Édition internationale
Radio les français dans le monde
--:--
--:--

Quand les Hollandais ont préféré les Moluques à Manhattan

Banda Moluques Manhattan Banda Moluques Manhattan
Écrit par Valérie Pivon
Publié le 31 août 2021, mis à jour le 27 août 2023

Sans la présence de la muscade et du clou du girofle sur le territoire indonésien, la vie de l’archipel aurait été bien différente. Le traité de Breda signé en 1667 scelle les destins de la petite île de Run située dans l’archipel des îles Banda aux Moluques et celle de la Nouvelle Amsterdam qui deviendra Manhattan. Retour sur cet épisode historique.

 

La route de la Soie est certes la plus connue mais la route des épices a elle aussi une influence dans le déroulement de l’histoire. On a retrouvé en Syrie dans des tombes datant de 1000 ans avant notre ère de la muscade. La muscade, le macis, le clou de girofle ont toujours été des denrées extrêmement prisées. Au XIVème siècle en Europe, 100 grammes de muscade valaient autant que 100 grammes d’or. 

 

Des conflits incessants pour s'octroyer le monopole des épices

Ces épices connues pour leur pouvoir médicinal et leurs différentes vertus ont attiré toutes les convoitises. Au XVème siècle, à l’heure des grandes découvertes, les caravelles, ces bateaux à fort tirant d’eau et aux voilures très manœuvrables permettent d’aller plus loin dans la découverte du monde. L’appât du gain lance les Européens en direction des îles aux épices. Les muscadiers sont endémiques aux îles Banda, petit archipel composé de 11 îles situé dans les Moluques du Sud. Leur présence sur ces îles a toujours été connue. Ce sont les Portugais qui en 1512 les redécouvrent. Ils ne s’installent pas à Banda mais sur l’île de Ternate, toujours dans les Moluques, productrice de clou de girofle. Les Hollandais suivis des anglais arrivent à Banda en 1599. Ils s’installent dans la région et décident d’obtenir le monopole sur le commerce de la muscade. De nombreux traités bien souvent inégaux sont passés avec les chefs des villages afin de s‘assurer de la main mise sur la production. De nombreux incidents enveniment la situation. Les habitants de l’île dépendent des Hollandais et doivent travailler dans les plantations. En 1609, un début de rébellion survient suite à la construction du fort de Nassau sur l’île de Banda Neira. Des émissaires du gouvernement Hollandais viennent alors relancer le dialogue, mais ils sont pris en embuscade et l’amiral Verhoeven ainsi que 42 membres de son équipage sont tués. À ce point, les relations entre la population locale et les Hollandais vont prendre une toute autre tournure. En 1621, le gouverneur général de la VOC, compagnie Hollandaise qui gère le commerce des épices, Jan Pieterszoon Coen décide de gérer le problème à sa manière. Il sera surnommé le boucher de Banda. Il fait appel à des mercenaires japonais et envoie sur Banda 13 vaisseaux de guerre et 1500 soldats. 44 chefs locaux sont exécutés. Sur une population estimée à 15 000 personnes, 14 000 sont tuées ou exilées. C’est un véritable génocide orchestré par Coen. Ce jour noir reste pour les habitants de Banda ancré dans la mémoire collective. Des colons hollandais appelés Perkeniers prennent alors possession des terres. On fait venir des îles voisines des esclaves pour travailler dans les plantations. Sous le règne de Coen, la VOC contrôle la quasi totalité du commerce et de l’exploitation des épices en Indonésie. Pas moins de 70 plantations sont répertoriées dans l’archipel des Banda.

Néanmoins, il reste un irréductible dans la région. L’île de Run située seulement à 10 km de Banda. Les Anglais y exploitent les plantations de muscadiers. Pendant six années, l’amiral Nathaniel Courthope va résister aux Hollandais. Il est capturé et tué. Les habitants de Run souffrent de la présence des Hollandais qui détruisent tous les muscadiers afin de garder le monopole et de maintenir les prix. Tous les hommes de plus de 14 ans sont réduits à l’esclavage. Les Anglais se retirent des Moluques, tout en négociant l’île de Run. 

 

Un échange insolite met fin à la guerre des épices

C’est le traité de Breda signé en Hollande le 31 juillet 1667 qui vient mettre fin à ce conflit Anglo-Néerlandais qui dure depuis 2 ans. L’Angleterre, la Hollande, la France et le Danemark participent aux négociations qui durent dix jours au terme desquels la Hollande abandonne aux Anglais le territoire de la nouvelle Amsterdam, future Manhattan, contre les usines de sucre au Surinam et la fameuse île de Run. Les Hollandais s’assurent ainsi du monopole total sur la noix de muscade. Aux Moluques, la VOC impose des quotas sur le clou de girofle et la muscade. Cela provoque la misère de la population. Les autres nations comme la France et l’Angleterre ne comptent pas rester en-dehors de ces marchés lucratifs. Malgré l’interdiction du transport des semences, ces deux pays vont introduire le poivre, la muscade et le clou de girofle dans leurs propres colonies.  

La VOC fera faillite en 1799.

 

Tous les enfants des écoles de Banda connaissent cette histoire.

 

Aujourd’hui, les îles Banda sont un peu endormies, on y produit toujours de la muscade et du clou de girofle. La pêche est également un des revenus de base de la population locale. Ces îles sont difficiles d’accès, le tourisme y est peu développé. On peut se demander ce que serait devenu Manhattan si le muscadier n’avait pas été endémique des îles Banda ?

 

Valerie Pivon
Publié le 31 août 2021, mis à jour le 27 août 2023

Flash infos

    Pensez aussi à découvrir nos autres éditions