"L’idée que ‘les Turcs ne lisent jamais’ est une légende urbaine", selon Kenan Kocatürk, président de l’Association des éditeurs turcs, qui organise la Foire internationale du livre d’Istanbul.
Cette année encore, la Foire internationale du livre revient à Istanbul pour sa 36ème édition. Ouverte le 4 novembre, elle se tient jusqu’à dimanche au parc des expositions de TÜYAP, situé dans le district de Büyükçekmece. Au programme : plus de 300 événements dont des ateliers pour enfants, des conférences d’auteurs et des séances d’autographes. Plus d’un million de personnes ont visité le salon l’année dernière. Les organisateurs, la société TÜYAP et l’Association des éditeurs turcs, n’en espèrent pas moins cette année.
Plus de 8 livres par personne
Fort de ses 36 éditions, le salon a acquis une renommée et constitue chaque année un événement majeur relayé par la presse turque, parfois avec humour à l’instar de la caricature publiée lundi par le journal Habertürk. On peut y voir "le stand de la fille qui a partagé des photos de livres sur ses jambes pendant les vacances". Le caricaturiste Can Baytak se moque ici gentiment des internautes qui postent des photos de leurs livres sur les réseaux sociaux pour attirer l’attention de leurs abonnés… Accompagnées d’un décor paradisiaque ou d’une paire de jambes bronzées pour s’assurer un maximum de "likes".
Une occasion aussi pour le dessinateur de relancer le débat : les Turcs sont-ils vraiment de grands lecteurs ? Oui, si l’on en croit Kenan Kocatürk, président de l’Association des éditeurs turcs. "L’idée que ‘les Turcs ne lisent jamais’ est une légende urbaine", a-t-il déclaré dans une interview publiée dimanche dernier dans le Hurriyet Daily News. "Les chiffres parlent d’eux-mêmes, a-t-il justifié. Pas moins de 666.856.579 livres ont été imprimés en 2016, soit environ 8,4 livres par personnes en moyenne (…) L’industrie du livre turque est la 11ème plus grande au monde, selon les données de l’Association internationale des éditeurs."
Et la lecture est aussi à la page chez les nouvelles générations : "On dit souvent que les jeunes en Turquie ne lisent pas. Mais les plus grands lecteurs sont des personnes âgées de 14 à 24 ans." Et ce n’est pas La Madone au manteau de fourrure, qui dira le contraire… Le roman du célèbre écrivain Sabahattin Ali a la cote parmi la génération des jeunes lecteurs turcs. Ecrit il y a plus de 70 ans, c’est l’un des romans les plus prisés dans les librairies et les bibliothèques ces dernières années. Depuis 1998, environ un million d’exemplaires ont été vendus.
Autocensure
Ces jeunes étaient aussi jusqu’alors incités à lire de nombreux livres scolaires pour se préparer à l’examen transitoire de l’enseignement primaire à l’enseignement secondaire (TEOG) et à l’examen d’entrée à l’université. Or, ces dernières semaines, le premier a soudainement été supprimé et le déroulement du second, largement modifié. Ces changements ont eu un impact négatif sur la production de livres dans le secteur de l’éducation : "Les livres en rapport avec ces examens sont immédiatement devenus bons à jeter à la poubelle. Cent millions de livres sont concernés, soit 200 millions de dollars de papier importé, explique Kenan Kocatürk. L’année prochaine, il sera difficile de maintenir notre position de 11ème plus grande industrie de livres au monde."
La prévision de l’éditeur est d’autant plus probable que "26 maisons d’édition, dont la plupart sont accusées d’avoir des liens avec l’organisation de Fethullah Gülen (FETO), ont été fermées", rapporte-t-il. L’éditeur s’inquiète de certaines dérives parmi les mesures prises sous l’état d’urgence dans le secteur des livres. Certains ouvrages ont notamment été interdits. "A l’heure actuelle, il s'agit de cas isolés. Mais un tribunal d’une ville anatolienne a utilisé des lois antiterroristes pour interdire un livre simplement parce que ce livre a été trouvé dans la maison d’un terroriste présumé", poursuit Kenan Kocatürk, qui craint des conséquences sur la liberté d’expression. "Beaucoup d’éditeurs ont adopté des attitudes prudentes et défensives, recourant à l’autocensure. Ainsi, les mesures d’état d’urgence entravent certainement la liberté d’expression."
En 2016, selon l’Institut turc de statistique (TurkStat), la Turquie abritait 28.980 bibliothèques, pour presque 80 millions d’habitants.
Solène Permanne (http://lepetitjournal.com/istanbul) jeudi 9 novembre 2017