En ces temps de confinement, nous rêvons tous de voyage, de liberté, d’évasion mais cette envie n’est pas neuve… Pour parfaire un voyage, quoi de mieux que l'accompagnement d’un guide.
Les premières traces
Les premières sources écrites nous amènent sur les terres d'Égypte, en 1244 avant notre ère, il y a plus de trois millénaires. Les premiers guides touristiques étaient généralement des prêtres égyptiens. Nous connaissons même, assez précisément, les endroits où les explications étaient données devant les pyramides, les temples, en raison des nombreux graffitis retrouvés à ces endroits et des traces de la fumée des torches que tenaient les guides. C’est à Gizeh, sur le mur d’un temple qu’un graffiti témoigne, dès cette époque, du désir de voyager : "Hadnakhte, scribe du trésor, est venu en excursion pour se distraire à l’ouest de Memphis, avec son frère Panakhti".
Au 7ème siècle avant notre ère, des voyages organisés tels que nous les connaissons de nos jours, avec guides touristiques, moyens de transports, lieux d’hébergements sont mis en place pour participer et assister aux Jeux Olympiques de la Grèce Antique.
Alexandre le Grand a, lui aussi, recours aux services d’un guide lors de ses expéditions en Anatolie. On trouve souvent mention de guides lyciens (région historique, la Lycie, actuellement en Turquie, allant des sites antiques de Telmessos à Phaselis).
Une organisation qui se structure
L'organisation de ces expéditions ou de ces périples est simplifiée par la production de cartes et d’ouvrages. Nous pouvons citer les ouvrages du célèbre Hérodote, historien et géographe, originaire d’Halicarnasse (Bodrum dans l’actuelle Turquie), mais aussi ceux de Strabon, géographe et historien originaire de la ville d’Amasya (Turquie), sans oublier ceux de Pausanias, géographe et voyageur originaire de Sardes (ville de Crésus en Turquie) qui écrivit notamment "Le Tour de Grèce", parvenu jusqu’à nous.
Après la période d’Alexandre le Grand, la deuxième vague touristique continue jusqu’à la fin de la période hellénistique (-324 à -30 avant notre ère).
Les voyages se développent sur des territoires en paix où la sécurité des routes est assurée. Au début, les déplacements sont effectués pour faire fructifier ou diversifier son commerce en allant vers des agoras plus "internationales" comme à Ephèse, à Milet, à Klazomenai pour son huile d’olive, mais aussi dans un but religieux, pour prendre conseil auprès de l’Oracle, à Didymes, ou encore pour assister à une fête religieuse, à Comana (Gömenek) pour la déesse Mâ (Déesse mère, de la Lune et de la Guerre). Et il existe toujours les voyages pour participer ou assister aux compétitions sportives, lyriques, théâtrales, qui ont lieu dans ces différentes villes.
Pour accompagner, divertir et informer les voyageurs, il y a les périégètes, les "explicateurs", en d’autres termes, les "guides". Ce terme est d’abord utilisé pour désigner les prêtres du temple de Delphes, extrêmement instruits, qui ont également comme fonction d’accompagner les visiteurs avec des visites commentées du temple mais aussi de la ville, sans oublier les explications sur les objets offerts et leurs artistes. Ce même terme désignera également les manuels de voyage et leurs auteurs, comme Polémon le Périègète, philosophe, voyageur, géographe du IIIème siècle avant notre ère.
La mise en place d’une professionnalisation
Mais c’est avec la Pax Romana et le développement du réseau routier de l’Empire Romain, que le tourisme se diversifie, s’intensifie et s’organise davantage.
La première destination touristique est la ville de Troie en Turquie. Les Romains instruits connaissent l’Illyade, et tous connaissent la légende de la fondation de Rome et souhaitent découvrir la ville de leur fondateur, Enée, fils d’Aphrodite et du Troyen Anchise.
Lors des visites organisées par les guides, les touristes peuvent payer un supplément pour rentrer dans la salle où sont soi-disant exposés des objets ayant appartenu à la belle Hélène ou à Paris.
Les habitants et les guides de Troie comprennent très vite que cette activité peut rapporter beaucoup plus à leur ville si le nombre de visiteurs et la durée des séjours augmentent. Pour cela, ils n’hésitent pas à construire un faux mausolée, sous forme de tumulus, pour le présenter comme étant celui d’Achille. Figurez-vous qu’Alexandre lui-même vint s’y recueillir.
