À la découverte des quartiers de Lima, notre première étape nous amène à Barranco, où vit Carla Salazar depuis deux ans. Elle nous invite à connaître un peu plus ce quartier plein de poésie.
Suivant la route du « Malecon Armendariz », un pont qui attend impatiemment un aménagement pour le Bicentenaire de l’indépendance du Pérou nous mène au district de Barranco. Le paysage urbain est couronné par l’une des dix meilleures constructions du siècle selon « The Guardian ». Il s’agit de l’université UTEC, un grand bloc de ciment à première vue mais qui, avec ses terrasses échelonnées, se dessine comme une sorte de Titanic s’apprêtant à traverser le Pacifique.
Le soleil pointe encore timidement le bout de son nez en ce début du mois de novembre, mais on sent déjà l’été s’approcher. Les rues de Barranco prennent des couleurs et l’envie des gens de profiter des terrasses et des espaces publics ne se fait pas attendre, encore davantage maintenant après tous ces mois de confinement imposés par la pandémie.
Le week-end commence tôt, les sportifs « barranquinos » prennent possession du Parc des Héros (« Parque de los Héroes »), placé derrière le stade Chipoco où s’installe chaque dimanche le marché bio. Un groupe de femmes s’applique à réaliser leurs exercices d’aérobics au son retentissant de la zumba, un peu de thaï chi et de nombreux entraineurs de muay thaï qui, avec leurs gants de boxe, s’étalent sur la pelouse pour rythmer l’ambiance à côté des effigies dorées de Graú et Bolognesi, les héros vaincus de la Guerre du Pacifique.
Pour nous y rendre, on prend le petit passage des « barranquinos » illustres : 27 personnalités dont le souvenir reste présent dans la mémoire collective. Ce sont eux qui ont participé à la construction de l’identité du pays à travers leurs pensées, immortalisées par leurs écrits, leur musique et la pierre. Des personnages tels que le poète de « La Casa de Cartón » Martín Adan, ou la première femme distinguée par le Prix International de Poésie Federico García Lorca, Blanca Varela, le collectionneur d’art virreinal Pedro de Osma, le sculpteur Victor Delfin, primé pour son esthétique populaire contemporaine, ou encore la grande compositrice de « La Flor de la Canela » et « La valse créole » (paroles en français) Chabuca Granda, une des plus illustres icônes de la Canción Criolla. Sa musique nous narre les traditions liméniennes et les problèmes sociaux de son époque. Par ailleurs, cette année, nous célébrons le centenaire de sa naissance et l’on trouve son image sur les murs du quartier qui célèbre quant à lui son 146ème anniversaire.
Une petite place cachée à ne pas rater quand on découvre le quartier, est la Plaza San Francisco. Entourée de typiques maisons traditionnelles colorées (ranchos et casonas) dont celle du poète symboliste et artiste José María Euguren, s’élève l’église Saint François d’Assise dans laquelle sont célébrées les messes et les mariages pour les fidèles de la paroisse.
Barranco est un quartier à croquer à pleines dents au sens propre comme au figuré, où manger devient une expérience gastronomique unique et chargé d’identité
Quartier qui héberge le restaurant gastronomique par excellence « Central », classé parmi les meilleurs au monde. Cependant, on peut s’y régaler à des tarifs beaucoup plus accessibles et des cartes très appétissantes. Au gré de nos envies du jour, nous nous rendrons soit dans des endroits authentiques comme la taverne Isolina pour manger à la bonne franquette, à la Cevichería Canta Rana, au restaurant vénézuélien Mérito ou encore à l’enseigne basque Arlotia. Pour ceux qui aiment comme moi profiter d’un repas sain et léger dans une ambiance simple, aérée et sans prétention, la Bodega Verde est un petit endroit charmant et vert pour manger un sandwich, une salade ou profiter d’un bon petit- déjeuner énergisant après le sport. Dans le même esprit, le café Dédalo offre un espace agréable et calme pour se détendre suite à une promenade sur le « malecon » et profiter de la vue des différents espaces dédiés à la vente d’art et d’artisanat. Las Vecinas et La Panetteria sont également des endroits idéaux pour les inconditionnels du petit-déj et du bon pain frais.
Pont des Soupirs, passage obligatoire, où l’on plonge au cœur de Barranco
La balade se poursuit au Pont des Soupirs, passage obligatoire, où l’on plonge au cœur de Barranco, l’église l’Ermita, dont la toiture tombe en morceaux et la descente vers la plage (« Bajada de los baños ») propre à toute station balnéaire. Elle nous propose un chemin pittoresque de petites maisons colorées, de ficus, de graffitis et de terrasses avec vue sur la mer. Lorsqu’on lève le regard vers le ciel, il est comme possédé par les « gallinazos », l’oiseau nettoyeur de la ville que l’artiste Cristina Planas a représenté dans plusieurs coins du quartier (et de Lima). Celui-ci est devenu l’emblème contre la corruption et a été, malgré lui, le protagoniste de grandes manifestations nationales qui la dénonçaient.
Le soir, après la tournée des bars de rigueur, des diverses boîtes de nuit, tout le monde se croise et se retrouve (en temps normal) à un moment donné au café-concert La Noche ou au traditionnel Juanito, bar-taverne actif depuis 1937, symbole de la vie bohémienne liménienne dont les murs chargés d’histoire nous renvoient les souvenirs culturels des événements passés et de ceux à venir. Le Bar Victoria, aujourd’hui Victoria Restaurant avec un patio-terrasse intérieur est ouvert pour animer avec modération les sorties du week-end en tout petit groupe en respectant les gestes barrières jusqu’à dix heures du soir.
Barranco, le quartier des poètes et des artistes d’hier et d’aujourd’hui
Et voilà le Barranco qui vit et pétille le jour et la nuit, le quartier des célibataires, des jeunes couples modernes, des gens divers et colorés, des voisins qui papotent le dimanche accompagnés d’une bière au coin de la rue, des bobos du « Malecon Paul Harrys » et surtout le quartier des poètes et des artistes d’hier et d’aujourd’hui. Avec un peu de chance, on pourra revivre le Barranco Open Studios qui, au mois d’avril, invite les flâneurs du quartier à pénétrer dans les musées, les galeries d’art et surtout dans les ateliers d’artistes qui ouvrent, pour certains, exceptionnellement leurs portes au public, à travers un circuit de plus d’une soixantaine d’espaces à visiter durant tout un week-end. Barranco se transforme ainsi en une gigantesque galerie d’art animée de performances, de concerts et de toute sorte d’attractions culturelles, dont on l’espère, cette pandémie n’arrivera pas à nous priver pour l’année tant attendue du bicentenaire.
Carla Salazar