2eme partie de notre rencontre avec Kamala Marius, chercheuse en géographie et étude de genre, Maîtresse de conférences à l’université de Bordeaux Montaigne et chercheuse associée à l’Institut Français de Pondichéry. Elle a récemment donné une conférence à l’université ayant pour thème : « Les diasporas indiennes en France : le cas des Pondichériens, une diaspora ancienne et singulière. » Nous l'avons rencontré à Pondichéry en cette fin de mois d’octobre.
Première partie de l'article : rencontre avec Kamala Marius, professeure associée à l’Institut français de Pondichery
La maison de famille de Madame Marius se situe au sud de la ville blanche, dans une de ces ruelles arborées qui portent les noms évocateurs d’une autre époque : rue Laporte, rue Petit canal, rue Montorcier, rue Sainte Thérèse.
Dans le salon, à l’abri de la chaleur, nous conversons à propos de l’histoire de la diaspora des Français de Pondichéry qui est aussi l’histoire de la famille de Kamala. Voici la seconde partie de notre entretien :
La French touch, Pondichéry le pays du retour
Kamala : Les jeunes que l’on retrouve actuellement comme entrepreneurs à Pondichéry sont souvent des enfants de militaires. Ils sont revenus, investissent et revendiquent “la French touch”. Ils sont actionnaires de La Villa, la Villa Shanti, des restaurants, des maisons d’hôtes, des guests house. Ce sont des business qui marchent extrêmement bien.
D’autres qui ont été lycéens ici reviennent vers l’âge de 40 ou 50 ans pour retrouver leurs racines, le pays de leurs ancêtres. Ils décident de commencer une nouvelle vie sur cette terre de leurs origines.
Les demeures des Pondichériens, donnent un peu le « style » de Pondichéry, son charme suranné d’une autre époque.
Nos ancêtres avaient beaucoup de terres agricoles. Les Pondichériens investissaient beaucoup dans la terre, l’immobilier et les bijoux. Depuis le coronavirus beaucoup d’entre eux ont vendu leurs propriétés familiales. Celles-ci sont rachetées par des Indiens.
Les parents qui constatent que leurs enfants n’ont pas envie de revenir dans la maison familiale la vendent. Il est très difficile de garder vide une maison, il faut l’entretenir, il faut pouvoir financer cet entretien. Certains biens laissés vides sont spoliés par des escrocs qui fabriquent de faux documents de propriété, les démarches pour les récupérer sont sans fin.
Ainsi certains Français originaires de Pondichéry font le choix de louer un appartement pour y revenir en vacances et se défont de leur passé.
Les terrains, dans l’enceinte de ce qui est appelé la “ville blanche” ont pris beaucoup de valeur ces dernières années et ne cessent d’en prendre. Ils avoisinent 2000€ le m2. En conséquence, les maisons et terrains à vendre, dont beaucoup appartiennent à la diaspora Pondichérienne, sont très recherchés.
Lorsqu'on se réinstalle en Inde, comment cohabite-t-on avec la culture indienne des origines et la culture française ? Vous-même par votre profession et votre enfance, semblez être une citoyenne du monde. Plusieurs témoignages racontent des Françaises originaires de Pondichéry, ayant fait des études et travaillant en France qui, lorsqu’elles reviennent à Pondichéry, retrouvent les vêtements traditionnels et ne sortent plus seules. Selon vous, est-ce un choix ou une pression sociale, familiale ? Un besoin de retour aux sources ? Vous écrivez : « Aujourd’hui, mon espace familial est un espace diasporique : c’est le monde entier, de Pondichéry à Dakar, en passant par la France et les États-Unis. » Sur beaucoup de photos, vous êtes habillée comme une indienne et donc perçue comme indienne.
À l’âge de 23 ans, j’ai fait mon DEA, c’est-à-dire mon Master 2 en Inde. Je travaillais sur la thématique de « la révolution verte et le développement rural » dans la région de Pondichéry. Je ne pouvais pas m’habiller autrement qu’en sari pour rencontrer les gens. J’ai gardé cette habitude lorsque je suis ici. Le sari est toujours la tenue choisie, même à Paris au moment des fêtes, ou événements. Maintenant je porte plus souvent le salwar-kameez, le pantalon et la tunique, à Pondichéry. L’acte de renonciation c’était renoncer à son identité mais pas à ses coutumes.