Pour réaliser la visite des temples, des sanctuaires, on fait appel à des spécialistes : les exégètes. Ce terme sera aussi employé dans certains textes pour désigner les guides en général.
Les circuits les plus en vogue
Les sept merveilles du monde antique font partie du circuit de voyage le plus populaire de l’époque. Parmi elles, les Pyramides constituent une visite incontournable. Les voyageurs en profitent, comme l’a fait l’Empereur Hadrien, pour réaliser une traversée sur les eaux du Nil, mais aussi pour visiter les autres lieux et temples de la région. Un spectacle est conçu pour les touristes par les guides. Strabon nous en parle. Il faut se lever tôt pour assister à l’offrande faite à Sobek (Dieu de la fertilité), au lever du soleil, car à ce moment-là, un énorme et magnifique crocodile sacré sort des eaux pour récupérer sa nourriture, offerte par le prêtre. Strabon pense que l’animal est apprivoisé.
Il y a bien sûr le Mausolée d’Halicarnasse (Bodrum), et l’Artémission (d’Ephèse) parmi les incontournables de cet itinéraire.
Cnide (Knidos près de Datça), fait partie des villes où tout le monde se rue littéralement pour pouvoir admirer la statue d’Aphrodite, réalisée par Praxitèle. Moyennant finances, certains guides vous font accéder à une porte d’où l’on peut voir le dos de la statue. Quelques rares personnes arrivent même à privatiser les lieux pour profiter seuls de la contemplation d’Aphrodyte.
A l’époque romaine, le voyage pour tourisme médical se développe, notamment dans les villes de Pergame (actuelle Bergama), avec son centre de soins : l’Asclépion, ainsi que celle de Hiérapolis (actuelle Pamukkale) grâce à ses thermes. Les villes comme Ephèse, réputée pour son école de médecine et sa bibliothèque, comme Pergame également, attirent beaucoup d’étudiants, d’intellectuels, de professionnels et de commerçants.
Pour distraire leurs citoyens et tous ces visiteurs, ces villes se dotent de nombre d’intervenants et lieux d’attractions : théâtre, lupanars, thermes, marchés de produits exotiques, tavernes, gladiateurs, guides, musiciens, poètes, athlètes.
Mais certains témoignages de visiteurs nous montrent que les visites guidées ou la qualité de certains guides ne sont pas au goût de tous ; Lucien de Samota (Samsat/Adiyaman) nous dit: "Si vous enlevez la mythologie aux guides grecs, ils n’auront rien à raconter". Ou encore un graffiti retrouvé à Athènes "Zeus protège-moi des guides d’Athènes et toi Athéna, protège-moi de ceux d’Olympie !".
L’évolution de la profession de guide jusqu’à nos jours
Concernant les périodes qui suivent, du IVème au XVIIème siècle, la profession de guide reste indispensable pour les voyageurs ou les pèlerins, telle l’impératrice Hélène, mère de Constantin, quand elle se rend en Terre Sainte, mais aussi pour les ambassades, les conciles ou pour les armées, lors des premières croisades, qui sont des véritables voyages de groupe voire de masse.
La base du métier de guide est la même qu’à notre époque. Ils organisent, gèrent les déplacements ainsi que le type de transport de tout le groupe de voyageurs. Pour certaines affaires, il y a les drogmans (du grec dragoumanos : interprète) qui sont plus des interprètes, notamment pour les échelles du Levant, mais ont servi également de guides à partir du XIVème siècle jusqu’au XXème (une école de drogman ou truchement : de l’arabe tourdjoumân, en France à partir de 1669). Quant aux guides, ils s’occupent de trouver les établissements pour la restauration, de faciliter le passage aux frontières. Ils assurent la sécurité du groupe et outre les informations pratiques et les explications, ils permettent l’accès aux lieux demandés.
Au milieu du XVIème siècle, une nouvelle pratique émerge, pour atteindre son point culminant au XVIIIème siècle. Toute personne de haut rang se doit d’effectuer un long voyage en Europe, nommé "Grand Tour". Par exemple, ce fut le cas de Montesquieu, Louis Alexandre de la Rochefoucauld, Madame de Staël, Alphonse de Lamartine…
C’est en quelque sorte une continuité de la pratique du Moyen-Âge "peregrinatio academica".
Après le XVIIIème siècle, ce voyage s’étend jusqu’en Grèce, au Proche-Orient. Durant plusieurs années, le jeune homme, ou la jeune femme, cas plus rare, a un tuteur-un guide. Dans des villes comme Rome, des artistes étrangers venus parfaire leur art, jouent le rôle de guide.
