Suppression de l’examen d’entrée au secondaire et modification des manuels scolaires… Telles sont les grandes lignes des changements opérés par le ministère turc de l’Education en cette rentrée scolaire.
Charles Darwin et Karl Marx manifestent devant le ministère de l’Education nationale de Turquie (MEB) : "Ne restez pas silencieux, si vous gardez le silence, vous serez les prochains", scandent-ils, devant le regard hébétés des grands noms de la science : Galilée, Isaac Newton, August Köhler ou encore Thomas Edison, l’inventeur de l’ampoule. Cette caricature fait la Une du magazine satirique LeMan actuellement en kiosques.
En cette rentrée, la théorie de Darwin dite "de l’évolution" a été retirée des manuels scolaires, faute de "pertinence" selon le gouvernement turc qui avait annoncé cette réforme il y a plusieurs mois. “Nous sommes conscients que si nos enfants n'ont pas le bagage nécessaire ils ne seront pas capables de comprendre des thématiques soumises à controverse", avait déclaré en juin dernier Alpaslan Durmuş, théologien et président du conseil de l'enseignement au sein du ministère de l'Education nationale. Seuls les étudiants âgés de plus de 18 ans allant à l'université pourront accéder à ces documents. La pensée de Karl Marx, elle, ne figure plus dans le livre de sociologie utilisé pour l’enseignement au lycée.
"Universités spéciales de recherche"
Cette modification des programmes scolaires fait partie d’un paquet de changements appliqués au système éducatif turc en cette rentrée. Parmi eux, l’annonce d’une liste de dix universités publiques identifiées comme "universités de recherches spéciales". Le président Recep Tayyip Erdoğan en a dévoilé les noms le 26 septembre, lors de la cérémonie d’ouverture de l’année académique 2017-2018, au palais présidentiel de Beştepe.
Il s’agit de l'université d'Ankara, l'université Hacettepe, l'université Gazi, l'université technique du Moyen-Orient situées à Ankara ; l'université d'Istanbul, l'université technique d'Istanbul, l'université de Boğaziçi situées à Istanbul ainsi que l'université Erciyes, l'université technique Gebze et l'Institut technologique d’Izmir. En outre, les universités de Çukurova, Ege, Selçuk, Uludağ et l'université technique de Yıldız figurent parmi les universités de remplacement à cette liste principale.
Ces universités seront dotées d’un budget supplémentaire destiné à la recherche et seront prioritaires dans la formation du personnel de l’enseignement supérieur. Le magazine satirique Uykusuz a consacré la Une de son numéro actuellement en kiosques à la création de ce statut. La caricature représente deux professeurs en train de discuter :
-Professeur, j’ai une bonne nouvelle pour vous !
-Ils ont payé des frais de scolarité supplémentaires ?
Si la création de ce statut fait quelques sceptiques, l’autre point d’interrogation en cette rentrée scolaire est le déroulement de l’examen obligatoire pour intégrer une université en Turquie. Le directeur du Conseil de l’enseignement supérieur (YÖK) a déclaré le 26 septembre que son système serait radicalement changé. "Le système d'entrée actuel se déroule en deux étapes : un premier examen en mars, et un autre en juin, sur une période de cinq jours. Cette situation, qui s'étend sur près de quatre mois, affecte négativement les études secondaires. Avec le nouveau règlement, nous prévoyons de faire passer l’intégralité de l’examen en un week-end", a déclaré Yekta Saraç, cité par Hürriyet daily News. Il précise qu’un tel changement est envisagé afin de "réduire le niveau de stress de nos étudiants à tous les niveaux de l'éducation, car nous voyons l'impact négatif de cette question sur la qualité de l'éducation". Selon les premières annonces, la langue turque et les mathématiques seront au centre du nouvel examen.
Suppression d’un examen
Ces discussions ont été déclenchées après que le président Erdoğan a déclaré, le 15 septembre, vouloir un nouveau système pour les universités turques. Ce jour-là, il a aussi exposé son souhait d’abolir l’examen transitoire de l’enseignement primaire à l’enseignement secondaire (TEOG) : "Avons-nous des lacunes dans le système éducatif national? Oui. Nous les surmonterons. Par exemple, je ne veux plus du TEOG, je pense qu’il n’est pas bénéfique. Il doit être supprimé", a-t-il affirmé à A Haber. Quelques jours plus tard, le TEOG était aboli. Le ministre de l’Education, Ismet Yilmaz, qui a annoncé sa suppression, dénonçait alors un système qui "traite les élèves comme des chevaux de course".
Cette annonce soudaine a surpris parents et élèves, dont certains se préparaient au concours depuis des mois déjà. C’est le cas d’Eylül, une élève de 13 ans, qui a confié au quotidien Aydınlık son "sentiment d’injustice". La jeune fille, qui souhaite devenir chirurgienne, raconte s’être préparée à l’examen de TEOG durant deux ans : "Notre éducation est ruinée. Notre engagement de deux ans va-t-il vraiment s’écrouler ainsi ?" Eylül rapporte qu’elle a fait une croix sur ses vacances scolaires durant deux ans, pour suivre des cours privés préparatoires. Un système que le président Erdoğan a précisément pointé du doigt et auquel il veut mettre fin en supprimant l’examen de passage à l’enseignement secondaire.
Mais cette énième modification n’est pas du goût de tout le monde : comme le rappelle le journal Al-monitor, le système éducatif a été réorganisé six fois en quinze ans, sous six ministres différents…
Solène Permanne (http://lepetitjournal.com/istanbul) mardi 3 octobre 2017