Les Pondichériens se considèrent comme d’abord français. Ils le sont depuis des siècles et ils le revendiquent.
En France, cela agace beaucoup mes filles d’être au premier abord, vues comme des Indiennes, alors qu’elles sont françaises, nées en France, d’origine française et vivent en France depuis leur naissance. Mes filles sont d’origine indienne même si elles sont de nationalité française.
Dans son texte, On ne naît pas femme de couleur, on le devient, Kamala relate l’anecdote suivante :
« Ne me suis-je pas entendu dire maintes fois que, même si je parle bien français (sans accent), si je me sens bien en France, j’aurais tout de même l’intention un jour de rentrer dans « mon beau pays » qu’est l’Inde ? ».
Voilà un des exemples qui me font dire qu’en France, souvent nous ne sommes pas considérés comme des Français.
J’envisage d'ailleurs avec ma collègue d’écrire un ouvrage intitulé Français comme vous.
Une géographe féministe et indianiste
Souvent ce sont les hommes qui souhaitent revenir à un moment de leur vie, alors que les femmes qui ont leurs enfants et leurs petits enfants en France hésitent à revenir s’y établir. Les femmes courent le risque d’être rattrapées par la pression familiale et la culture indienne. Elles risquent de perdre leur indépendance.
Souvent, revenir dans la famille c’est comme le veut la tradition indienne revenir dans la famille du mari. Pour certaines, elles ne peuvent sortir qu’accompagnées et, si elles ont encore leur belle-mère, elles risquent de se retrouver soumises par tradition à l’autorité de celle-ci.
Parfois aussi, les maris qui reviennent en vacances à Pondichéry, y retrouvent leurs habitudes de jeunes hommes et passent leur temps entre hommes, dehors, avec la bénédiction de mères en adoration pour leurs fils.
Ceci explique que l’on peut retrouver un autre modèle familial : la femme reste en France avec ses enfants et son mari vit et travaille à Pondichéry, sans qu’il y ait forcément de divorce.
Les belles-mères, dans les familles traditionnelles, décident encore de tout au sein de la famille, ce peut être terrible pour les belles filles.
Ces traditions anciennes se perpétuent avec la reproduction de ce schéma par les filles, devenues à leur tour belles-mères alors même qu’elles en avaient souffert. Cependant, les modèles évoluent et à partir du moment où les femmes travaillent, elles poussent leurs enfants y compris leurs filles à faire des études et à pouvoir choisir un autre avenir, éventuellement ailleurs.
Lorsque nous étions jeunes et revenions chez nos grands-parents à Pondichéry, nous voyions d’un coup notre père qui nous éduquait dans un esprit d’indépendance se transformer. Il nous empêchait de sortir, comme si brutalement il était devenu schizophrène. C’était très étrange.
« Alors que l’Inde est une Constitution égalitaire, paradoxalement les lois communautaires existent toujours, parce qu’on estime que tout ce qui relève de l’intime et du privé, ne doit pas être régi par des droits. Le droit communautaire doit continuer à exister. Ainsi cette société reste patriarcale».
Découvrir le travail de Kamala Marius
J’écris sur les inégalités de genre en Inde, je raconte tout mon parcours de recherche sur les femmes indiennes dans mon livre : « les inégalités de genre en Inde. Regard au prisme des études féministes postcoloniales. » Édité par l’Institut français de Pondichéry.
Kamala Marius, qui est rattachée à l’Institut français de recherche Pondichéry, a participé à de nombreuses conférences et colloques et elle a écrit de nombreux ouvrages que nous vous encourageons à découvrir, dont « l’Inde, une puissance vulnérable 2ème édition, Bréal. 2023 ».
Elle s’intéresse à différents thèmes de recherches : la servitude pour dettes en milieu rural, les mobilités de travail dans un district industriel à la micro finance, les enjeux de genre et plus récemment, aux questions urbaines. Vous pouvez trouver certaines de ces conférences sur internet, notamment sur les Forums France-Inde.