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Sources sacrées d’Istanbul (2) : Blachernes, Balıklı et Saint-Dimitri

Comme je l’avais écrit dans mon premier article, il existe à Istanbul une multitude de sources sacrées. Ne pouvant les évoquer toutes, j’en ai choisi aujourd’hui trois qui, héritières du riche passé multiculturel de la ville, présentent la particularité d’être autant fréquentées par les musulmans que par les chrétiens.

Balıklı_Rum-4 illustrationBalıklı_Rum-4 illustration
Balıklı Meryem Ana Rum Manastırı
Écrit par Gisèle Durero-Köseoglu
Publié le 2 janvier 2024, mis à jour le 12 février 2024

Même si ce sont des lieux religieux, elles peuvent être visitées pour de multiples autres raisons, ne serait-ce que pour le rôle majeur qu’elles ont joué dans l’Histoire…

Sainte-Marie des Blachernes à Balat 

À Ayvansaray, dans le quartier de Balat, au fond d’un jardin ceint de hauts murs, se trouve l’"Aghiasma" de Sainte-Marie des Blachernes (Panayia Vlaherna Meryem Ana Ayazması), qui fut jadis le plus célèbre lieu de pèlerinage marial à Constantinople.

 

Blachernes
Entrée de Sainte-Marie des Blachernes / L'église au fond du jardin 

 

Dans la petite église élevée au XIXe siècle, coule encore la fameuse source sacrée aux eaux réputées bienfaisantes, que des milliers de pèlerins sont venus adorer.

 

Narthex de Sainte-Marie des Blachernes
Narthex de Sainte-Marie des Blachernes

 

Pulchérie, la pieuse sœur de Théodose II, édifia le sanctuaire pour y déposer deux reliques venues de Palestine, le fameux "Maphorion", le voile de la Vierge Marie, ainsi que sa "Sainte Robe". On y vénérait aussi une icône de la Vierge nommée "Blachernitissa", si prestigieuse qu’elle donna naissance à un type de peinture iconographique où Marie, les bras levés en orante, porte en son cœur un médaillon représentant Jésus.

 

Iconoclaste des Blachernes
Iconoclaste des Blachernes

 

L’image était jugée miraculeuse. Tous les vendredis, à l’heure des Vêpres, le voile qui la recouvrait s’entrouvrait "magiquement" pour la découvrir et se refermait le jour suivant. On la transportait alors jusqu’à l’église de Chalcopractée où se trouvait la "Sainte Ceinture". On la sortait aussi dès qu’un danger menaçait la cité. Au VIIe siècle, lorsque la ville fut attaquée par les Avars, on la promena sur les remparts, l’ennemi renonça ; au VIIIe, on la descendit  jusqu’au rivage avec le Voile et la flotte russe fut engloutie par une tempête… L’icône, dérobée lors de la quatrième croisade, se trouverait aujourd’hui au Mont Athos. Quant au Voile, il serait perdu mais la Sainte Robe aurait trouvé refuge au palais Dadiani de Zougdidi, en Géorgie.

La source, qui accueille souvent des bus entiers de pèlerins étrangers, coule dans un bassin qui affiche dans le marbre un célèbre palindrome, identique à celui que l’on peut aussi lire sur un baptistère de Sainte-Sophie : "Lavez mes péchés et pas seulement mon visage" (ΝΙΨΟΝ ΑΝΟΜΗΜΑΤΑ ΜΗ ΜΟΝΑΝ ΟΨΙΝ)…

 

La source sacrée des Blachernes
La source sacrée des Blachernes

 

Sainte-Marie de la Source à Balıklı

La source sacrée de l’église Sainte-Marie de la Source ou "Eglise des Poissons", (Balıklı Meryem Ana Rum Manastırı), près de la Porte de Silivri, fut aussi l’un des plus célèbres lieux de pèlerinages byzantins car l’empereur s’y rendait chaque année le jour de l’Ascension.

 

Entrée de Sainte-Marie de la Source
Entrée de Sainte-Marie de la Source

 

Elle était connue depuis l’Antiquité, mais Justinien, ayant appris par hasard, lors d’une partie de chasse, l’existence d’une source miraculeuse opérant la guérison des malades, fit rebâtir à cet emplacement un sanctuaire, avec, selon Ernest Mamboury, le "surplus des matériaux de Sainte-Sophie". Détruite par des séismes successifs, l’église fut reconstruite plusieurs fois et celle qui s’élève aujourd’hui date de 1835.

 

L'aghiasma de Balıklı
L'aghiasma de Balıklı

 

Dans la crypte, l’"aghiasma" possédait une caractéristique, celle d’abriter des poissons dont une célèbre légende explique la présence : en 1453, un moine était en train de faire frire des poissons non loin de la source quand on lui annonça la prise de Constantinople par les Turcs. "Impossible, répondit-il. Si les Turcs sont capables de s’emparer de la ville, alors, que ces poissons à moitié frits retournent dans l’eau." Aussitôt les poissons s’animèrent et sautèrent dans l’eau de la source, raconte-t-on …

 

L'icône de Balıklı
L'icône de Balıklı

 

Aujourd’hui, la source est surtout fréquentée par les Orthodoxes, qui y viennent spécialement le premier vendredi après Pâques et le 14 septembre, pour la Fête de l’Exaltation de la croix.

 

Ancienne icône représentant la source
Ancienne icône représentant la source

 

L’église Saint-Dimitri à Kuruçeşme 

L’église Saint-Dimitri (Ayios Dimitrios Rum ortodoks Kilisesi) de Kuruçeşme est sans conteste un endroit hors du commun. La ferveur populaire prête à sa source sacrée des vertus thérapeutiques, ce qui explique son taux de fréquentation élevé.

 

Entrée de Saint-Dimitri
Entrée de Saint-Dimitri

 

L’église actuelle fut construite à partir de 1798 sur autorisation spéciale du sultan Selim III puis plusieurs fois rénovée suite à des incendies et des séismes. Mais l’endroit était déjà connu dans l’Antiquité par les marins du Bosphore qui venaient y prier Déméter. Plus tard, les Byzantins y construisirent, au VIIIe siècle, un monastère dont des plaques gravées se trouvent aujourd’hui au Musée archéologique d’Istanbul et qui fut dédicacé à saint Démétrios ou Dimitri, "megalomartyr" chez les orthodoxes car, lors de la grande persécution lancée par Dioclétien, il se battit héroïquement contre les soldats romains.

À l’intérieur de l’église se trouve le bassin de marbre surmonté de l’icône de saint Dimitri où les eaux de la source ont été canalisées.

 

Le bassin de la source de Saint-Dimitri
Le bassin de la source de Saint-Dimitri

 

Mais la curiosité du lieu commence dans la salle suivante. On y entre dans un impressionnant tunnel comportant des stalactites et qui, au lieu de descendre, remonte au-dessus de l’église vers l’"Aghiasma" d’origine située au flanc de la colline! 

 

Tunnel

 

La rumeur prétendait que les muets se mettaient à parler en touchant les anneaux fichés dans la paroi, que les mères lavant un habit de leur enfant dans la source lui faisaient retrouver la santé…

 

Les anneaux pour les muets

 

Quoi qu’il en soit, ce souterrain mérite bien l’adjectif de "spectaculaire" !

Ces trois sources sacrées valent donc à être visitées, que ce soit pour leur importance historique, la ferveur ou les légendes qu’elles ont suscitées ou leur caractère absolument unique…

 

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Gisèle Durero-Köseoglu
Publié le 2 janvier 2024, mis à jour le 12 février 2024

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