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SUMATRA - Solidarité et système D à l'écolodge Rimba

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Écrit par Lepetitjournal Jakarta
Publié le 26 mai 2020, mis à jour le 28 mai 2020

En ces temps de confinement, lepetitjournal.com de Jakarta sort de la capitale et va à la rencontre de nos compatriotes qui travaillent dans d’autres îles de l'archipel afin de connaître la situation économique et sociale de leur ville, ainsi que leur ressenti par rapport à leur activité.

Nadège Lanau est installée en Indonésie depuis août 2012. Après avoir travaillé 10 ans dans un laboratoire de recherche public en France dans le domaine de la biologie moléculaire des plantes, Nadège a changé de vie. Elle est la propriétaire d'un écolodge, Rimba Ecolodge et la directrice d'une association à but non lucratif : Association Rimba situés dans la baie de Muaro Duo, à 2h au Sud de Padang, dans la Province de Sumatra Ouest.

 

Comment avez-vous géré la situation de votre activité depuis le début de la pandémie ?

Nos derniers clients sont partis mi-mars. En lisant plusieurs posts sur les réseaux sociaux, je me suis rendu compte que certains voyageurs se retrouvaient bloqués en Indonésie sans aucune possibilité de pouvoir rejoindre leur pays d'origine. J'ai donc décidé de transformer notre Ecolodge en refuge pour ces personnes. Nous accueillons actuellement 8 voyageurs, bloqués ici depuis 6 semaines. Nous leur offrons l'hébergement à titre gratuit. Nous leur demandons seulement de participer aux frais liés à l'alimentation. En contrepartie, ils nous aident à entretenir le terrain, les bâtiments, le potager, les bateaux... nous faisons la cuisine tous ensemble... nous nous sommes transformés en vraie petite communauté !

 

Quelles mesures avez-vous prises pour votre personnel ? pour vous et votre famille ?

Malheureusement, un seul employé sur les 5 est encore à Rimba et perçoit un salaire. J'ai dû demander aux 4 autres employés de rentrer chez eux, avec pour promesse de les réembaucher dès que cette crise sera terminée. Depuis 1 mois et demi nous n'avons plus aucune rentrée d'argent, nous étions donc dans l'impossibilité financière de pouvoir les rémunérer.

Rimba est donc en confinement avec 12 personnes qui y vivent actuellement : 8 voyageurs, 1 employé, mon mari, ma fille et moi. Notre employé (Nando) sort 1 fois par semaine sur la petite ville de Bungus pour faire les courses, équipé d'un masque et d'une bouteille de gel hydroalcoolique. Toutes les précautions sont prises. À l'arrivée des 8 voyageurs, arrivées étalées sur 2 semaines, nous leur avons imposé une quatorzaine dans leur bungalow avec un accès à la plage et à la forêt, mais l'interdiction d'aller dans les espaces communs, l'obligation de garder une distance sociale entre chaque personne. Des mesures supplémentaires ont été mises en place : les repas leur ont été apportés dans leur bungalow avec une bassine d'eau, de savon et d'eau de Javel pour qu'ils y déposent leur vaisselle, désinfection régulière des galons d'eau, des thermos de café et de thé...

Un de nos voyageurs a été très malade. Etant isolés et au vu de la difficulté pour les étrangers de se déplacer en ville (barrages policiers, 14aine imposée dans les hôpitaux...), j'ai dû faire appel à un ami médecin en Nouvelle-Calédonie pour une consultation à distance en vidéophonie. Après le diagnostic, Nando, notre employé, est allé acheter les médicaments nécessaires en pharmacie. Notre voyageur est maintenant en voie de guérison. Le système D et la solidarité sont dorénavant de mise et cela s'est avéré efficace.

 

Quelle est la situation à Sumatra? Comment se passent vos relations avec la population locale ?

Nous sommes très isolés, nous n'avons donc pas de contacts avec la population locale. Mais d'après mes amis étrangers qui vivent à Padang, mieux vaut ne pas trop sortir car les étrangers sont pointés du doigt et sont très mal reçus en ce moment. Beaucoup d'indonésiens ici, pensent que les étrangers sont à l'origine de l'épidémie dans leur pays.

