Quoi de mieux, pour voyager dans le temps et découvrir cette grandiose réalisation classée sur la liste du Patrimoine mondial de l’UNESCO, que de marcher d’un bout à l’autre des murailles terrestres de Constantinople ? Car, en dépit des ravages exercés par les hommes et les séismes, et malgré leur réputation de lieu mal famé, elles continuent, même amputées de certaines parties, à se dresser du haut de leurs 1500 ans !


Un aperçu des murailles
Au cours de son histoire, la ville de Constantinople a connu plusieurs remparts, dont les tracés successifs ont reculé au fur et à mesure que la ville s’agrandissait. Mais aujourd’hui, quand on parle des murailles, il s’agit de celles construites par Théodose II, au 5ème siècle, entre 413 et 447.

Rappelons aussi que les murailles complètes étaient divisées en trois ouvrages distincts : les remparts terrestres, délimitant l’ancienne ville byzantine et s’étendant de la mer de Marmara jusqu’au fond de la Corne d’Or ; les remparts maritimes, longeant la mer de Marmara entre Yedikule et Sarayburnu ; les remparts de la Corne d’Or, dont ne subsistent que quelques vestiges et portes.
Notre promenade d’aujourd’hui, qui peut être effectuée en deux fois, ne concernera que les murailles terrestres, ce qui représente une dizaine de kilomètres à pied en effectuant des allers-retours entre intérieur et extérieur. En effet, il vaut mieux suivre les fortifications de l’extérieur en marchant sur l’herbe quand c’est possible car, à l’intérieur, elles sont souvent cachées par des maisons et de plus, il faut bien avouer que certains endroits ne sont pas très engageants... L’idéal est, bien sûr, de réaliser cette marche en compagnie d’un(e) guide touristique, pour ne pas se perdre, découvrir à quel endroit on peut monter sans danger sur les remparts, ne pas rater certaines ''curiosités'' ou visiter les églises ponctuant le parcours…
Une construction titanesque
Pourquoi la construction des murailles terrestres était-elle si extraordinaire qu’elle a tenu en échec les ennemis de la ville, jusqu’à sa conquête par les Turcs en 1453 ? Parce qu’il s’agissait d’une triple enceinte ! En voilà le rapide détail pour les amateurs d’Histoire : le grand mur ou mur intérieur, épais de 3 ou 4 mètres à la base, hérissé de 96 tours de 15 à 20 mètres distantes de 55 mètres, et séparé du deuxième rempart par un péribole ou large terrasse ; le deuxième mur, extérieur, de 8 mètres de hauteur, renforcé de 82 tours de dix à quatorze mètres et séparé du troisième par un nouveau péribole ; le mur d’escarpe ou petit mur extérieur, crénelé, haut de trois mètres, bordant un fossé de 15 à 20 mètres de large qui communiquait avec la mer et retenait les eaux de pluie.

Rappelons qu’en 1204, lorsque les croisés de la quatrième croisade avaient conquis la ville, ils ne s’étaient pas attaqués à la muraille terrestre datant de Théodose mais à celle, plus récente, des Blachernes et surtout à celle de la Corne d’Or, plus légère, en faisant entrer leurs navires dans l’estuaire, après avoir brisé la monumentale chaîne, réputée inviolable, qui en interdisait l’accès… Quant à Mehmet II, il attaqua des deux côtés, par les murailles terrestres qu’il assaillit avec la nouvelle arme révolutionnaire d’alors, le canon, et par le rempart de la Corne d’Or, où il avait fait acheminer ses bateaux à dos d’homme par voie terrestre…

''Eğrikapı'' ou la Porte d’Eğrikapı ou Porte de Kaligaria
Cette porte, à Ayvansaray, est située sur la partie de la muraille ajoutée ultérieurement pour protéger le palais des Blachernes. Elle n’a qu’une enceinte et pas de fossé, ce qui explique que les croisés y concentrèrent des troupes en 1204.

Aujourd’hui, cette portion de la muraille est vraiment pittoresque, car les remparts ne sont pas restaurés et se dressent comme des fantômes ; des pruniers poussent entre les vieilles pierres habillées de touffes vertes. Les alentours sont occupés par des bidonvilles où l’on a souvent utilisé les pierres des murs pour bâtir des maisons de bric et de broc, ceintes de jardinets où évoluent poules et canards.

À proximité, se trouve le palais dit ''de Constantin VII Porphyrogénète'' ou ''Tekfur Sarayı'', le seul bâtiment parvenu jusqu’à nous de l’ensemble du palais des Blachernes, où demeurèrent les empereurs byzantins après avoir délaissé le Grand Palais, devenu vétuste, mais surtout parce que le site éloigné des Blachernes leur permettait de se tenir à distance des soulèvements populaires. L’immense édifice, restauré et transformé en musée, est impressionnant par son esplanade et ses fortifications.

''Edirnekapı'', la Porte d’Edirnekapı ou Porte d’Andrinople ou Porte de Charisius
La porte d’Edirne est placée sur la sixième et la plus haute des sept collines d’Istanbul. C’est un peu plus haut, à la poterne de Kerkoporta, que commençait la muraille de Théodose. Une inscription dans le marbre rappelle que c’est par ''Edirnekapı'', que Mehmet le Conquérant entra dans la ville le 29 mai 1453.

