l’inflation atteint des taux jamais atteints depuis trente ans. Le pic est attendu pour le printemps. Kathleen Henehan, analyste senior à la Resolution Foundation nous aide à comprendre pourquoi. Le scénario est plus ou moins le même dans de nombreux pays du monde. Hausse des prix du carburant et de la vie, l’inflation mine le porte-monnaie des foyers, particulièrement des plus modestes. Au Royaume-Uni, l’inflation atteint même un taux record, qui n’avait pas été atteint depuis trente ans. Avec 5,4% de hausse des prix à la consommation, l’archipel s’enlise dans une crise qui rend pessimistes les spécialistes. Et pour cause, au-delà des problèmes communs à tous les pays (délais dans les acheminements de biens, hausse des prix du carburant…), le gouvernement britannique souhaite relever, en avril, le plafond des montants facturés par les entreprises énergétiques. Une manœuvre pas inhabituelle, mais malvenue en cette période déjà difficile pour les ménages.
Si l’ONS a révélé la semaine dernière que l’économie du Royaume-Uni connaissait une forte période de croissance (avec un PIB en progression de 7,5% en 2021), ces chiffres doivent être mis en perspective avec un recul de 9,4% en 2020. Globalement, fin 2021, l’économie britannique n’était pas encore revenue à son niveau pré-pandémique, malgré des chiffres encourageants. Face à cela, l’inflation augmente à une vitesse folle. Pas encore tiré d'affaires, le pays peine donc à se targuer de ces bons résultats tant la courbe du coût de la vie est exponentielle en comparaison de ces fragiles progrès.
Vu d'outre-Manche, il semble par ailleurs que le Royaume-Uni subisse davantage l’inflation que ses voisins de l’Union Européenne. Pénurie de main d'œuvre, Brexit… les raisons à cela sont multiples et parfois opaques. Pour mieux comprendre les origines de cette crise, mais aussi les spécificités du pays, nous avons rencontré Kathleen Henehan, analyste senior à la Resolution Foundation.
Quels sont les facteurs à l’origine de l’inflation au Royaume-Uni ?
Nous avons connu une période d’inflation très basse mais, depuis le début de la pandémie, la tendance s’inverse. C’est un vrai choc, et beaucoup de cela a à voir avec des problèmes dans les chaînes d’approvisionnement qui, depuis le Covid-19, font qu’il est plus difficile de faire circuler les biens dans le monde. Cela contribue en un sens à la hausse des prix de l’énergie. Mais dans le même temps, le prix des services et de la vie quotidienne ont également augmenté. Sortir manger dehors ou faire les courses, par exemple, coûte plus cher. C’est en partie dû aux problèmes des chaînes d'approvisionnement, mais une autre partie de l’explication vient du fait que les travailleurs sont nettement moins nombreux. Les entreprises peinent à recruter le personnel qu’il leur faut, et cela commence à avoir une incidence sur le porte-monnaie des Britanniques. Bien que les salaires aient été revus à la hausse, le coût de la vie augmente à une vitesse telle que les effets se font peu sentir.
Et concernant la crise énergétique ?
En avril, le gouvernement va augmenter les plafonds des montants que les compagnies d’énergie peuvent facturer aux ménages. C’est assez courant, mais le problème cette fois est qu’ils prévoient de le faire à un moment où le prix du carburant est déjà très élevé. Il y a par ailleurs une grosse incertitude quant à ce qu’il va advenir du gaz importé depuis la Russie. Plus concrètement, la facture moyenne que les Britanniques paient chaque année pourrait augmenter de £600. C’est un impact considérable pour n’importe qui, mais cette hausse risque de frapper d’autant plus fort les familles aux revenus déjà modestes. Nous observons déjà la hausse du coût de la vie actuellement, mais quand les foyers vont commencer à recevoir leurs factures en avril, et à nouveau cet hiver, cela risque d’être encore pire.
La facture moyenne que les Britanniques paient chaque année pourrait augmenter de £600
Les choses ne risquent donc pas d’aller en s’améliorant ?
Nous ne pensons pas. Il existe un vrai point d’interrogation quant à l’inflation. Va-t-elle ou non continuer à augmenter ? Les économistes sont partagés. Une partie d’entre eux sont optimistes et pensent que la situation va bientôt s’arranger. D’autres, non. Globalement, personne n’est excessivement optimiste.
Vu d’ailleurs, le Royaume-Uni semble plus durement touché que ses voisins européens…
Je ne suis pas certaine que cette vision soit totalement vraie. Clairement, l’alimentation internationale en gaz affecte beaucoup de pays européens. À l’inverse, les Etats-Unis, bien qu’ils connaissent eux-aussi une hausse du coût de la vie, sont moins frappés par la crise énergétique parce qu’ils sont moins dépendants du gaz européen. Cela dit, je crois que ce qui perturbe le Royaume-Uni, et dont les autres pays sont épargnés, c’est le timing où le gouvernement prévoit de relever les plafonds pour les compagnies d’énergies. Il se pourrait que cette seule circonstance puisse expliquer en partie pourquoi les choses semblent différentes ici.
