En Turquie, l’hiver se reconnaît à ses boissons : sahlep venu des montagnes, boza urbaine, tisanes dans les foyers. Trois boissons qui marquent le cœur de la saison hivernale.


L’hiver turc, entre villes, montagnes et maisons du pays
L’hiver n’a pas la même intensité selon les lieux. À Istanbul, il arrive avec le vent du Bosphore ; ailleurs, il descend sur les plateaux d’Anatolie centrale ou dans les régions montagneuses. Pourtant, certains gestes demeurent : des boissons préparées pour affronter les jours les plus froids. Sahlep issu de racines récoltées en altitude, boza façonnée par l’histoire urbaine et tisanes encore très présentes dans les foyers : un trio familier qui accompagne la saison.
Sahlep : une boisson rare issue des montagnes anatoliennes

Avant d’être associé aux cafés d’hiver, le sahlep était surtout un produit de survie. Dans l’Empire ottoman, cette poudre tirée des tubercules d’orchidées servait à épaissir les préparations destinées aux soldats ou aux voyageurs. On en ajoutait aussi pour les enfants et les malades, tant son pouvoir nutritif était reconnu.
Au fil des siècles, la boisson s’est répandue dans les villes grâce aux salepçiler, ces vendeurs ambulants qui parcouraient les rues à la tombée de la nuit avec leur récipient en cuivre. Leurs appels faisaient partie des sons de l’hiver, comme ceux des marchands de simit ou de boza. Ce rituel a disparu en grande partie, remplacé par des versions industrielles depuis que la cueillette des orchidées sauvages est strictement encadrée.
Aujourd’hui, quelques cafés et kiosques perpétuent une version proche de celle d’origine. Le sahlep reste un aliment nourrissant, issu d’un usage ancien, bien avant de trouver sa place dans les cafés d’hiver.
Boza : un goût urbain façonné par Istanbul
En lisant Une chose étrange en moi, on comprend mieux pourquoi la boza a marqué les nuits d’Istanbul. Pamuk y montre ces vendeurs ambulants qui parcouraient les quartiers à la tombée de la nuit, leur voix dessinant le rythme de la ville.
Boisson fermentée, épaisse et légèrement acidulée, la boza a longtemps connu plusieurs versions, dont certaines plus alcoolisées, parfois interdites selon les périodes ottomanes. Les récits de voyageurs soulignent cette diversité et rappellent son rôle nourrissant dans les quartiers populaires.
La version actuelle, plus douce, s’est imposée au XIXᵉ siècle autour d’enseignes familiales comme Vefa. Aujourd’hui, elle reste liée à l’hiver même si elle se boit toute l’année. On la retrouve surtout dans des adresses anciennes, restées populaires, qui ont traversé les changements de la ville, où le geste demeure : un verre épais, un voile de cannelle et parfois quelques pois chiches grillés (leblebi).
La Boza, boisson d’hiver qui raconte Istanbul
Tisanes et infusions : une culture domestique très vivante
Dans les foyers du pays, les tisanes sont préparées dès que le froid s’installe ou que les premiers rhumes apparaissent.
Ihlamur : le tilleul des foyers turcs
L’ıhlamur fait partie des tisanes les plus courantes en Turquie. Dans beaucoup de foyers, on garde encore des fleurs de tilleul séchées, achetées sur les marchés ou apportées par la famille vivant en province. Préparée pour adoucir la gorge, apaiser ou réchauffer, elle accompagne les débuts de l’hiver et les fins de journée plus froides. Elle doit autant à son goût qu’à sa simplicité : une poignée de fleurs, de l’eau chaude et rien de plus.
Nane limon çayı : la tisane réflexe de l’hiver
La tisane menthe-citron fait partie des premiers gestes de l’hiver. On l’utilise pour apaiser un début de rhume, calmer l’estomac ou se réchauffer après une journée hivernale. La menthe peut être fraîche ou séchée selon ce que l’on a sous la main, parfois cueillie l’été et conservée dans un bocal. Sa préparation tient en peu de choses : de la menthe, un morceau de citron, de l’eau chaude, parfois un peu de miel. Une tisane rapide à préparer qui reste l’une des plus présentes dans la vie quotidienne turque.
Plantes régionales : adaçayı, kuşburnu, dağ çayı
Dans l’ouest du pays, l’adaçayı garde sa place dans les cuisines : on en trouve souvent un bouquet séché, cueilli l’été et utilisé l’hiver pour calmer la gorge. En Anatolie centrale et dans les villages plus reculés, le kuşburnu est longuement préparé, avec des fruits parfois ramenés d’une promenade ou du marché. Dans les régions de montagne, le dağ çayı accompagne les visites familiales ou les arrêts dans les petites maisons de thé. Trois façons de faire, propres à leurs régions, qui complètent les tisanes de maison.
Ce qui reste quand l’hiver passe
Pamuk rappelle que certaines voix s’effacent vite de la ville. Celles du sahlep, de la boza ou des tisanes demeurent pourtant familières. L’hiver n’a pas le même visage partout en Turquie et ces boissons laissent une trace commune : un peu de chaleur, quelques gestes de saison et une façon de traverser les jours les plus froids.
Sur le même sujet















































