Le 5 décembre 1934 marque l’entrée des femmes turques dans le suffrage national. Un acte de rupture pour une jeune République qui cherche alors à se définir. Depuis, cet événement ne cesse d’interroger le chemin parcouru et celui qui reste à écrire.


Un tournant majeur dans une décennie de réformes
Entre l’abolition du califat en 1924, la réforme du Code civil en 1926 et l’ouverture du vote municipal aux femmes en 1930, la jeune République redessine ses repères. Le 5 décembre 1934 prolonge cette dynamique en ouvrant aux femmes le suffrage national : un geste qui inscrit leur participation politique au cœur du projet républicain.
Dans les mois qui suivent, la presse met en avant les premières candidates et, en 1935, dix-huit femmes entrent au Parlement. Leur arrivée marque un changement d’échelle : la citoyenneté féminine n’est plus une promesse, mais une réalité qui continue, près d’un siècle plus tard, d’éclairer la trajectoire et les tensions de la Turquie contemporaine.
Avant 1934 : un premier droit municipal accordé aux femmes
La conquête de 1934 ne surgit pas d’un vide. Quatre ans plus tôt, en 1930, les femmes turques obtiennent déjà le droit de vote et d’éligibilité aux élections municipales. Cette première étape marque un jalon déterminant : elle introduit les citoyennes dans l’espace politique local, leur donne une place dans l’administration de la vie quotidienne et prépare l’élargissement du suffrage à l’échelle nationale.
Ce premier vote municipal devient un terrain d’expérience politique. Il révèle les attentes, les résistances et l’ampleur des transformations sociales en cours. La République veut moderniser ses institutions et façonner une nouvelle citoyenneté : inclure les femmes dans la gestion publique devient l’un des leviers de cette ambition.
1934 : un suffrage national qui redéfinit la citoyenneté féminine
Le passage au suffrage national, acté le 5 décembre 1934, scelle une étape décisive. En accordant aux femmes le droit de voter et d’être élues à la Grande Assemblée nationale, la Turquie redessine les contours de sa citoyenneté. Ce geste affirme que la représentation politique ne peut plus s’envisager sans les femmes et inscrit leur voix dans les institutions centrales du pays.
L’enjeu dépasse la seule ouverture juridique. Il traduit l’ambition d’une République qui cherche à consolider son identité moderne, laïque et égalitaire. Pour les femmes, ce droit marque à la fois une reconnaissance et un déplacement : elles ne sont plus uniquement présentes dans la sphère sociale ou familiale, mais désormais appelées à intervenir dans la vie publique à part entière.
1935 : les premières femmes au Parlement

L’élection de 1935 donne une réalité tangible au suffrage national accordé l’année précédente : dix-huit femmes entrent à la Grande Assemblée nationale, soit 4,5 % des 399 sièges. Elles viennent d’horizons variés : enseignantes, médecins, militantes d’associations féminines, élues locales. Leur présence reste minoritaire, mais elle ouvre un espace politique jusque-là inaccessible.
Parmi elles, Satı Çırpan, ancienne muhtare élue dès 1933 dans un village d’Ankara, résume l’esprit de cette nouvelle étape : « Nous avons attendu longtemps pour être entendues. Désormais, notre voix compte. » (Discours à l’Assemblée, 1935, archives TBMM)
Ces pionnières ne bouleversent pas l’équilibre du Parlement, mais elles imposent une réalité nouvelle : la représentation féminine n’est plus théorique. Leur activité, souvent peu médiatisée, contribue à inscrire durablement la participation des femmes dans les institutions de la République.
Et si l’on parlait des premières écrivaines féministes de Turquie ?
Héritages, avancées et zones d’ombre : un équilibre toujours fragile
En 1934, la Turquie devient l’un des premiers pays du bassin méditerranéen à ouvrir le suffrage national aux femmes. Plusieurs États européens avaient déjà franchi ce cap, la Norvège, le Danemark, l’Autriche ou l’Allemagne, tandis que d’autres, dont la France, la Belgique ou la Suisse, ne l’adopteront que plus tard.
Près de cent ans plus tard, l’héritage de 1934 demeure visible. La Turquie s’est dotée d’un arsenal juridique destiné à protéger les femmes, dont la loi 6284 contre les violences intrafamiliales, adoptée en 2012, qui reste l’un des textes les plus solides de la région selon ONU Femmes et plusieurs évaluations internationales. Parallèlement, les organisations de défense des droits des femmes alertent régulièrement sur les violences documentées et les inégalités persistantes, alors que le pays s’est retiré de la Convention d’Istanbul en 2021.
Ces contrastes éclairent la complexité de la situation : un droit acquis tôt, une histoire républicaine marquée par des gestes fondateurs, mais aussi des écarts entre les principes affichés et les réalités du quotidien. Le 5 décembre rappelle ainsi la force d’une conquête ancienne et la nécessité de continuer à en préserver l’esprit.
Un repère qui traverse le siècle
Le 5 décembre 1934 marque une étape structurante dans la construction de la citoyenneté féminine en Turquie. En ouvrant le suffrage national aux femmes, la jeune République inscrit l’égalité politique au cœur de son projet et donne un ancrage durable à leur présence dans la vie publique.
Cet acquis n’a pas effacé les tensions ni les inégalités, mais il demeure l’un des repères les plus solides de l’histoire républicaine. Chaque 5 décembre rappelle ainsi la portée d’une décision précoce et la responsabilité de faire vivre les principes qui l’ont rendue possible.
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