Si la Turquie avait jusqu’à maintenant la réputation d’être une terre d’accueil pour les réfugiés, l’ONG Human Rights Watch (HRW) a rendu public, le 24 octobre, un rapport démontrant un changement radical dans la politique migratoire du pays.
Liée par un accord sur l’immigration avec l’Union européenne, la Turquie reçoit en échange des fonds octroyés par cette dernière pour sa politique d’accueil. On compte officiellement 3,6 millions de Syriens sur le sol turc.
Les premières arrivées de réfugiés syriens datent de 2011, lorsque la stabilité de leur pays se voit bouleversée par la révolution contre le régime dictatorial du président Assad. Dès lors, la guerre éclate entre les forces gouvernementales et les forces d’opposition, rendant la vie sur place extrêmement dangereuse pour les habitants.
Plusieurs millions d’entre eux se sont ainsi réfugiés en Turquie où ils ont pu s’installer et essayer de se construire une nouvelle vie.
D’un statut de protection à des restrictions dans certaines provinces / quartiers
C’est dans ce cadre que le président Erdogan avait initialement entrepris une politique d’ouverture des frontières particulièrement généreuse envers les populations syriennes, octroyant à ces réfugiés un statut spécial établi en 2014 sous le nom de "Temporary protection regulation", règlement de protection temporaire. L’article 6 de ce règlement prévoit notamment qu’aucun individu ne pourra être renvoyé dans un espace "où sa vie et sa liberté seraient menacées".
Or, il semble que cette politique d’accueil ait pris un nouveau tournant à partir de février 2022 : en témoigne la décision du ministre adjoint de l’Intérieur Ismail Çataklı, par le biais de laquelle 16 provinces, dont Ankara et Istanbul, n'acceptent plus les premières demandes de permis de séjour dans les quartiers où au moins 25% (20% depuis juillet 2022) de la population est étrangère. Dans les quartiers désormais "fermés", nombreux sont les réfugiés qui étaient parvenus à trouver du travail.
Ces mesures font écho au rejet croissant des étrangers en Turquie (syriens en majorité), une Turquie dont les habitants souffrent d’une grave crise économique (inflation officiellement à + de 80% sur l’année) et en font porter de plus en plus fréquemment la responsabilité aux réfugiés et demandeurs d’asile.
Une enquête d’opinion de mars 2022 montre que plus de 80% des Turcs souhaiteraient le retour des réfugiés dans leur pays.
Des "renvois forcés" et des "traitements violents"
Le rapport de HRW, basé sur le témoignage de 37 réfugiés, révèle des traitements violents, des kidnappings par les autorités turques parfois sur le lieu de travail ou au domicile de ces personnes. Par ailleurs, les conditions de détention dans des "camps" en attente du passage de la frontière interrogent, les témoignages évoquent des comportements violents envers ceux qui refusent de signer les formulaires de "retour volontaire".
Entre février et août 2022, 11 645 personnes ont été reconduites de force à travers le check-point Bab al-Hawa et 8 404 par le poste frontière de Bab al-Salam. Ces réfugiés sont renvoyés dans le nord de la Syrie, des zones non contrôlées par le régime d’Assad, mais qui n’en restent pas moins sensibles et conflictuelles.
Les conditions de ces retours forcés contredisent les termes de la Convention européenne des droits de l’Homme (dont la Turquie est partie), en ce que les libertés fondamentales de ces personnes semblent bafouées.
Le rapport de HRW est publié alors que ces dernières semaines, Ankara semble vouloir assouplir ses relations envers le régime de Damas.
> Retrouvez le rapport (en anglais) en cliquant ICI