Avec l’industrialisation, c’est au tour de la bourgeoisie de voyager.
A partir des années 1840, et à l’initiative de Thomas Cook, naît le tourisme de groupe (ou voyage organisé) tel que nous le connaissons aujourd’hui.
Le métier de guide-interprète en Turquie
Au XIXème siècle, sur les terres de Turquie, le métier de guide-interprète se développe également avec les relations commerciales, et avec l’arrivée des voyageurs européens de l’Orient-Express. Il s’agit d’une autre branche des drogmans diplomatiques.
Ces guides-interprètes sont les accompagnateurs indispensables des voyageurs dans les différentes régions d’Orient.
Or, malgré ce rôle capital, le guide-interprète fait l’objet d’un portrait très souvent dépréciatif dans les récits de voyage en Orient.
Chateaubriand, lui, parle ainsi de son guide-interprète : "le guide, espèce de juif demi-nègre". Mais quand il le quitte : "Je fis mes derniers adieux à mon pauvre camarade : il pleurait, et je n’étais guère moins attendri".
Quant à Gérard de Nerval, dans son ouvrage "Voyage en Orient" (1851) il met en valeur le sien : "Mon drogman est un homme précieux ; mais j’ai peur qu’il ne soit un trop noble serviteur pour un aussi petit seigneur que moi". Il rapporte aussi la vision du Drogman sur sa fonction : "Un drogman est à ses propres yeux un homme instruit, un philologue, qui consent à mettre sa science au service du voyageur".
Dans son livre de voyages, publié en 1870, George Bradshaw explique comment se comporter pour visiter Istanbul, et il suggère de prendre un guide pour la visite d’Ayasofya (Sainte Sophie), en précisant que le tarif est de 40 à 50 Kurus la journée.
Nombre de voyageurs et d’écrivains ont recours au service d’un guide lors de leur visite d’Istanbul. Notamment Edmondo De Amicis en 1874, qui aura non pas un mais deux guides. L’un est rum (orthodoxe) et l’autre, turc. Le Rum ne fait que vanter Byzance, et le Turc, l’Empire Ottoman !
C’est en 1890, sous le règne du Sultan Abdülhamit II, que le premier règlement officiel de la profession de guide est publié, le 29 octobre 1890. Il est précisé que durant l’exercice de sa fonction, le guide doit faire preuve d’un bon esprit, et doit valider par un examen la bonne maîtrise de la langue turque et d’une langue étrangère.
Au début de la République, un décret est publié le 8 Novembre 1925, avec un règlement très strict pour les interprètes et les guides. Le point le plus important est la formation de ces futurs interprètes et guides.
En 1928, après l’annonce d’un concours, 50 guides-interprètes réussissent leur formation et en 1935 un nouveau concours verra 53 nouveaux professionnels valider leur formation.
En 1951, ce seront des lauréats de l’université qui seront sélectionnés et formés, au total 129 guides-interprètes.
Les années qui suivent permettent de faire évoluer la sélection, la formation et les lois pour la profession en Turquie. Seule une personne détenant sa licence d’état (qu’il porte sur lui de façon visible lors de son exercice) est autorisée à exercer ce métier de guide-interprète sur le territoire turc.
Actuellement, il faut toujours être diplômé de l’université dans la filière de la profession, maîtriser parfaitement au moins une langue étrangère, et réaliser une formation sur le terrain, un voyage éducatif sur les sites touristiques et historiques sur le territoire turc.
Il existe aujourd’hui en Turquie, plus de 11 000 guides professionnels exerçant dans 37 langues différentes.
Ces derniers mois, une polémique renaît : la nécessité d’une langue étrangère pour un guide est remise en question par les agences de voyages qui réclament des guides ne parlant que le turc, pour faire baisser le tarif officiel.
L’Union des Guides de Turquie trouve cette requête insensée. Apprendre et maîtriser une langue étrangère permet d’avoir accès à la culture du pays et à différentes sources d’informations…
En turc, le mot "rehber" désigne "guide". Il prend sa racine du perse : Rah, signifiant "la route", et Bar, "montrer".
Durant des siècles, ce métier a permis de "prendre la route" et de tisser un lien entre des mondes différents.
Depuis 1990, le 21 février est la journée mondiale des guides touristiques, et nous espérons tous, guides et visiteurs, pouvoir bientôt reprendre nos voyages et nos visites…