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Le yalı de Zeki Pacha revient sur le marché et réveille la mémoire du Bosphore

Majestueux et emblématique, le yalı de Zeki Pacha domine le Bosphore depuis plus d’un siècle. Son retour sur le marché réveille une histoire faite d’ambition, d’exil et de rareté patrimoniale.

Façade du yalı de Zeki Pacha à Rumeli Hisarı, demeure historique du Bosphore à IstanbulFaçade du yalı de Zeki Pacha à Rumeli Hisarı, demeure historique du Bosphore à Istanbul
Le yalı de Zeki Pacha, imposante demeure baroque de Rumeli Hisarı, l’une des plus célèbres silhouettes du Bosphore.
Écrit par Gisèle Durero-Köseoglu
Publié le 27 novembre 2025, mis à jour le 3 décembre 2025

L’une des plus chères maisons de Turquie est à vendre !

 

Situé à Rumeli Hisarı, sous le pont de Fatih Sultan Mehmet, le célèbre « yalı » - le mot désigne en turc une demeure les pieds dans l’eau - de Zeki Pacha, vient d’entrer de nouveau sur le marché de l’immobilier. 

 

Vue aérienne du yalı de Zeki Pacha à Rumeli Hisarı, demeure ottomane historique posée sur le Bosphore.

 

Cet édifice majestueux de quatre étages, l’un des plus illustres du Bosphore, se distingue des autres bâtiments des rives par ses murs de pierre et son inspiration baroque. Il comporte un immense quai pour aborder en bateau, un grand jardin, 5 salons, 23 chambres, 8 salles de bain, le chauffage central et un ascenseur intérieur. La rumeur dit qu’il aurait été vendu pour cent millions de dollars en 2019. Quoi qu’il en soit, il est considéré comme l’une des plus chères habitations de toute la Turquie.

 

Un palais à l’histoire prestigieuse mais tourmentée

 

C’est en 1899 que le maréchal d’artillerie Zeki Pacha, homme de confiance, ministre et précepteur des enfants du sultan Abdülhamid II durant dix-huit ans, fit construire cette impressionnante bâtisse par Alexandre Vallaury, architecte, entre autres chefs-d’œuvre, du fameux hôtel Pera Palas, de la Banque impériale ottomane à Karaköy et du Musée archéologique d’Istanbul.

Vivant dans un somptueux hôtel particulier de Nişantaşı, ce pacha très cultivé, parlant parfaitement l’anglais le français et l’allemand, souhaitait emmener sa famille en villégiature au bord de l’eau. On dit que le sultan lui octroya alors des fonds importants pour réaliser son rêve, mais en 1908, à l’époque de la Deuxième Constitution, pour calmer la colère des contestataires, il sacrifia ses anciens hommes d’État et envoya son amiral en exil à Rhodes avant de lui permettre de revenir, ruiné, sur l’île de Büyükada.

 

Portrait de Zeki Pacha, ministre de l’Artillerie de l’Empire ottoman et propriétaire du yalı de Rumeli Hisarı
Zeki Pacha (1849-1929), ministre de l’Artillerie et figure influente de la fin de l’Empire ottoman, commanditaire du yalı qui porte son nom.


Après la mort de Zeki Pacha, le dernier sultan ottoman, Mehmed VI Vahdeddin, racheta le palais en 1920 pour l’offrir à sa fille, la sultane Sabiha, à l’occasion de son mariage avec le prince Ömer Faruk Efendi. Mais en 1924, lorsque la famille impériale ottomane des Osmanoğlu reçut l’ordre de quitter la Turquie pour ne jamais y revenir, Sabiha prit la route de l’exil pour Nice, puis pour l’Égypte, le « yalı  » fut revendu et changea au moins deux fois de propriétaire sous la république.

 

Portrait de la princesse Sabiha, fille du sultan Abdülhamid II, détentrice du yalı de Zeki Pacha
La princesse Sabiha, fille du sultan Abdülhamid II, hérita du yalı de Zeki Pacha au début du XXᵉ siècle.

 

Quand on étudie, d’ailleurs, le passé des « yalıs », on est souvent impressionné par le contraste saisissant entre leur richesse hors du commun, et le destin dramatique de leurs habitants !

