Cet art pluriséculaire a une symbolique toute particulière en Turquie. Encore aujourd’hui, des artistes continuent à faire vivre cette pratique d’une extrême finesse, inscrite en 2020 sur la liste du patrimoine culturel immatériel de l'humanité. Le petitjournal.com d’Istanbul est allé à la rencontre de Arzu Akbulut, miniaturiste passionnée, pour échanger sur ce bel art et mieux le connaître.
Originaire de Balıkesir dans la région de Marmara, Arzu Akbulut a un parcours des plus singuliers. Après avoir obtenu une maîtrise en économie des entreprises, Arzu s'est ensuite tournée vers la philosophie puis l'art et le design. C'est sans doute la synthèse d'un attrait fort pour ces deux disciplines que sont l'art et la philosophie qui l'a conduit vers l'art de la miniature dont la magnificence l'avait déjà subjuguée lorsqu'elle était enfant.
Passionnée par cet art, elle a progressivement affiné ses connaissances ainsi que sa technique et participé à de nombreuses expositions notamment à Bruxelles, Paris, Istanbul, Ankara, Amasya, Trabzon, New York, Shanghai, Rome, Florence, Berlin et Turin.
En 2023, la Société académique des arts, sciences et lettres de Paris a reconnu et souhaité encourager son travail en lui décernant une médaille de bronze.
Lepetitjournal.com d’Istanbul : Dans votre carrière artistique, qu’est-ce-qui vous a fait choisir l’art de la miniature ?
Arzu Akbulut : L'envie de faire vivre cette technique ancienne à laquelle il faut accepter de consacrer de longues heures, comme une forme de médiation, a été mon principal moteur. Pour moi, une des vertus de cet art traditionnel est tout d'abord de conférer un sentiment de bonheur à l'artiste qui le pratique.
Par ailleurs, la pratique de l'art de la miniature est une façon de lier le passé et le présent car elle incorpore à la fois les deux dimensions. Elle offre, en outre, une infinité de possibilité d'expression à l'artiste qui la pratique.
Pouvez–vous nous raconter l’histoire de cet art ? Quelles ont été ses évolutions ?
Cet art puise ses origines dans des traditions d'Asie centrale. Les plus anciennes miniatures connues remontent aux manichéens ouïgours au 8ème siècle. Les caractères de l'art ouïgour se retrouvent ensuite dans l'art des Seldjoukides du Khorassan et de l’Anatolie dont les plus anciens manuscrits connus, ‘Warkah et Gulchah’ et ‘Kalila et Dimna’, datent du 13ème siècle.
La miniature turque se développe sous le règne de Mehmet II le conquérant (1451-1481), 7ème Sultan de l'Empire ottoman. Au cours de cette période, les manuscrits sont ornés de luxuriantes miniatures. Le Sultan entretenant des relations amicales avec Laurent de Médicis, invitait à sa Cour des artistes italiens célèbres tels que Gentile Bellini et envoyait en Italie des peintres turcs, comme Sinan Bey, dans l'idée de les ouvrir à d'autres formes de peinture. Mais les peintres turcs sont cependant restés très ancrés dans leur tradition et les ateliers d'art turc et iranien de la Cour ont continué à produire des chefs d’œuvres de la miniature.
Le seul manuscrit conservé de cette période et illustré de miniatures est un remarquable manuel de chirurgie : 'Djerrahiyye-i İlkhaniye' de Şerafeddin Sabuncuoğlu.
Les auteurs des miniatures de cette période restent mal connus à l'exception de Sinan Bey et du mystérieux Mehmet Siyah Kalem (Mehmet "crayon noir") dont le style et les thèmes des miniatures sont en décalage avec ceux de son époque.
Sous le long règne de Soliman le Magnifique (1520-1566), 10ème Sultan de l'Empire Ottoman, deux peintres se distinguent particulièrement dans l'art de la miniature : Nasuh Al-Matraki et Nigari. L’Histoire de Soliman le Magnifique (Suleymanname-1579) est le manuscrit plus important de l’époque, caractérisé par une approche cartographique et très imaginative.
C'est sous le règne du Sultan Mourad III (1574-1595) que la miniature atteint sa maturité. Nakkach Osman qui a illustré le 'Surname' (Livre des fêtes) et le 'Hunername' (Livre des gestes) en est un des plus grands représentants. L'abondance et la qualité de la production de cette période ne se retrouvent pas au 17ème siècle dont on retiendra surtout l’œuvre de Nakchi qui a su exprimer les émotions humaines à travers des compositions harmonieuses et colorées.
Le 18ème siècle est celui du changement. L'artiste le plus célèbre et dernier représentant de la tradition de la miniature est Levni (mort vers 1732) dont les portraits de femmes (album 'Murakkas') et les représentations de fêtes extrêmement détaillées sont conservées au musée de Topkapı et au musée des arts turcs et islamiques d'Istanbul. Le développement des échanges entre la Turquie et l'Europe va signer ensuite progressivement l'abandon de l’art de la miniature pour la peinture à l'huile et l'adoption de la perspective.
La plupart des manuscrits ornés de miniatures sont conservés au musée de Topkapı Sarayı et au musée des arts turcs et islamiques d’Istanbul. Il existe également des albums rassemblant plus de 10.000 miniatures pour la majorité non signées à la bibliothèque de Topkapı Sarayı.
Quelles sont vos sources d’inspiration ? Que préférez-vous représenter dans vos œuvres ?
Je m’inspire de la nature, de mon environnement, des événements historiques, des anciennes miniatures, parfois d’un poème de Djalâl ad-Dîn Rûmî... Les thèmes de mes miniatures sont très variés. Dans mes œuvres, j'aime représenter les arbres, les rivières, la nature en général et les femmes.
Y a-t-il des prérequis pour pratiquer l’art de la miniature ? Est-il facilement accessible ?
Inscrit en 2020 sur la liste représentative du patrimoine culturel immatériel de l'humanité, l'art de la miniature est un art traditionnel qui se transmet toujours selon les méthodes anciennes, hors des universités et des écoles d'art, par un apprentissage dans une relation de maître à élève. Pour autant, la pratique de la miniature contemporaine nécessite aussi la maîtrise de connaissances artistiques de base.
Une des étapes les plus délicates et qui peut prendre beaucoup de temps est la maîtrise des pinceaux car nous utilisons des pinceaux extrêmement fins, en poils de loutre de préférence. Une fois cette maîtrise acquise, la copie des œuvres des grands maîtres est également une étape nécessaire avant de pouvoir commencer à produire ses propres œuvres. Ce n'est que lorsque les bases de la tradition seront acquises que l'artiste contemporain pourra jeter des ponts entre le passé et le présent et laisser libre cours à son imagination.
Vous l'aurez compris, la motivation est essentielle pour se lancer dans l'art de la miniature qui exige un travail long, méticuleux et donc beaucoup de patience !
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