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TARA - Des maisons d'accueil pour enfants abandonnés à Delhi

TARA accueil enfants Pascal FautratTARA accueil enfants Pascal Fautrat
La maison d'accueil des filles de TARA
Écrit par Isabelle Bonsignour
Publié le 5 décembre 2018, mis à jour le 19 décembre 2023

Pascal Fautrat est l’un des 5 finalistes du Trophée Social et Humanitaire des Trophées des Français d’Asie. Il a commencé sa carrière en région parisienne à la protection judiciaire de la jeunesse en tant qu’éducateur spécialisé. Mais suite à un burn-out, il décide de tout arrêter et atterrit à Bombay pour un voyage en Inde. Ses premiers jours sur le sol indien vont littéralement changer sa vie. Aujourd’hui, il dirige TARA qui regroupe 4 maisons d’accueil pour enfants abandonnés à Delhi. Interview.

lepetitjournal.com : Dans votre candidature, vous racontez comment vous avez eu l’idée de faire quelque chose pour les enfants abandonnés en Inde et vous dites : “Je me suis alors dit qu’à mon petit niveau, je pourrais aider, ici, des enfants comme celui-ci – les désintoxiquer, les nourrir, les envoyer à l’école. Alors que je venais d’arriver en Inde et que je n’y connaissais rien. Naïf que j’étais, je me disais que cela ne devait pas être bien compliqué. Parfois c’est bien d’être inconscient !” 
Pourriez vous nous expliquer quelles sont les plus grandes difficultés que vous avez rencontrées pour mener à bien votre projet et en quoi vous étiez si inconscient ? 

Pascal Fautrat : Lorsque j’ai envisagé mon projet, j’avais défini 2 axes : premièrement, trouver des enfants abandonnés, et pour moi, c’était facile, il y en avait partout et deuxièmement, trouver 1 ou 2 entreprises pour sponsoriser mon projet et c’était bon!

En fait, même s’il y a beaucoup d’enfants dans les rues, ce n’est pas si facile de les recueillir et de les héberger. Cela nécessite l’obtention de licences pour avoir une légitimité, des ordres de placement… Le paysage de la protection de l’enfance est très bureaucratique.

J’étais aussi trop optimiste sur le deuxième point car peu de sponsors financent de manière récurrente une organisation caritative, ils changent souvent de projets au fil des ans et ils attendent aussi des ONG qu’elles parviennent à subvenir à leurs besoins. Or cela n’est pas possible quand on héberge des enfants, on ne peut pas les faire travailler et d’autre part, le coût du fonctionnement d’une maison pour enfants est élevé. Les dons sont en fait souvent morcelés, rien n’est acquis et certains coûts ne sont pas faciles à financer, par exemple, les frais d’audit.

Enfin, je n’avais pas du tout pensé à toute la partie administrative qui est inhérente à ce type de projet : protection légale, assurance, gestion des ressources humaines, … Avec mon expérience de travailleur social, je n’étais pas préparé à devenir un chef d’entreprise. 

 

TARA maisons d'accueil Delhi Pascal Fautrat

Toujours dans votre candidature, vous dites aussi : “Mais ce qui est exceptionnel à mes yeux, et ce dont je suis le plus fier, restera toujours cette ONG que nous avons été nombreux à construire et à aider.” Pouvez vous me dire combien de personnes aujourd’hui travaillent ou aident TARA approximativement ? Comment avez vous réussi à les entraîner dans votre projet et à les convaincre ?

Aujourd’hui, TARA compte 4 maisons d’accueil, une pour les tout petits, une pour les filles, une pour les garçons et une pour les jeunes adultes. Au total, nous accueillons 60 enfants et sommes 35 adultes en équivalent temps plein pour gérer tout ce petit monde. Héberger des enfants nécessite des ressources humaines importantes et un rythme de travail sur 24 heures. Il doit toujours y avoir au moins un adulte avec les enfants !

J’ai reçu énormément d’aide et d’assistance dès le début de mon projet : volontaires qui viennent pour quelques mois, sponsors qui délèguent des compétences (par exemple, dernièrement nous avons reçu de l’aide pour la création d’une base de données.), personnes qui apportent leur expertise dans un domaine, … Les volontaires sont tous emportés par les enfants chez qui il y a une espèce de conscience que c’est la chance de leur vie : ils donnent envie que l’on se bagarre pour eux !

“Héberger des enfants des rues” est une cause qui n’est pas contestable et qui crée l’adhésion tout naturellement. En contrepartie, il faut être en permanence à la hauteur de cette confiance.

 

Les enfants que vous accueillez ont subi des violences ou proviennent de structures familiales difficiles. Comment procédez vous pour les amener à avoir confiance en eux et en vous ?