De ce fait, nous restons à Rimba, ce qui a aussi beaucoup ralenti les activités de l'association. En effet, nous étions en pleine négociation avec des villageois pour racheter des parcelles de forêt à protéger dans le cadre de notre programme de conservation des forêts. Nous avons dû mettre ce projet en pause.

 

Y a-t-il des initiatives locales qui se mettent en place pour aider la population ?

J'ai vu plusieurs campagnes de crowdfunding se mettre en place via des guides sur le web pour fournir de la nourriture ou tout simplement de l'argent à des familles qui vivent du tourisme dans la région. Nous pensons aussi peut-être lancer une telle campagne pour pouvoir assurer un salaire à notre employé qui est toujours sur place et pour fournir l'équivalent d'un demi salaire à ceux que nous avons dû renvoyer chez eux, afin qu'ils puissent avoir un minimum pour subvenir aux besoins de leur famille.

 

Ce temps de confinement vous laisse- t-il du temps pour faire autre chose et si oui, quoi ?

Depuis le confinement, mes activités ont beaucoup changé. Le fait de ne plus avoir de réservations, établir des devis...me laisse plus de temps pour des activités plus physiques. Je participe à l'entretien du terrain et des bâtiments, nous avons créé un potager dont je rêvais depuis longtemps mais que nous n'avions pas le temps de faire. Je profite un peu plus de mon site aussi. Pour le reste de mes activités, elles n'ont pas changé, à savoir : fabriquer notre lessive et notre produit vaisselle écologique, identifier des espèces pour enrichir notre inventaire de la faune et de la flore sauvage de Muaro Duo, m'occuper de ma fille ?, rattraper le retard comptabilité de l'association...

 

Un premier bilan depuis 2 mois de confinement ?

Je pense que nous n'avons pas à nous plaindre car nous avons de l'espace, en plus d'un accès à la plage et à la jungle. Nous sommes aussi 12 personnes ici, donc personne ne se sent seul ou ne s'ennuie. Ce qui est difficile personnellement, c'est de savoir que 8 de mes amis, ainsi que mes parents, devaient venir nous rendre visite à Pâques et qu'ils n'ont pas pu.

Cela repousse le terme de ce voyage à assez loin (2021). Ma fille a eu 3 ans fin avril, les enfants grandissent vite à cet âge-là et je suis très déçue que ma famille et mes amis "loupent" une année de sa vie à un âge où ils évoluent très rapidement. Du fait du confinement, on se sent également encore plus loin que d'habitude de ceux que l'on aime en France.

Peut-être que la situation deviendra plus difficile à supporter lorsque tous nos voyageurs bloqués auront la possibilité de rentrer chez eux. Nous ne serons alors plus que 3 ici + ma fille pendant certainement plusieurs mois avant que les premiers touristes ne reviennent. Le temps risque donc d'être long.

 

Comment envisagez-vous la reprise ? Si tant est que l’on peut l’envisager.

Je pense qu'il ne faut pas compter sur une reprise de l'activité touristique avant le début de l'année prochaine. Celle-ci risque aussi de redémarrer très lentement. Les gens auront perdu beaucoup d'argent donc ils ne seront pas prêts à pouvoir voyager rapidement. De plus, il risque d'y avoir une peur psychologique à reprendre l'avion et partir au bout du monde par rapport à la possibilité de contracter le virus. Je pense aussi que certaines mesures prises par les gouvernements risquent de freiner le tourisme dans le cas où certains pays imposent à leur ressortissant une 14aine au retour d'autres pays pouvant être considérés à risque.

Nous tablons donc sur un vrai retour des touristes pour l'été 2021. En espérant que je me trompe et que ce soit plus rapide. Car pour nous, le nerf de la guerre va être financier.

Nous avons une trésorerie qui nous permet de tenir encore 6 mois. Comment faire après ? Combien d'établissement vont devoir mettre la clé sous la porte ? Dans ce cas, la reprise ne sera même plus envisageable.

Pourvu que nous n'en n'arrivions pas à ce stade.

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