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Claude Martin : un Lyonnais dans l’Inde du XVIIIe siècle (partie 2)

Lyon, Kolkata, Lucknow, qu’ont en commun ces trois villes ? Elles ont en commun un homme, le Major-Général Claude Martin, fils d’une modeste famille lyonnaise, qui par une disposition testamentaire généreuse, légua une part de son immense fortune pour la création d’écoles, dont il avait lui même choisi le nom : les écoles La Martinière, à la ville de Lyon et aux villes de Lucknow et Calcutta en Inde. (Partie 2)

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Écrit par Anaïs Pourtau
Publié le 18 juillet 2024, mis à jour le 18 juillet 2024

Claude Martin : les débuts d'un Lyonnais dans l’Inde du XVIIIe siècle

Claude Martin au service de l’East India Company

1764, C’est le début de l’occupation britannique au Bengale et en Awadh. Claude Martin est remarqué “pour son attitude loyale et son assiduité au combat”. Il est nommé collecteur des revenus des récoltes en Awadh  en 1765, pour l’East India Company et il est cantonné à Lucknow, qui est alors un centre commercial important.

En 1766 il participe à "la mutinerie blanche".

Les profits de la Compagnie diminuent régulièrement, les employés de la Compagnie tirent de nombreux avantages de leurs accords commerciaux avec les propriétaires terriens locaux (canne à sucre, tabac et indigo) et l’argent va dans leurs poches plus souvent que dans les coffres de la Compagnie.

Les paiements des soldats sont toujours en retard, la Compagnie des Indes Orientales annonce alors des mesures d’austérité et une baisse de la solde y compris pour les officiers. L’officier Robert Fletcher, se révolte contre cette décision et il est expulsé de l’armée après être passé en cour martiale.

Nombreux sont les officiers qui lui font alors connaître leur soutien par un courrier que signe aussi Claude Martin. Tous les officiers concernés sont renvoyés, Martin compris.

Un nouveau métier : Géomètre au Bengale.

Le courage et la loyauté de Martin, font que les officiers lui gardent leur estime et il est réengagé en 1769 comme géomètre, pour faire des relevés topographiques, par triangulation, dans le nord du pays (En 1820 quelques cartes dessinées par Martin sont citées comme excellentes). Il dispose pour cela de papier-calque, de sextants, quadrants, boussoles, théodolites et “préambulateur”(engin possédant une roulette). Les instruments sont importés d’Angleterre. Actuellement le théodolite est électronique, il permet de mesurer les angles horizontaux et verticaux.

Martin, doué en mathématiques et trigonométrie, a fait partie des excellents géomètres qui ont levé des plans en Awadh, dans la région de Lucknow et au Bengale autour Calcutta sous la direction du Major Rennell. Celui-ci dira plus tard qu'il éprouvait de la sympathie pour les officiers qui avaient signé la lettre de soutien à Fletcher.

 

Rennel s map 1770
Cartographie du Major Rennel datant de 1770. Paru dans Faden’s General Atlas, 1811.

 

La vie des géographes européens de l’époque, n’est pas de tout repos. Ils se rendent dans des contrées inconnues, voire hostiles et ne sont pas toujours bien reçus par les villageois inquiets de voir débarquer ces étrangers.

En 1769 il n’y a pas eu de mousson au Bengale, ce qui a engendré ce que l’on appelle encore “la grande famine du Bengale”. Le nombre de morts est estimé à près de dix millions de personnes. Certains de ceux qui ne sont pas morts de faim, ont été dévorés par les animaux sauvages. La Compagnie n’a pas compris la gravité de la situation et ne modifie pas ses exigences, en termes de taxes et impôts. Elle est cependant contrainte d’admettre la réalité, l’argent ne rentre pas. Le nouveau gouverneur du Bengale, suggère alors de se tourner vers d’autres sources de revenus moins risquées en commerçant le drap et les métaux avec l’Assam et le Bhoutan.

En 1773, Claude Martin redevenu soldat pour la circonstance, part en expédition militaire au Bhoutan. Après la chute du Fort Chicha Cotta, le Raja signe un accord de paix avec les Anglais. Cette occasion permet à Martin de visiter des temples, des lamaseries et de s’emparer de leurs richesses : manuscrits, livres, reliques, sculptures et tableaux. À l’époque, ce n’est pas un acte honteux, c’était un butin de guerre ordinaire.

James Wiss, un Italien du Piémont, a été envoyé au Bengale par la Compagnie, pour construire une filature de soie. En effet, de nouvelles techniques ont été inventées en Italie pour dévider les cocons des vers à soie. Martin visite plusieurs fois la filature durant sa construction et fort de ses connaissances d’ancien apprenti soyeux et technicien géomètre, il assiste Wiss pour dessiner les plans et participer à la construction du bâtiment. Une passion lui était née et ne le quittera plus jusqu’à sa mort.

Cette année-là, dans le Cooch Behar, actuel Bengale occidental, il tombe malade. Il a certainement attrapé une maladie vénérienne. Malgré une opération des testicules, il continua à souffrir longtemps.

