Impossible de déceler une once d’accent lorsque Cellia vous parle en français. Comment est-elle devenue la plus française des Indonésiennes ? Nous avons voulu en savoir plus sur son parcours aussi étonnant sur le plan personnel que professionnel. Aujourd’hui associée dans l’un des plus grands cabinets d’avocats du monde, elle nous raconte sa perception de la France et ce qui la rattache à notre pays.
Vous parlez un français parfait, pouvez-vous nous dire comment vous avez appris cette langue ?
Je suis indonésienne, mais à l’âge de cinq ans, j'ai déménagé en Suisse avec ma famille, car mon père était diplomate à Genève. Mes parents étaient très attachés aux langues étrangères et ils ne voulaient pas que j’aille à l’école internationale comme les autres enfants de l’ambassade. J’ai donc intégré une école suisse, en totale immersion, pour apprendre la langue française. Notre famille y est restée quatre ans puis, après quelques années en Indonésie, nous sommes revenus pour un second séjour de quatre ans à Genève. Cette double expatriation a tracé la suite de mon destin.
Effectivement, votre attachement à la culture francophone ne s'arrête pas là, racontez nous la suite.
En 1997, j’étais en terminale à Jakarta, c'était une année décisive lors de laquelle je devais décider de mon avenir. Nous étions en pleine crise asiatique, et le contexte politique et économique était compliqué en Indonésie. J’étais acceptée à l’université Padjajaran de Bandung et nous avions visité le campus.
Sur un coup de tête, je suis allée à l'ambassade remplir un dossier pour pouvoir étudier en France. J’avais envie de tester mes capacités et de voir si je pouvais être sélectionnée et ça a fonctionné ! C’était un choc pour mes parents, car ils n’avaient pas envisagé de me voir partir, seule à l’étranger. La roupie était extrêmement basse et ils ont dû faire des sacrifices financiers pour me permettre de m’installer. C’était un énorme pari ! Ils ont choisi la faculté de droit à l’Université de Bourgogne de Dijon. Cette ville à taille humaine leur paraissait moins dangereuse que Paris. La séparation a été un déchirement familial, surtout pour ma mère. Je me suis donc retrouvée à étudier dans cette université où j’étais la seule indonésienne. J’ai finalement adoré et j’ai rencontré des amis fantastiques avec lesquels je suis toujours en contact.
Deux ans plus tard, j’ai rencontré mon mari, et je suis partie le rejoindre à Paris pour faire ma licence, ma maîtrise et mon DEA à Assas. Je suis restée trois ans dans cette ville où tout me paraissait plus compliqué. Nous avons décidé d’aller en Australie, car mon père était posté à Canberra à cette époque. En arrivant, j’ai pu convertir une partie de mes acquis et continuer à poursuivre des études en droit australien. Mon mari nous a rejoints après ses études et j’ai passé le barreau là-bas.
Pourquoi être revenue en Indonésie ?
Nous avons vécu en Australie pendant 10 ans. J’ai eu mon premier enfant là-bas et cela nous a donné envie de nous rapprocher de ma famille. J’avais quitté l’Indonésie depuis l’âge de 18 ans et j’ai senti le besoin de revenir aux sources. Seule ombre au tableau, je n’avais pas le barreau indonésien. J’ai alors commencé par contacter des cabinets internationaux et le premier qui a accepté ma candidature est celui pour lequel je travaille toujours aujourd'hui. Forte de mon expérience précédente, j'ai fait du conseil international en droit des affaires. La clientèle de ce cabinet est majoritairement étrangère, j’étais donc totalement légitime pour exercer.
Aujourd'hui, quel est votre métier et pourquoi avez-vous passé le barreau indonésien ?
Je suis associée dans le cabinet d'avocats international Herbert Smith Freehills. Je suis spécialisée en fusions et acquisitions et joint-ventures transfrontalières. Je suis également spécialisée dans la législation sur la protection des données personnelles en Indonésie.
A mon arrivée, j'étais diplômée du barreau australien, mais j’ai découvert qu’il était compliqué d’exercer pleinement dans ces conditions. Le droit indonésien reconnait un avocat de nationalité étrangère, de qualification étrangère, ou de nationalité indonésienne et de qualification indonésienne, mais il n’y a rien pour les Indonésiens avec une qualification étrangère. J’étais en quelque sorte “hybride”.
En 2016, j'ai repris mes études par correspondance que j’ai achevé en 2021. Puis, j'ai passé les examens pour obtenir le barreau indonésien. Cette démarche est rare, mais cela m’a apporté plus de flexibilité pour exercer, car je suis habilitée, à présent, à donner mon avis sur le droit indonésien.
Est-ce que le fait d’avoir habité en France ou de parler français vous aide ?
La plupart des gens n'aiment pas s’adresser aux avocats. Lorsqu’ils viennent nous consulter, c’est qu’ils ont une problématique. Une partie de mes clients sont français et ils ne s’attendent pas à ce que je parle leur langue. Avoir ce point commun permet d'établir un rapport de confiance et d’enrichir la relation. C'est comme si je leur disais “ je comprends ce que vous ressentez”. De plus, nous avons des bureaux partout dans le monde, et notamment à Paris, et je suis le contact privilégié de notre filiale basée en France.
La chose qui vous étonne toujours chez les Français ?
Le goût pour la polémique est quelque chose que je ne partage pas forcément. C’est assez propre aux français. Vous aimez débattre publiquement ou en famille sur certains sujets et c'est un peu surprenant pour les Indonésiens. En plus, le ton est souvent dramatisé et passionné. Cette habitude m’a vraiment beaucoup étonnée au début.
Si nous sommes parfois différents, il y a un point que nous partageons avec les français c’est le côté culinaire ! Même si nous n’avons pas tout le protocole, nous partageons l’amour de la nourriture et le fait de se retrouver autour d’un repas.
Quel est votre attachement à la France ?
Je me sens en partie française, car mes enfants et mon mari sont français. Nous y retournons tous les étés, notamment en Bretagne et à Paris. Mon mari a besoin de s’y ressourcer et je suis attachée à ce pays dont j'adore la nature et l'aspect culturel. Je suis également reconnaissante parce que j’ai beaucoup appris lors de mon parcours universitaire. En effet, à Assas, les méthodes d'apprentissages étaient très dures. Lorsque j’ai étudié plus tard en Australie ou en Indonésie, je me suis servie de ces acquis qui m’ont apporté de la rigueur dans mes études et dans mon travail. La France représente aujourd’hui une grande partie de ce que je suis.