À la lisière entre Wan Chai et Happy Valley se dresse ce bâtiment blanc, avec le cimetière musulman comme toile de fond. En temps normal, un dôme se dessine aux côtés du bâtiment principal, mais reste temporairement caché par une armature en bambou. Je couvre mes cheveux et franchis le seuil du Khalsa Diwan, le temple sikh de Hong Kong.
Origines du sikhisme
Pour entrer au temple, appelé aussi Gurdwara (la porte du gourou), il faut se déchausser et se couvrir les cheveux. À l’intérieur, je retrouve Manjinder Singh, un turban clair couvre sa chevelure, un sourire un peu timide se cache derrière sa moustache et sa barbe noire. Le nom « Singh » — me dira-t-il plus tard — est un titre porté par les hommes, qu’on prend lors du baptême et signifie lion, on ajoutera le nom « Kaur » (princesse) aux femmes sikhes.
Il me fait visiter le temple et me parle de sa religion et de sa communauté.
Gourou Nanak (1469-1539), fondateur du sikhisme, est né dans la province du Pendjab, en Inde. À cette époque, il constate de nombreuses discriminations entre hommes et femmes, mais aussi entre castes, religions et ethnicités. Il regrette en particulier l’antagonisme entre hindous et musulmans, et ne voit que la richesse commune de ces deux religions. Il commence à prêcher un rapprochement entre hindouisme et islam, définissant ses fidèles comme des « disciples » ou « sikhs ». Ses adeptes croient en un seul Dieu. En tout, dix gourous se succéderont jusqu’en 1708, à chaque fois nommés par le précédent. Chacun apporte de nouvelles règles dans l’enseignement spirituel.
Communauté sikhe à Hong Kong
Les sikhs sont arrivés à Hong Kong dans les années 1840, car certains faisaient partie des forces armées britanniques. Le Khalsa Diwan a été construit en 1901 par des sikhs locaux, dans le but de fournir un soutien religieux et social aux sikhs de Hong Kong. Le temple a été bombardé deux fois pendant la Seconde Guerre mondiale, subissant des dommages considérables et il a été reconstruit après la guerre.
Le Gurdwaraa été agrandi dans les années 1980, et relié à Queens' Road East. Pour l’instant, le temple est au beau milieu de travaux de réaménagement. En avril 2022, un tout nouveau temple verra le jour, mais pour l’instant nous slalomons parmi les ouvriers et les gravats pour arriver à la grande salle.
Mon guide boite légèrement, — une blessure de hockey — me précise-t-il, car le temple organise depuis plus de 50 ans le Tournoi de hockey Guru Nanak. On nous offre une serviette pour nettoyer nos pieds avant d’entrer. Au fond de la salle, un livre ouvert trône, il s’agit du livre sacré (Gourou Granth Sahib) sur lequel la doctrine du sikhisme se fonde. C’est la compilation des enseignements spirituels des dix gourous et il est considéré comme le seul et unique successeur, ce qui fait de l’ouvrage l’autorité spirituelle suprême des sikhs.
Nos voix deviennent un murmure et Manjinder tient à me préciser que je ne suis pas obligée d’imiter ses gestes, mais que je peux le faire si je le souhaite. Je fais donc comme lui. On s’avance en silence jusqu’au livre sacré, on s’agenouille et on fait une révérence. Une voix s’élève et remplit les lieux, une prière est récitée telle une mélopée.
Face au livre et assis sur une plate-forme surélevée connue sous le nom de takht (trône), se trouve le granthi (lecteur cérémonial), considéré comme l’un des principaux responsables religieux du sikhisme. Sur la plate-forme se déploient divers sabres et armes. Deux hommes s’approchent également, ils s’inclinent et déposent un don d’argent avant de s’asseoir par terre pour prier.
On n’a pas le droit de tourner le dos au livre sacré, on passe derrière le granthi pour faire le tour de la salle.
Le sikhisme, égalité de droits pour tous
Nous restons en retrait pendant que cette voix mélodieuse inonde les lieux. Manjinder parle du dernier gourou. C’est lui qui a introduit les cinq éléments que les sikhs initiés doivent arborer, connus comme les « cinq K » :
- ne pas couper cheveux ni barbe (Kesh), symbole de respect pour l’œuvre de Dieu ;
- porter en permanence un peigne (Kangha) dans les cheveux, tenus par un turban, représentant la propreté ;
- porter un bracelet en fer (Kara), qui symbolise l’éternité et évoque la maîtrise de soi ;
- porter un caleçon spécifique (Kachera) symbole du contrôle sur le corps et de fidélité ;
- et porter un poignard recourbé (Kirpan), faisant office de rappel au devoir : défendre les faibles, les pauvres et les opprimés.
Selon le sikhisme, discuter quels composants de sa croyance proviennent des hindous ou des musulmans n’est pas pertinent, car Dieu n’est pas inhérent à une confession. On y considère que toutes les religions peuvent mener vers Dieu lorsqu’elles professent des concepts universels tels que la bonté, la charité, l’honnêteté et le respect des autres. Le sikhisme est fondé sur un concept d’égalité de droits pour tous et ne reconnaît donc pas le système de castes.
Un temple sikh pour se sentir chez soi à Hong Kong
Dans le coin de la grande salle, une femme garde une marmite et distribue une collation aux nouveaux arrivants. Les temples sikhs ne sont pas seulement des lieux de culte, ce sont des cuisines et des centres communautaires, des refuges pour sans-abri, un endroit où l’on peut se sentir chez soi.
Nous sortons de la salle et prenons l’ascenseur pour arriver au langar, une cantine communautaire gratuite, ouverte à tous ceux qui en ont besoin, croyants ou non. Bien qu’à cette heure il y a moins de passage, les gens s’affairent en cuisine et l’odeur des marmites se répand. Les repas — m’apprend Manjinder — sont végétariens, le végétarisme est une norme culturelle dans le sikhisme, on enseigne la pitié envers toutes les créatures et le refus d’encourager ou de participer à leur mise à mort.
« Au moins 500 personnes mangent dans notre cuisine gratuite les jours de semaine. Le dimanche, on reçoit environ 2000 personnes ». Le langar n’est pas un concept local, on le retrouve dans tous les temples sikhs : pour pouvoir être un temple officiel, il faut être en mesure d’offrir gîte et nourriture.
Des gens entrent et s’installent par terre avec leur assiette, tout le monde s’assoit au niveau du sol par principe d’égalité. Mon guide me propose de goûter à leur cuisine, je suis presque tentée de dire oui, tant les odeurs sont appétissantes, mais je décline, car je sors de table, je reviendrai volontiers un autre jour.
Des bénévoles assurent la préparation et la vaisselle, dans la tradition sikhe, chacun y met du sien.
Le Khalsa Diwan, au service de la communauté
Le service communautaire étant un principe fondamental, le Khalsa Diwan offre l’hébergement gratuit et temporaire pour tous ceux qui n’ont pas les moyens de rester ailleurs et promeut activement les activités sportives et culturelles. On y trouve un jardin d’enfants, et divers programmes de développement professionnel et personnel gratuits sont proposés. Le temple organise des collectes de sang en collaboration avec la Croix‑Rouge de Hong Kong et bien sûr, une cuisine communautaire gratuite est ouverte tous les jours.
Avant de prendre congé de mon guide, je réitère mon souhait de revenir, « reviens au temple quand les travaux seront finis, ça va être très beau », me convie-t-il. Je pars sur cette phrase de Manjinder qui clôt notre entretien « Travaille et partage le fruit de ton travail », voilà une devise qu’il suit en tant que sikh.