Claude Martin s’installe à Lucknow

En 1775, à la mort de son père, Asaf-ud-daula devient Nabab Wasir de l’Awadh. Il reste comme son père lié à la Compagnie qui protège la province. Les Sepoys Indiens et les officiers européens sont entièrement à la charge du Nabab. Il décide de déplacer la cour à Lucknow, dont il fait sa capitale.

Martin habite déjà la nouvelle capitale en compagnie de son ami John Bristow, résident à Lucknow, un homme à l’honnêteté discutable. Celui-ci lui fait gagner beaucoup d’argent. Grâce aux manigances de Bristow qui a convaincu d’une part le Nabab et de l’autre la Compagnie de lui vendre des armes, le Capitaine Claude Martin devient directeur de l’arsenal du Nabab.

Il supervise la manufacture d’armes à feu et les fonderies de canons et prélève des taxes sur l’acquisition des matériaux : bois, métaux, salpêtre, ce qui était un usage ordinaire à cette époque.

Au cours de l’année 1975, Claude Martin fait la démarche d’adopter une fillette de neuf ans du nom de Boulone Lise, issue d’une famille noble. Celle-ci l'a vendue à un Européen auquel Martin la rachète. L’esclavage n’est pas encore aboli. Il veut l’élever comme sa fille et elle l’accompagnera partout. Elle devient sa maîtresse bien plus tard, lorsqu’elle a dix-huit ans. Les biographes pensent que ses calculs de la vessie dont il a souffert jusqu’à ce qu’il s’opère lui-même, en 1783, ne lui permettaient probablement pas d’avoir de relations sexuelles. Il eut sept femmes, qui arrivèrent chez lui enfants et fit pour cela scandale dans la communauté anglaise. Dans son testament, Martin a doté chacune de ses maîtresses d’une pension qui devait leur permettre une vie confortable.

Les fonctions occupées alors par les uns et les autres étaient fragiles et liées à des réseaux d’intérêts. Ainsi Claude Martin a pu garder sa place à l’arsenal, grâce aux liens personnels qu’il a noué avec le Nabab.

 

Zoffrani

 

Par la suite celui-ci dira qu’ils se connaissent depuis l’enfance, probablement une extrapolation de la part du Nabab !

Claude Martin gère au mieux ses relations, il entre en franc-maçonnerie dans une des Loges de Calcutta, crée un réseau et participe à différentes actions de bienfaisance. Malgré les conflits entre Anglais et Français, entre la Compagnie, les Marathas et le souverain de Mysore, les nombreuses luttes politiques, en homme avisé, il mène rondement ses affaires.

« Labore et Constantia »

En 1779, Claude Martin fait construire à Lucknow, sur les rives du fleuve Gomti, un marché couvert : le Bazar du Capitaine. Les marchandises y arrivent par voie fluviale, tellement plus sûres que les routes de l’époque.

Il y fait aussi construire sa première demeure Farhat Baksh, qu’il agrandit peu à peu, tenant compte des inondations annuelles. Il fait creuser deux étages en sous-sol, pourvus de vastes pièces, qu’il habite durant la saison chaude. Pendant la mousson, il regagne les étages supérieurs.

Il fait bâtir deux propriétés à Lucknow, celle-ci que l’on appelle le château de Lyon et plus tard en 1795, il commence la construction d’un deuxième palais qu’il va appeler Constantia, en référence à sa devise : Labore et Constantia (labeur et persévérance). Ce palais sera achevé après sa mort.

 

Labore et Constantia
Labore et Constatia. Source : https://www.flickr.com/photos/draconianrain
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Il en a dessiné les plans et a prévu au sous-sol, sa crypte funéraire. Certains disent que c’est pour éviter sa confiscation après sa mort, par le Nabab Asaf-ud-daula. Celui-ci étant empêché par la loi islamique d’habiter un tombeau.

 Ce palais, conformément au testament du Lieutenant-Colonel Martin est devenu le « collège de garçons La Martinière de Lucknow » en 1845.

 

Labore et Constantia
collège de garçons La Martinière de Lucknow. Crédit photo : Samir Kher

 

Son château de Lyon est si bien fortifié que les plus riches familles de l'Etat souhaitent y mettre en dépôt leurs richesses.

Le Major devenu banquier, prête alors à 12% l’an à des personnalités militaires, civiles et politiques de l’Inde. Il prête aussi au gouvernement d’Awadh et le Nabab est l’un de ses débiteurs préférés. Après sa mort, on a trouvé dans l’inventaire de ses coffres, des diamants et pierres précieuses en quantité, probablement offerts en cadeau par le Nabab, en guise de remboursements de dettes.

Un homme érudit et éclectique, doté d’une grande intelligence.

Claude Martin se tient au courant des inventions qui voient le jour en Europe : l'électricité, les machines à vapeur, l’astronomie, la physique et la chimie. Il invite chez lui, des artistes et des philosophes, organise des dîners. Il a une curiosité dévorante pour la culture européenne et indienne, il possède une bibliothèque de quatre ou cinq mille volumes traitant de mécanique, d’histoire contemporaine et ancienne, de politique, de langues, de médecine et d’anatomie, d’astronomie et de physique, il possède les œuvres de Shakespeare et le Bhagavad Gita.

