Rencontrés en novembre à Istanbul, au début de leur parcours en Turquie, Émilie et Davy Sanchis poursuivent actuellement leur voyage pour l'inclusion par le sport à destination des personnes porteuses de trisomie 21 en Azerbaïdjan. Lepetitjournal.com Istanbul a souhaité faire le bilan de leur chapitre turc...
Nous avons décidé de rester là, tellement nous nous y sentions bien
Lepetitjournal.com Istanbul : Lors de notre rencontre à Istanbul en novembre, vous prévoyiez de rester 3 mois en Turquie (le temps du visa). Vous avez finalement décidé de prolonger, pourquoi plus dans ce pays qu’ailleurs ?
Émilie et Davy : Nous sommes restés 5 mois en Turquie pour plusieurs raisons. Tout d'abord, nous devions attendre la réouverture de certaines frontières à cause du COVID. Et nous avions envie de le faire dans un beau pays où l'on se sentait bien, et comme la Turquie, un vrai carrefour de civilisations, recèle des richesses historiques, de sublimes paysages très variés (mer, montagne...), et offre surtout une hospitalité incroyable, nous avons décidé de rester là, tellement nous nous y sentions bien. Ça a vraiment été un coup de cœur très rapidement ! Combien de fois nous a t-on offert le thé, toujours demandé comment on pouvait nous aider, sans aucun "côté marchand" ou autre arrière-pensée, naturellement...
Aussi, nous voulions également passer l'hiver sans avoir trop froid... Mais en fait on s'est pris encore des tonnes de neige à Bitlis car cette année, pas de chance pour nous, il a neigé beaucoup en fin de saison.
On a toujours eu de l'aide en cas de problèmes
On présente souvent la procédure pour obtenir l'ikamet (titre de séjour nécessaire pour séjourner plus de 3 mois légalement en Turquie) comme le "parcours du combattant". Avez-vous pu l'obtenir facilement ?
Nous avons réussi à l'avoir sans trop de difficultés (à Mersin), le site est très bien fait en anglais, et nous avons trouvé l'administration turque moderne. Et avec toutes les connaissances que nous avons faites en Turquie, on a toujours eu de l'aide en cas de problèmes (quand on nous renvoyait du 3ème étage au 1er puis au 3ème puis au 1er par exemple au bureau pour payer les taxes car personne ne parlait anglais !).
La diversité c'est la richesse du monde
Pouvez-vous revenir sur les grands moments de votre voyage en Turquie ?
C'est difficile de choisir car il y en a beaucoup :-). Allons-y dans l'ordre chronologique et avec des thèmes différents !
Un moment qui a beaucoup compté a été notre rencontre avec un couple franco-turc à Istanbul (France et Sinan) qui sont devenus de vrais amis, et nous sommes tout le temps en contact, ce fut vraiment un coup de foudre amical :-). Ils ont hébergé Émilie 3 semaines lorsque qu'elle s'est tordue la cheville.
Autre moment mémorable... La tempête le 30 décembre à Antalya... Nous avions seulement une vingtaine de kms à faire pour arriver à notre hébergement, et il y avait une alerte météo rouge (et nous ne le savions pas !). Il y avait une grosse pierre tombée de la montagne d'où nous descendions, un panneau de signalisation arraché, il pleuvait des cordes et il y avait beaucoup de vent, nous devions parfois pousser les vélos car nous ne tenions pas dessus (grande frayeur pour Émilie qui s'est demandé si l'on serait vivants pour le passage en 2022) ! Il était impossible de se mettre à l'abri, il n'y avait rien sur la route...
Autre grand moment du voyage : la découverte de la Cappadoce très enneigée fin janvier, avec des paysages incroyables. On entend souvent parler des parcs naturels américains, mais la grandeur de la Cappadoce nous a émerveillés !
Très beau souvenir aussi de la nuit passée dans une famille non loin de Diyarbakir, dans la campagne proche de Savur, où après avoir discuté avec un monsieur autour d'un "çay", il nous dit que la fille de son frère a une trisomie 21. Un beau hasard, étant donné que notre projet porte autour du handicap mental pour lequel nous avons choisi la Trisomie 21 comme symbole. La famille Gunes, dans le village de Tepecik, 350 âmes, nous a accueillis avec un si grand cœur et nous avons pu profiter de beaux instants avec Melek, 11 ans, porteuse de Trisomie 21.
Et la neige à Bitlis mi-mars... On a compris pour quelle raison on appelait Bitlis la capitale de la neige ! Puis de Bitlis à Tatvan, 28km seulement, mais nos vélos ont gelé avec l'humidité de la neige et les températures négatives, impossible de passer les vitesses...
La journée à longer le mont Ararat fin mars était incroyable, on se croyait en Amérique du Sud, c'était si beau, cela a vraiment été pour nous la journée la plus belle du voyage en termes de paysage et nous avons eu la chance d'avoir un superbe ciel bleu !