À proximité se trouve la mosquée de la sultane Mihrimah, édifiée entre 1563 et 1566, l’un des chefs-d’œuvre de l’architecte Sinan. Son intérieur, d’une inégalable beauté, mérite vraiment le détour, avec ses 161 fenêtres. Sa chaire à prêcher de marbre blanc incrusté d’or, est ornée d’un moucharabieh circulaire représentant une cinquantaine d’étoiles de David, appelées en turc ''Sceau de Salomon'', découpées en filigrane dans la pierre.

Quant à l’église de Saint-Sauveur in Chora, elle constitue l’un des plus beaux vestiges byzantins de la ville, avec ses fresques et mosaïques du XIVe siècle représentant trois-cents scènes bibliques, mais elle est malheureusement fermée depuis 2020.

''Sulukule kapısı'', la Porte de Sulukule ou Porte d’Aya Kiriaki
La rivière Lycus passe en-dessous de cette porte, ce qui justifie son nom de ''tour de l’eau''.

Autrefois, le quartier de Sulukule était celui des gitans, de la musique et de la danse orientale mais, après bien des polémiques et des drames, les maisons vétustes ont été détruites pour laisser place à des résidences trop chères pour les gitans et qui sont très peu habitées actuellement.
''Topkapı'' ou la Porte Saint-Romain
Elle a été appelée ''Porte du canon'' par les Turcs car c’est là que Mehmet le Conquérant, pour briser la muraille, avait fait placer son gigantesque canon construit par l’ingénieur hongrois Urban, qui perdit d’ailleurs la vie lors du premier tir. C’est aussi là que mourut au combat le dernier empereur byzantin, Constantin XI. Symbole de la conquête, la porte est aujourd’hui ornée, à l’intérieur, de deux statues de janissaires.

Près de la porte, à l’intérieur, on peut boire un thé sous les ombrages, dans l’ancien jardin de l’église arménienne Surp Nigogayos. Et en face, à l’extérieur, se trouve le Musée du panorama 1453, qui présente des animations sur la conquête de Constantinople.
''Mevlanakapısı'' ou Porte de Rhegium
Elle tire son nom turc de la proximité d’un monastère de derviches tourneurs. On peut remarquer qu’elle a conservé intactes ses inscriptions en grec et sa croix.

Actuellement, la municipalité détruit toutes les habitations illégales se trouvant à l’intérieur des murailles. Mais, de la Porte de Mevlana jusqu’à la Porte de Silivri se trouve la seule portion où les maisons possèdent un acte de propriété, parfois très ancien, ce qui les sauvera de la démolition. Juste en face, en traversant l’avenue, une pause vous permettra de vous régaler dans l’un des restaurants de ''köfte'' ou boulettes de viande, parmi les plus célèbres d’Istanbul, celui de Merkezefendi.

''Silivrikapı'' ou Porte de Péghé ou Porte de la Source ou Porte de Selymbria
La Porte de Silivri est située sur un emplacement où ont été découverts de nombreux vestiges archéologiques. A partir de là et jusqu’à la porte de Yedikule se trouvent, sur le fossé comblé de l’ancienne douve, de nombreux jardins potagers, entretenus par des maraîchers ou des amateurs.


De là, il est possible d’aller visiter l’église Sainte-Marie de la Source, à Balıklı ; en effet, la source sacrée (ou ''Ayazma'') de ''l’Eglise des Poissons'' ou Balıklı Meryem Ana Rum Manastırı, fut l’un des plus célèbres lieux de pèlerinages byzantins car l’empereur s’y rendait chaque année le jour de l’Ascension.
Sources sacrées d’Istanbul (2) : Blachernes, Balıklı et Saint-Dimitri

''Belgradkapısı'' ou la Porte de Belgrade ou Porte de Xylokerkos
La porte de Belgrade a été plusieurs fois murée, ce qui lui a valu le surnom de ''la porte close''. Sa restauration un peu trop ''moderne'' n’a pas fait l’unanimité chez les historiens.

''Yedikule kapısı'' ou Porte de Yedikule ou Porte des Sept Tours
La forteresse de Yedikule a été construite par Mehmet le Conquérant en ajoutant trois tours à quatre qui existaient déjà. Longtemps utilisée comme prison, elle est l’héroïne du roman La Cour maudite, du prix Nobel de Littérature, Ivo Andriç.

''Yaldizli kapi'' ou la Porte d’Or
C’est la dernière grande porte avant la Marmara et elle servait à l’entrée triomphale des souverains quand ils revenaient de campagne militaire. La légende prétend qu’une prophétie ayant annoncé que l’empereur byzantin reviendrait un jour reconquérir la cité par cette porte, Mehmet le Conquérant la fit murer et inclure dans la forteresse de Yedikule.

La promenade se termine au Parc de la paix Internationale et, près de l’eau, à la Tour de Marbre, qui constituait le point de jonction entre les murailles terrestres et les remparts maritimes.

En conclusion, de nombreux écrivains effectuant jadis un voyage en Orient avaient vanté la beauté sauvage des murailles. Flaubert écrivait en 1850 : ''Les murailles de Constantinople ne sont pas assez vantées, c’est énorme !' 'À vous, si ce n’est pas déjà fait, d’aller le vérifier…
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