 Claude Martin, passionné par les nouvelles découvertes, fait venir d’Angleterre du matériel pour s’essayer lui aussi à produire de l'électricité.

En 1785, il fait fabriquer une montgolfière selon la technique des frères Montgolfier et la fait voler, expérience qui reste dans la mythologie déjà riche de Lucknow. Les informations technologiques se transmettent finalement assez facilement, puisque cela faisait à peine deux ans que les deux frères ont fait la démonstration du vol d’un ballon à air chaud à Annonay, près de Lyon.

 

Public Domain, https://commons.wikimedia.org/w/index.php?curid=1878547
Source : Public Domain, https://commons.wikimedia.org/w/index.php?curid=1878547

 

Martin est ingénieur, architecte, fabricant de bateaux, négociant, agriculteur, fabricant de canons, banquier, botaniste.

Il invente un procédé nouveau pour l’extraction de l’indigo qui est la couleur bleue extraite de cet arbuste nommé indigotier. Il utilise ses techniques dans ses plantations de Najafgarh, rebaptisées Martingarh, au sud-est de Cawnpore, sur le Gange. Il y a là aussi sa roseraie qui produit les pétales nécessaires à la distillation d’eau de rose et de parfums, qu’il fait fabriquer dans ses ateliers. Il exporte à grande échelle ses productions par des bateaux qu’il  a fait construire sur ses chantiers et qui descendent le Gange qui longe ses propriétés.

À la fin de sa vie, il s’essaye à la confection et à l’exportation de châles en cachemire qui sont à la mode en Europe.

Il a bâti une fortune colossale, il se dit qu’il était à sa mort, l’Européen le plus riche des Indes.

Cet homme insatiable développe aussi un grand réseau d’échanges qui va de l'Inde, à l’Europe et de la Chine jusqu’au Mexique. Du Mexique il fait venir des dollars en argent alors rarissimes en Inde du Nord. 

Une dernière bataille

Claude Martin est promu Lieutenant-Colonel en 1782, étant resté français jusqu’à sa mort, il n’en reçoit donc pas les émoluments.

En 1791, il reprend du service dans la compagnie anglaise des Indes et accompagne Lord Cornwallis, qui est devenu un ami, comme aide de camp lors de la troisième guerre du Mysore, puis retourne à Lucknow après la première reddition de Seringapatam le 1792. Il en profite pour herboriser et ramène des plantes et des graines qu’il découvre : l’épineux de Mysore qui sert à faire des palissades et une graminée pour nourrir le bétail, qui est baptisée en son honneur "Andropognon Martini".

La Révolution française a commencé en Europe et il décide de ne pas y rentrer, il est particulièrement touché, lorsqu’il apprend l’exécution par des royalistes en 1795, de son ami de Lucknow le colonel Antoine Polier.

Les legs de Claude Martin

Celui-ci est très sensible à l’accession à l’éducation des enfants pauvres et méritants.

Il a décidé de léguer une grande part de sa fortune, à l’instruction des garçons et des filles de Lucknow, Calcutta et Lyon.

15000 étudiants à Lyon Lucknow et Calcutta étudient encore aujourd’hui dans des écoles La Martinière.

les écoles La Martiniere à Lyon
Les écoles La Martiniere à Lyon. Source : Anaïs Pourtau

 

De Lyon, sont sortis entre autres, les Frères Lumière, l’architecte Tony Garnier et l’écrivain Frédéric Dard.

De Lucknow, le docteur Rajendra Pachauri (1940-2020), éminent spécialiste des changements climatiques aux Nations Unis et prix Nobel de la Paix, Priyanka Chopra, actrice et Miss Monde 2000. Ashish Kapoor, acteur. Isha Basan Joshi, première femme officier du Service Civil Indien et première jeune fille indienne admise au collège Lamartiniere de Lucknow.

De Calcutta, Chandak Gayen est la première femme bengali à gravir le Mont Everest, Mawsam Noor est parlementaire indien, Nafisa Ali est nageuse, actrice et femme politique.

La municipalité lyonnaise une fois l’argent de l’héritage reçu, souhaitait l’utiliser à la construction d’une maison de correction. L’Académie de sciences, des arts et belles lettres de Lyon, chargée de l’exacte exécution testamentaire de Claude Martin, dû peser de tout son poids moral et politique, pour que son testament soit respecté et que cet argent soit utilisé à la construction d’une école pour les garçons et plus tard une école pour les filles.

Il existe la Société des anciens élèves des écoles La Martinière : les Martins, dont on peut trouver la liste sur Internet.

Un grand merci à Samir Kher pour ses photos du College La Martinière à Lucknow !

Pour en savoir plus sur les aventures de Claude Martin, lire :

De Rosie Llewellyn-Jones, L’aventure d’un Lyonnais en Inde, Claude Martin. Éditions LUGD.

Collectif (coordination Jean-Marie Lafont), Le Major Général Claude Martin. Éditeur ASBLA de Lyon, novembre 2019.

 

 

 

 

 

 

 

 
 
 
 
 
 
 
 
 
 
 

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