Ce sont des enfants qui étaient en danger très grave, le paysage urbain de Delhi est extrêmement violent et la discrimination homme/femme encore très forte. Nous avons récupéré des bébés qui étaient en train de mourir de faim au sens propre du terme. Les petites filles nées dans des familles pauvres en ville ou à la campagne ont beaucoup moins de chances de survie que les petits garçons, en particulier si elles ne sont pas la première fille. Une petite fille seule dans la rue n’y reste pas longtemps, elle sera kidnappée et vendue. Si la famille a peu de ressources, c’est le garçon qui bénéficiera en premier des soins et ira à l’école. Tout cela contribue à un niveau de vulnérabilité des enfants très élevé. 

Les enfants qui arrivent à TARA sont des enfants qui ne se reconnaissent pas comme une personne à part entière et qui ont jusque là été utilisés comme des objets. Tout notre travail consiste à leur faire prendre conscience qu’ils sont des sujets et non des objets. Heureusement, TARA intervient généralement très tôt dans la vie de ces enfants et le processus est donc réversible. 

Nous commençons par leur dire qu’ils ont un prénom, un nom de famille et une date de naissance. C’est la base de l’identité d’une personne. Nous nous occupons aussi de la partie administrative pour obtenir les papiers justifiant de cette identité. C’est indispensable dans le processus de prise de conscience.

L’enfant est écouté, on lui apprend à dire “oui” et “non”. Une fois qu’ils ont compris qu’ils peuvent refuser de faire quelque chose et qu’on continuera à les écouter, on leur apprend à exprimer leurs opinions et leurs goûts : par exemple, “je ne veux pas faire ça mais je préfère faire ça …” L’attention individuelle est primordiale pour acquérir la confiance de l’enfant et lui faire comprendre qu’il nest pas un objet. Les enfants qui arrivent à TARA passent tous par une phase formidable pendant laquelle ils sont d’accord sur tout puis lorsqu’ils commencent à prendre conscience qu’ils ont le droit de dire non, ils rentrent dans une phase pendant laquelle ils ne sont d’accord sur rien !

Enfin, nous travaillons beaucoup avec les enfants sur la reprise de la possession de leur corps avec des activités corporelles, artistiques et de self defence pour les filles. On leur apprend qu’il faut savoir identifier les situations à risques (par exemple, il faut se méfier de ce gentil monsieur en apparence, que tu n’as jamais vu et qui t’offre des bonbons.) et avoir le courage d’aller se plaindre et demander justice. 

C’est incroyable que l’être humain puisse se reconstituer même sur des bases terribles de cruauté et de violence !

TARA Maison d'accueil des garcons Delhi

Vous avez commencé il y a 10 ans, avez vous déjà des enfants qui sont arrivés à l’âge adulte et sont partis de TARA ? Quelle est leur vision du monde en dehors de TARA ?

Les premiers sont sortis de TARA il y a 4 ans. Depuis, 5 jeunes adultes ont quitté les maisons. Aujourd’hui ce sont de jeunes adultes qui travaillent dans une agence de voyage, dans une agence immobilière, et il y en a même un qui est un responsable RH ! On revient de loin !

Un des jeunes m’a dit un jour : “Monsieur, vous nous avez éduqué dans un système de valeurs et de protection fort, mais dehors ce n’est pas du tout comme ça !” Mais ces valeurs que nous leur avons enseignées et qui ont guidées leur éducation sont devenues leurs valeurs et leur permettent de continuer à vivre et à réussir à l’extérieur de TARA. 

A TARA, nous essayons de donner aux enfants une éducation scolaire, extra-scolaire et morale. Je me suis rendu compte que c’était finalement les valeurs que nous leur avions apprises qui sont aujourd’hui ce qui leur sert le plus dans leur vie d’adultes.

Afin de rester entièrement laïque, nous avons mis au point un système de prière pour les valeurs. Ce sont les enfants qui rédigent les prières dans le cadre des activités extra-scolaires et elles sont ensuite récitées le soir : nous avons une prière pour l’intégrité, la vérité, …

 

Certains des enfants sont partis en camp cet été chez un ancien employé de Bed and Chai, la guesthouse de Coraline à Delhi. Comment cela s’est il passé ?

Les enfants sont revenus enchantés, ils avaient construit des murs, fait un feu le soir pour le diner… C’est selon eux le meilleur camp qu’ils ont fait. 

Pour l’anecdote et parce que nous sommes l’édition de Bombay, pouvez vous nous dire pourquoi vous vous êtes installés à Delhi alors que votre projet avait germé à Bombay ?

La raison est simple et pratique, pour réaliser mon projet, je devais apprendre la langue parlée localement. A Bombay, j’aurais du impérativement apprendre l’Hindi et le Marathi. A Delhi, seul l’Hindi suffit. Je ne me voyais pas démarrer le projet et apprendre 2 langues en même temps !

Maison d'accueil TARA Delhi Pascal Fautrat

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Si vous souhaitez soutenir TARA : 

Site web

Page FaceBook 

 

Pour en savoir plus :

Candidature aux trophées des Français d’Asie

Interview pour le magazine Indes

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