En plein cœur de l'Anatolie Centrale, à 85 km au sud-ouest de Çorum et à quelques 1000 m d'altitude, Boğazkale abrite à la sortie du village l'extraordinaire ancienne capitale des Hittites : la belle cité de Hattuşa, inscrite au patrimoine mondial de l'Unesco depuis 1986.
La civilisation hittite, peu connue du grand public, fusion d'indigènes et de populations ayant adopté le langage indo-européen, a vu le jour au IIème millénaire av. J.-C. Elle tient son nom de Hatti, son royaume installé autour de sa capitale.
Les premières traces historiques des Hittites ont été attestées la première fois dans les "Tablettes de Cappadoce", archives de marchands assyriens venus s'installer en Anatolie Centrale à la fin du XXème siècle av. J.-C.
Plus de 30.000 tablettes ont été exhumées à Hattuşa, permettant ainsi de découvrir la législation en vigueur mise en place par les rois, leurs noms et les guerres qui y ont eu lieu.
L'importante hiérarchie au sein des Hittites s'est notamment fait connaître grâce aux superbes bas-reliefs sculptés au niveau des murs qui entourent leurs palais royaux à travers les scènes de cour, les processions et les hommages au roi décrits.
La visite commence parmi les papillons
Les éminents spécialistes qui se sont penchés sur les Hittites ont ainsi pu découvrir à quel point ce peuple était intelligent et s'est nourri de la culture des différentes civilisations croisées sur son chemin. Bâtisseurs particulièrement doués et auteurs de systèmes de défense très efficaces, ils n'avaient guère peur de s'installer dans des coins au relief accidenté tel qu'à Hattuşa.
Au premier abord, la vision du site peut laisser perplexe mais il ne faut pas s'arrêter à la vue de la muraille érigée à l'entrée du site, donnant l'impression d'une réalisation en carton-pâte. En effet, les archéologues allemands ont construit ce mur en adobe – briques crues séchées au soleil – d'après les techniques de l'époque.
Le roi Hattusilis Ier a fondé la capitale de son royaume 2.000 ans av. J.-C. Et un siècle plus tard, la cité y a pris un nouvel essor. La plupart des ruines visibles aujourd'hui datent du Nouvel Empire, en l'occurrence des 14 et 13èmes siècles av. J.-C.
Désertée à la fin de l'empire hittite, Hattuşa a néanmoins retrouvé une période plutôt glorieuse grâce aux Phrygiens qui s'y sont installés du 9ème au 7ème siècle av. J.-C. Ensuite, la cité a été occupée et habitée de manière très aléatoire avant d'être laissée à l'abandon.
S'étendant sur 2,5 km, Hattuşa possédait pas moins de 6 km de rempart érigés sur un relief difficile et dont une partie a traversé le temps jusqu'à ce jour. Le circuit peut être effectué en voiture – pour ceux qui disposent de peu de temps ou que la marche rebute – grâce au chemin serpentant au milieu d'un panorama extraordinaire. Néanmoins, c'est à pied que la magie du site opère. Des dizaines voire des centaines de papillons vous accompagnent tout au long de cette promenade, où mysticité et décors de toute beauté font la joie des amateurs d'Histoire et de nature.
A la découverte d'un vaste temple hittite
Une fois l'entrée franchie, une première halte permet de découvrir l'impressionnant complexe dédié à Teshub, dieu de l'orage et à Hepatu-Arinna, déesse du soleil. C'est sur cette terrasse que fut érigé le plus vaste temple hittite (160 m x 130 m), abritant de nombreuses salles de culte, des dépendances et des échoppes. Tel le forum latin, cet endroit avait également une vocation économique.
On accède au complexe construit en briques crues, à l'image du pan de mur de l'entrée du site, par une seule porte dont le seuil est toujours apparent. Une route dallée borde le temple et des salles entourent une cour centrale de taille importante. Les deux adytons, chambres secrètes uniquement accessibles aux prêtres et où étaient exposées les statues des divinités, sont accessibles d'un côté.
Juste en face du temple, se trouvaient la maison aux ateliers abritant commerces et habitations. Le déchiffrage des tablettes découvertes à Hattuşa a permis d'apprendre que plus de 200 personnes avaient élu domicile dans l'enceinte des lieux. Les entrepôts ont été localisés grâce aux imposantes amphores enterrées dans le sol.
La visite se poursuit vers les remparts de la ville haute. Les deux rangées de murailles séparées de 6 m, recouvertes à l'époque de glacis afin de compliquer l'assaut des ennemis, témoignent de l'intelligence des Hittites en matière d'architecture défensive.
Le site de Hattuşa est doté de six portes dont trois restent visibles. De magnifiques sculptures de félins ont été réalisées sur les chambranles extérieurs de la première, celle des Lions.