L’autre explication vient de la crise de la main-d'œuvre que traverse actuellement le Royaume-Uni. On entend cela dit, de manière tout à fait anecdotique, des histoires similaires dans d’autres pays qui disent voir les choses revenir à la normale sans pour autant que les travailleurs ne reviennent massivement au travail. Je ne sais pas si c’est réellement pire au Royaume-Uni qu’ailleurs, mais, bien sûr, le Brexit a eu lieu et donc les migrations sont moins importantes. Ce sont ici quelques pistes spéculatives qui pourraient expliquer pourquoi nous semblons plus touchés que les autres pays européens.
Le Brexit y serait donc pour quelque chose ?
Nous ne bénéficions pas de suffisamment de données pour pouvoir répondre par oui ou par non. Une partie de cela vient du fait que, jusqu’à présent, il est difficile d'avoir une idée claire de si l’impact de l’importation des échanges et des services - qu'il y ait ou non des retards d'expédition - est suffisant pour avoir fait grimper les prix. Cela dit, on peut facilement imaginer que, si ça n’est pas le cas maintenant, des effets se feront ressentir sur le long terme, même s’ils sont subtils.
Nous avons tout de même le sentiment qu’il y a moins de personnel pour travailler dans les hôtels, les restaurants ou dans le secteur de la vente. C’est encore difficile de le prouver avec les datas en notre possession. Il y a cette impression que c’est plus compliqué parce que beaucoup de personnes restent à la maison et ne cherchent plus vraiment de travail. Mais il y a aussi le sentiment que cela, combiné au fait que certains travailleurs européens sont rentrés chez eux pendant la pandémie et que nous ne jouissons plus d’une pleine liberté de mouvement, rend évidemment très difficile pour les travailleurs de venir ici et de faire leur travail. Il est difficile de mettre des chiffres sur cette affirmation, mais il est évident que nous pensons que ça a un impact sur le manque de bras.
La pandémie et le Brexit auraient donc une forte incidence sur la pénurie de main-d'œuvre. Pourquoi est-ce difficile de le “prouver avec les datas” ?
Nous n’avons pas de données précises quant au nombre de personnes qui sont rentrées chez elles. Cela est dû au fait que, contrairement aux frontières britanniques, si vous souhaitez vous rendre en Allemagne par exemple, il vous faut passer par un contrôle de passeport si vous ne provenez pas de l’espace Schengen. Ici, on ne demande rien de tout cela. Auparavant, des études internationales existaient à l’aéroport. Elles posaient des questions du type “Quittez-vous le pays ?” ou “Pourquoi venez-vous ?”. Mais finalement, les organisateurs se sont rendus compte qu’elles n’étaient pas très précises et ils y ont mis un terme lors de la pandémie. Elles n’ont pas été rétablies depuis. Nous n’avons donc pas une idée claire du nombre de personnes sortantes ou entrantes.
La seule donnée à laquelle nous avons accès, ce sont les visas, nous savons qui fait la demande pour venir. Les visas de l’Union Européenne sont assez peu nombreux actuellement mais, à nouveau, nous manquons de données historiques pour comparer, puisque les ressortissants de l’UE n’avaient jusqu’alors pas besoin de visa pour venir. C’est un véritable puzzle.
Les familles à bas revenus vont ressentir l’inflation un peu plus fort que les autres, c’est une certitude
Le Royaume-Uni est-il uniformément touché par l’inflation ?
C’est une excellente question. De ce que je comprends, la hausse du coût de la vie est relativement homogène dans le pays. Cela dit, l’impact que cela a sur les foyers dépend des circonstances individuelles. Si vous êtes contraints de conduire votre voiture toute la semaine, alors vous allez forcément être davantage impacté par la hausse des prix du carburant que quelqu’un qui vit à Londres et prend le Tube au quotidien.
Les familles à bas revenus vont ressentir l’inflation un peu plus fort que les autres, c’est une certitude. En fait, c’est la combinaison de l’inflation et - c’est le gros du problème - de la hausse des prix de l’énergie et le fait, nous l’évoquions, que le plafond des prix du carburant va être relevé. L’inflation frappe tout le monde, mais la hausse du coût de l’énergie est le vrai nerf de la guerre.
La crise aurait-elle pu être prévue, voire évitée par le gouvernement ?
C’est un véritable choc qu’il était impossible pour le Royaume-Uni de prédire. À l'exception des impacts liés au Brexit, bien entendu. Le reste est indépendant de la volonté du gouvernement : peu importe leur anticipation, il y aurait une crise énergétique à cause de la pandémie, à cause des problèmes dans les chaînes d’approvisionnement, et pour des raisons géopolitiques. Là où l’action est possible, c’est de déterminer comment répondre et qui aider le plus.
Que pensez-vous de la réponse du gouvernement conservateur ? Il prévoit notamment de débloquer 9 milliards de livres pour aider 28 millions de ménages à hauteur de 200 livres sur leur facture d’électricité, et d'abaisser la taxe municipale de 150 livres à 80% des foyers.
Elle est forcément bonne dans la mesure où elle va aider les gens globalement. Mais elle aurait pu être plus taillée sur mesure en fonction des revenus des foyers. C’est bien qu’il ait réagi, mais le gouvernement a adopté une approche trop universaliste qui entend aider tout le monde lorsqu’il aurait fallu aider en priorité les foyers les plus touchés.