Et puis sans chronologie évidemment, tous les moments incroyables, remplis d'émotions, passés autour du projet : au café Tebessum à Üsküdar lors de l'accueil avec des chansons traditionnelles, à Izmir en participant aux danses régionales, à Silifke ou Gaziantep en partageant les activités avec les enfants, on apprend tellement tous ensemble, la diversité c'est la richesse du monde !
La Turquie possède de beaux exemples autour de l'inclusion
Quel bilan tireriez-vous des actions menées autour de la trisomie 21 en Turquie ?
La Turquie possède de beaux exemples autour de l'inclusion, tant au niveau de la volonté de mettre en avant le sujet médiatiquement pour ne pas stigmatiser, mais également en agissant avec des structures modernes, récentes et innovantes, comme dans le centre pour personnes en situation de handicap à Gaziantep, le plus grand de Turquie.
Ce sont les municipalités et le gouvernement qui reprennent vraiment la gestion du handicap, ils ne veulent plus la confier au secteur privé à cause de dérives en lien avec le profit (cela n'est pas sans nous rappeler le sujet actuel en France concernant les personnes âgées....). Quelle gouvernance pour la gestion du handicap et l'inclusion, c'est un vrai sujet à débattre. Nous avions vu beaucoup d'initiatives privées jusqu'à présent, et même s'il y en a aussi en Turquie, en grande majorité, ce sont des initiatives publiques (notamment les cafés inclusifs employant des personnes porteuses de Trisomie 21 ou d'autres handicaps, il y en a de nombreux dans le pays).
Pour la première fois de notre vie, nous nous sommes dit que nous pourrions vivre dans un pays différent de la France.
Toutes ces expériences vécues en Turquie vous ont donc enthousiasmés...
Oui. La Turquie est notre coup de cœur, nous en sommes vraiment tombés amoureux. Pour la première fois de notre vie, nous nous sommes dit que nous pourrions vivre dans un pays différent de la France.
Bien sûr, il a fallu s’adapter à un mode d’organisation différent : ici nos rendez-vous n'étaient pas fixés longtemps à l’avance comme en Europe, nous avions souvent des "inşallah" comme réponse, et il nous fallait un interlocuteur turc pour réussir à entrer en contact avec les organisations. Et on nous appelait parfois à 23h ! Mais c'est également cela voyager, c'est s'adapter avec plaisir à la culture du pays sans râler :-). Car si les exemples cités plus haut peuvent laisser penser qu'il est difficile d'organiser quelque chose, c'est tout le contraire : les Turcs sont d’une adaptabilité impressionnante à toutes les situations, nous avons été très impressionnés ! Notre projet Bike up and Down le sait, car en quelques jours ils peuvent rassembler associations, mairie, presse et nous faire passer à la TV nationale !
Après la Géorgie, nous sommes aujourd'hui ravis d'être en Azerbaïdjan : les frontières terrestres sont toujours fermées mais nous avons réussi avec notre projet à avoir une autorisation spéciale du gouvernement. Le pays a des liens très forts avec la Turquie : les deux États se sont mutuellement décrits comme "une seule nation, deux États" (en turc : bir millet, iki devlet et en azerbaïdjanais : bir millət, iki dövlət). Les langues sont assez similaires (et comme au bout de 5 mois, nous maîtrisions un certain nombre de mots turcs, la communication est plus facile pour nous ici :-). Et l'hospitalité également : on retrouve avec plaisir les appels au "çay" sur les routes !
Dans un monde qui dépeint aujourd'hui souvent l'islam comme une religion pouvant être "dangereuse", nous souhaitons affirmer haut et fort que la culture musulmane de l'hospitalité qui prend en compte l'altérité de l'hôte sans chercher à imposer des convictions nous touche vraiment, et est aux antipodes des intégrismes.
Nous nous adapterons, comme depuis le début
Quelle est la suite du voyage ? Prévoyez-vous toujours une arrivée à Nouméa début 2023 ?
Ah ah ! Alors INŞALLAH ! Après l'Azerbaïdjan, nous nous dirigerons comme prévu vers le Kazakhstan, l’Ouzbékistan, le Kirghizistan (3 000 kilomètres à vélo) et après... nous nous adapterons, comme depuis le début ! La Chine qui devait être le pays d'après est toujours fermée et d'après nos sources, une réouverture cet été ne paraît pas au programme. Nous avons juste peur d'être contraints de prendre l'avion une fois pour survoler la Chine... (un des objectifs de notre projet était de ne pas le prendre, pour des raisons écologiques) alors ce sera notre joker ! Dans tous les cas, on fera signe au Petit Journal pour donner de nos nouvelles aux lecteurs :-).