Puis de la grande forteresse
Un peu plus loin, la porte des Sphinx, dont l'accès se fait par deux escaliers monumentaux, se trouve sur le point le plus haut des remparts. Juste en dessous, 71 m de couloir souterrain – appelé poterne – donnent l'occasion de jouer au passe-muraille et d'apprécier la vue sur la magnifique nature environnante puis, de remonter par l'autre escalier.
La troisième porte est celle du Roi sur laquelle la copie d'un admirable personnage figure sur le chambranle gauche du mur extérieur. L'original, quant à lui, se trouve exposé au Musée des civilisations anatoliennes d'Ankara.
En continuant la visite du site, des ruines d'une église, d'un bastion, d'un fortin et de bien d'autres lieux apparaissent de part et d'autre de la route.
Pour raconter sa vie, Şiluliuma II, dernier roi hittite de Hattuşa, a fait construire l'étrange Chambre des hiéroglyphes dont les pans de murs sont ainsi couverts de hiéroglyphes en bas-reliefs.
Sur un plateau que l'on découvre du chemin, voici Büyükkale, "la grande forteresse". C'est là que vivait le roi qui y a aussi fait installer ses archives... Là même où ont été découvertes les plus de 30.000 tablettes, rédigées pour partie en écriture cunéiforme – écriture des Assyriens – , pour partie en hiéroglyphes égyptiens.
Mais aussi : un sanctuaire du 13ème siècle…
Après avoir visité le site de Hattuşa, deux autres lieux tout proches se doivent d'être inscrits au programme. Tout d'abord, celui de Yazılıkaya à 2,5 km de là, sur les hauteurs de la route de montagne, et qui abrite le sanctuaire de la ville créé par le roi Hattsilis III au 13ème siècle av. J.-C. et agrandi par son fils Tudhaliyas IV.
Près d'un millier de divinités étaient adorées par les Hittites qui avaient inclus celles des différents peuples rencontrés sur leur chemin et un peu plus de 65 de ces dieux, faisant ainsi partie du panthéon hourrite, sont représentées à Yazılıkaya et dont la taille diffère selon leur considération.
A titre d'exemple, le gouverneur et grand prêtre Tudhaliyas IV mesure 2,60 m alors que Teshub, dieu de l'orage, et Hepatu-Arinna, déesse solaire, accompagnés au fond de la crevasse par un aigle à deux têtes dont les formes se laissent deviner, ne font "que" 2 m.
Seules subsistent aujourd'hui sur ce site, les bases en pierre des constructions de ce sanctuaire. L'adyton à ciel ouvert et entouré de parois rocheuses abritait les festivités honorant le retour du printemps et le renouveau de la nature. A cette occasion, le souverain et son épouse officiaient comme acteurs symboliques.
D'extraordinaires bas-reliefs couvrent les parois rocheuses des pièces sacrées les plus importantes et comme il se pratiquait en Mésopotamie, les profils des dieux apparaissent en procession. La représentation de douze dieux armés de cimeterres – sabres orientaux dont la lame s'élargit à l'extrémité – et alignés de façon très harmonieuse constitue le plus beau des bas-reliefs.
Et enfin, le musée de Boğazkale
Une halte s'impose aussi au musée de Boğazkale, qui a ouvert en septembre 1966. Ce dernier, tout comme son magnifique cousin de Çorum, permet de mieux connaître les Hittites. Se trouvent exposées là de nombreuses œuvres mises au jour durant les fouilles réalisées à Hattuşa.
Transformés en 2011, les lieux abritent une importante collection de pièces de différentes époques allant du chalcolithique à la période byzantine en passant par celles du bronze ancien, des assyriens, des hittites, des phrygiens, des galates ainsi que des romains.
Le sphynx de Boğazköy – autre nom du village – a retrouvé sa place le 26 novembre 2011 près des autres sphynx après avoir séjourné un temps au musée de Berlin.
A Boğazkale subsistent des maisons traditionnelles en partie rénovées et en partie restées en l'état. Les oies s'y promènent en groupes et font des balades même en direction de Hattuşa, offrant une scène amusante lorsque vous les croisez.
A la sortie du site en direction de Yazılıkaya, l'hôtel Demiralan, tenu par une famille franco-turque, vous réserve le meilleur accueil. Une grande piscine y est installée à côté du champ de tournesols, avis aux amateurs !
Pour profiter pleinement de cet environnement exceptionnel, propice au calme et à la promenade, il vaut mieux être véhiculé car les transports en commun sont rares dans le secteur mais le stop est possible vu les conditions d'accès.
Nathalie Ritzmann (http://lepetitjournal.com/istanbul) mercredi 2 août 2017