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TÉLÉ – A Cannes, les séries turques à la conquête du monde

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Sur la Croisette, une affiche de Global Agency, société turque leader mondial de la distribution de programmes télévisuels 'indépendants' (photo IO)
Écrit par Lepetitjournal Istanbul
Publié le 2 mai 2017, mis à jour le 19 février 2019

Pour rencontrer en un même lieu les professionnels du très dynamique secteur télévisuel turc, le mieux est encore de se rendre en France, à Cannes, où a eu lieu en avril dernier la 17ème édition du salon MIPTV. Lepetitjournal.com d'Istanbul y était.

Le MIPTV est avant tout un moment de rencontre incontournable du monde de la télévision. Venus de plus de 60 pays, les participants y développent leurs relations publiques, participent à des conférences, se tiennent au courant des nouveautés et, surtout, font des affaires. Si la Turquie n'était plus, comme en en 2015, le pays à l'honneur, elle était omniprésente pour cette édition 2017, bien sûr dans l'enceinte du Palais des festivals avec pas moins de 70 stands, mais aussi dans les rues où des dizaines de panneaux publicitaires à l'effigie des productions "made in Istanbul" ornaient les façades et le seuil d'hôtels mythiques comme le Carlton, le Mariott ou le Majestic, lesquels proposaient des projections et événements privés pour la presse et les acheteurs potentiels. 

 

Etaient notamment présents les chaînes de télévision TRT, Kanal D, ATV, mais également le très puissant producteur Kerem Çatay (Ay Yapım) et quelques acteurs. Des affiches géantes représentant les séries du moment, telles que "Cesur ve Güzel" ou "Ölene Kadar", tapissaient plusieurs étages du Palais des festivals. La Chambre de commerce et d'industrie d'Istanbul, le ministère de la Culture et du Tourisme étaient également représentés ainsi que de nombreux distributeurs tels que Global Agency, Inter Medya, Calinos ou Match Point.

La production turque, en position de challenger au niveau mondial juste derrière les Etats-Unis, est en plein bouleversement. Les acteurs traditionnels du secteur en Turquie sont en effet confrontés à de nouveaux concurrents attirés par ce secteur qui rapporte plusieurs centaines de milliers de dollars par épisode. Désormais, le marché est submergé de chaînes de télévision, producteurs, distributeurs, agents indépendants... Tous veulent leur part du gâteau. Selim Türkmen, responsable des ventes au sein de la chaîne de télévision Kanal Dn appartenant au plus grand groupe de médias de Turquie, Doğan Medya, le confirme : "Nous ne sommes plus en situation de monopole comme c'était le cas il y a quelques années mais nous restons l'un des acteurs principaux du secteur. Nous avons su perdurer face à une concurrence accrue car nous avons développé nos propres sociétés de production afin de gagner notre indépendance face aux producteurs, et nous vendons nous-mêmes nos séries sans passer par des distributeurs."

Le secret du succès: les femmes

Pour réussir, une série turque doit d'abord séduire le public local avant de séduire l'étranger, et en particulier le public féminin qui représente environ 70 % de l'audience, indique Yasin Emin Elmacı, directeur des ventes au sein de la chaîne ATV. Les femmes jouent ainsi un rôle crucial : celui de baromètre. La chaîne peut arrêter la diffusion d'une série à tout moment si le succès auprès d'elles n'est pas au rendez-vous dès les premières diffusions et elle ne pourra pas prétendre à l'export en deçà de 30% de part d'audience. 

L'export est en effet une manne financière considérable, quoique assez opaque. Le recueil d'informations est difficile selon Nebi Kılıçarslan, représentant extérieur du ministère de la Culture et du Tourisme de Turquie. Citant des données de la Chambre de commerce et d'industrie, il estime que ce marché a engendré un chiffre d'affaires de près de 350 millions de dollars en 2016 pour l'export et pense qu'il peut atteindre 2,5 milliards de dollars en 2023. 

Certaines sociétés de production s'efforcent d'innover car la recette du succès qui fonctionnait hier ne fonctionnera plus forcément demain. Elles élargissent leur domaine de compétences en proposant dorénavant des jeux télévisés, du divertissement et même de la téléréalité face à un public de plus en plus "zappeur". Elles s'adaptent également aux récentes évolutions technologiques du secteur : ultra HD, SVOD, séries diffusées sur les supports numériques tels que Snapchat, etc. 

A l'avenir, la qualité d'image, du scénario et le charisme des acteurs dotés d'un physique ?international? ne suffiront peut-être plus. Ay Yapım et son PDG, Kerem Çatay, ont ainsi présenté en avant-première mondiale un concept inédit au salon. Sa nouvelle série "Phi", inspirée d'une trilogie romanesque, a été créée exclusivement pour la plateforme digitale Puhu avec un format plus court (20 épisodes de 60 minutes) et un scénario qu'il qualifie "d'adaptable au monde entier". Pas de "Turkish touch", donc, contrairement à la série de TRT présentée également en avant-première mondiale, qui relate les 14 dernières années du dernier empereur ottoman.

Objectif Amérique latine

Autre tendance à laquelle il faut d'adapter : le niveau d'exigence des producteurs, qui a monté d'un cran. Pour une autre série produite par Ay Yapım, "Heart of the city", l'acteur Kerem Bursin a confié lors d'une conférence de presse qu'il avait dû suivre une formation d'un an et demi à Los Angeles avec le boxeur olympique Tony Jeffries pour entrer dans la peau de son personnage. Murat Evgin, compositeur de musique pour films et séries, ajoute que "la musique joue également un rôle stratégique, qui ponctue le scénario et fait partie intégrante du succès. Celle-ci doit être minutieusement élaborée". Les meilleurs compositeurs turcs sont aujourd'hui envoyés en Amérique latine pour collaborer avec leurs homologues.

Pourquoi l'Amérique latine ? Tout simplement parce que l'enjeu de la qualité et de l'innovation est de pouvoir pénétrer ce nouveau marché, berceau des telenovelas et nouvel eldorado des sociétés de distribution turques, après l'Asie du Sud-Est, les Balkans et le Moyen-Orient déjà acquis. D'ailleurs, dès le deuxième jour du salon, la chaîne Kanal D et le premier réseau de télévision privé chilien Mega ont conclu un partenariat de coproduction et codéveloppement.

Mais l'ultime enjeu pour les professionnels turc sera d'arriver à séduire et convaincre les pays d'Europe de l'Ouest... dont la France, qui reste pour l'instant hermétique à toute collaboration. Ce n'est qu'à ce prix que l'empire turc télévisuel pourra peut-être un jour détrôner la suprématie américaine.

Ihsan Ouassif (http://lepetitjournal.com/istanbul) mercredi 3 mai 2017

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Publié le 2 mai 2017, mis à jour le 19 février 2019

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