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Vous avez dit "Janissaire" ?

Le mot "Janissaire" a connu une grande fortune en littérature. Racine expliquait que sa tragédie Bajazet lui avait été inspirée par leur révolte de 1623 et Voltaire évoquait souvent ces derniers dans ses contes orientalistes.

Dessin actuel de JanissaireDessin actuel de Janissaire
Écrit par Gisèle Durero-Köseoglu
Publié le 6 février 2024, mis à jour le 18 septembre 2024

On pourrait citer une multitude d’autres exemples, depuis les récits de Voyages en Orient jusqu’à l’époque contemporaine, avec, en 1995, la bande dessinée Le Secret du Janissaire, d’Alain Ayroles et Jean-Luc Mashou ou, en 2006, le polar historique, Le Complot des Janissaires, l’eunuque Hachim mène l’enquête, de Jason Goodwin. Alors, qui étaient vraiment les Janissaires, ces soldats légendaires dont le nom seul suffit à provoquer la frayeur ?

 

Ancienne gravure de Janissaire
Ancienne gravure de Janissaire

 

Le régiment d’élite de l’infanterie ottomane

Appelés en turc les "Nouvelles Troupes" ou "Yeniçeri", les Janissaires constituèrent durant plusieurs siècles la garde rapprochée du sultan, à l’instar de la garde prétorienne romaine. Éduqués pour la guerre dans une discipline de fer, rattachés à la mouvance religieuse du Bektachisme, ils étaient aussi le régiment d’élite de l’infanterie ottomane, chargé dans les batailles de l’assaut final.

 

Régiment de Janissaires
Régiment de Janissaires

 

Leur mode de recrutement a fait couler beaucoup d’encre puisqu’ils étaient issus de la levée obligatoire d’enfants chrétiens, le "Devchirmé" (soit "la récolte"), officiellement pratiqué dans les campagnes pauvres d’Anatolie et des Balkans entre le XVe siècle et 1703, même s’il avait commencé depuis 1334 avec les prisonniers de guerre ; d’après l’Encyclopédie de l’Islam, les Turcs, les Russes, les Perses, les Géorgiens, les Roms et les personnes de confession juive étaient exclus de ce système ; quant aux Arméniens, ils ne pouvaient être pris que pour le service du palais. Choisis pour leur robustesse à partir de huit ans, dans les familles ayant plusieurs fils, ils étaient ensuite élevés loin de leurs proches dans une maison musulmane puis éduqués dans le foyer des Janissaires du palais.

 

Gravure de Janissaires par Jean-Baptite Eyriès en 1820
Gravure de Janissaires par Jean-Baptite Eyriès en 1820

 

Quel était le but de cette coutume qui a suscité l’horreur ? Former des serviteurs du sultan complètement dénués de famille, surtout d’une famille influente pouvant devenir rivale, et servant donc aveuglément leur souverain ; même s’ils touchaient une solde, il leur était interdit à l’origine de se marier ou de faire du commerce. Notons au passage que les plus doués de ces "Esclaves de la Sublime Porte", étaient destinés aux plus hautes fonctions de l’administration de l’État et de l’armée, puisque sur deux siècles, presque tous les vizirs ou personnalités ont été issus du "Devchirmé", comme, par exemple, l’architecte Mimar Sinan ou les grands vizirs Rüstem Pacha et Sokullu Mehmet Pacha.

 

Uniformes de Janissaires
Uniformes de Janissaires

 

Les Janissaires étaient reconnaissables à leur haut bonnet de feutre blanc, rappel de la bénédiction que leur avait donnée Haci Bektas en coupant le bout de sa manche et en le posant sur la tête de leur aga. Spécialistes du sabre, de l’arc, de l’arbalète puis de l’arquebuse, ils s’illustrèrent par leur bravoure et leur loyauté dans les victoires les plus célèbres de l’Empire ottoman et incarnèrent ainsi l’archétype du guerrier invincible.

La fin des janissaires

Avec le temps, leur statut s’assouplissant, ils devinrent si puissants qu’ils constituaient un contre-pouvoir au sein de l’État. Leur aga était l’un des personnages les plus craints de l’Empire et les souverains se mirent à redouter qu’ils ne renversent leur chaudron de nourriture, symbole de la révolte.

 

L'aga des Janissaires, Choiseul-Gouffier, 1752
L'aga des Janissaires, Choiseul-Gouffier, 1752

 

Le chaudron des Janissaires
Le chaudron des Janissaires

 

Rappelons qu’en 1622, ce sont eux qui déposèrent puis assassinèrent le sultan Osman II. Le peuple se mit peu à peu à détester ces troupes qu’ils accusaient de bénéficier de multiples privilèges, comme celui de ne pas payer d’impôts et dont ils enduraient les abus. En 1826, Mahmoud II, qui avait décidé d’occidentaliser l’armée en y introduisant des artilleurs européens, dut affronter la mutinerie des Janissaires, violemment opposés à cette évolution. Il fit noyer leur révolte dans des flots de sang par ses nouveaux régiments soutenus par la foule. Le 16 juin, 7000 Janissaires furent massacrés en une seule journée à Istanbul, cent-vingt-mille dans les provinces de l’Empire et le sultan abolit définitivement ce corps d’armée.

 

Janissaire au XIXe siècle
Janissaire au XIXe siècle

 

Massacre des Janissaires, Charles-Emile Callande de Champmartin, 1826
Massacre des Janissaires, Charles-Emile Callande de Champmartin, 1826

 

Pour plus de détails sur ce jour paradoxalement nommé "l’heureux événement", voir l’article de Chantal et Jacques Périn, dans le Petit Journal du 15 juin 2022 :

 

16 juin 1826, jour de "l’heureux événement"… si l’on peut dire ! 

 

Une des premières fanfares militaires

Les troupes ottomanes furent parmi les premières à utiliser au combat des fanfares miliaires avec timbales géantes, chalemie ("Zurna", en turc), grosse caisse, tambours et trompettes. Celle des Janissaires, appelée "Mehter", servait à rythmer l’avancée des soldats partant à la guerre, à les exhorter à se battre et à épouvanter l’ennemi.

 

Fanfare des Janissaires
Fanfare des Janissaires

 

La façon de marcher des Janissaires était spectaculaire : deux pas en avant, un demi-tour sur le côté, deux pas en avant, un demi-tour de l’autre côté. En temps de paix, le "Mehter" accompagnait les cérémonies de l’État. La célèbre "Marche turque" de Mozart se serait inspirée de leur musique, ainsi que d’autres œuvres musicales moins connues.

 

Partition orientaliste
Partition orientaliste

 

Il n’est pas besoin d’avoir une imagination débordante pour concevoir l’épouvante des habitants des pays envahis quand ils entendaient résonner dans le lointain la fanfare de ce mythique régiment. Si vous voulez vous en faire une idée, rendez-vous à Istanbul, au passionnant Musée de l’Armée de Harbiye, tous les jours à 15h sauf le lundi, pour assister à la parade des Janissaires…

 

Fanfare des Janissaires à Harbiye
Fanfare des Janissaires à Harbiye

 

 

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