 

L’histoire des « yalıs » du Bosphore

 

Ce « yalı » fait partie des 600 recensés sur le Bosphore, dont 366, historiques, subsistent encore aujourd’hui. C’est à la fin du XVIIe siècle que les sultans commencèrent  à entraîner la cour au bord de l’eau durant l’été, parfois, pour fuir les incendies ou les épidémies de peste et de choléra.

On se mit alors à construire des maisons en bois, la pierre étant à cette époque réservée aux édifices intemporels, comme les habitations impériales ou les lieux de culte. Un siècle plus tard, le Bosphore s’était mis à ressembler au Grand Canal de Venise, avec une multitude de grandioses manoirs en bois auxquels on accédait en caïque.

L’engouement pour la villégiature estivale s’accentua encore après l’installation des souverains à Dolmabahçe et Beylerbeyi et à partir de 1851, avec l’apparition du bateau à vapeur. Les « yalıs », habités de juin à septembre par des dignitaires du palais, des minoritaires ou des étrangers des ambassades, dessinèrent alors le paysage emblématique du Bosphore, par leur architecture exceptionnelle, mêlant la tradition ottomane aux innovations européennes.

 

Vue sur les yalı historiques d’Anadolu Hisarı, sur la rive asiatique du Bosphore, un ensemble de demeures en bois typiques de l’architecture ottomane.
Les yalı d’Anadolu Hisarı, alignés face au courant du Bosphore, rappellent les premières zones de villégiature ottomane sur la rive asiatique.


Mais au XXe siècle, avant qu’une loi de 1983 n’ait obligé à les reconstruire à l’identique en cas de destruction, nombre de ces demeures de légende, dont l’entretien était rendu difficile par les embruns salés et l’humidité, disparurent dans les flammes, victimes de la spéculation immobilière. Orhan Pamuk ne raconte-t-il pas dans « Istanbul, souvenirs d’une ville », qu’une des distractions des Stambouliotes dans les années 1970, était d’aller voir en voiture les « yalıs » brûler ?

Le fait que celui de Zeki Pacha soit l’un des seuls édifiés en pierre explique en partie son prix faramineux. Pour les amateurs qui rêveraient d’une surface habitable de 2.500 mètres carrés, sachez qu’on le dit aujourd’hui en vente à dix milliards de livres turques soit environ deux-cents millions d’euros…

 

Salon historique du yalı de Zeki Pacha à Istanbul, décor d’origine et lustre en verre
Un salon du yalı de Zeki Pacha, figé dans son décor d’origine : stucs, luminaires opulents et mobilier d’époque racontent le faste d’une résidence ottomane tournée vers le Bosphore.

 

Remonter le Bosphore pour admirer les « yalıs »

 

Il suffit pour cela de prendre à Eminönü ou Beşiktaş le « vapur » ou ferry qui remonte le Bosphore jusqu’à Rumeli Kavağı, sur la côte européenne. La halte pour attendre le bateau du retour vous laissera le temps de déguster à la bonne franquette, pour une somme très raisonnable, dans le restaurant (sans alcool) en plein air situé à côté de l’embarcadère, soit un brunch « à la turque », soit une délicieuse assiette de friture d’anchois ou de calamars.

Pour une sortie plus longue, plus touristique et aussi plus dispendieuse, vous pouvez prendre à Eminönü la ligne « Boğaz hattı » qui remonte le détroit jusqu’à Anadolu Kavağı, sur la côte asiatique. Elle effectue 22 arrêts permettant de bien voir les maisons du rivage et une longue halte à Anadolu Kavağı pour déjeuner dans les restaurants de poisson qui y abondent. Les courageux pourront aussi gravir à pied la colline conduisant à la forteresse génoise de Yoros et prendre un café sur la terrasse qui offre une vue imprenable sur le Bosphore…


 

Vue d’Anadolu Kavağı et de la forteresse de Yoros depuis le Bosphore, à l’entrée de la mer Noire.
Anadolu Kavağı et la forteresse de Yoros, dernier promontoire avant la mer Noire.

 

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