Omniprésente en Chine et dans de nombreuses diasporas, la danse de places, aussi appelée danse de parcs, est très visible à Hong Kong. Des femmes d’âge (très) mûr, se réunissent autour d’une vieille radio ou (pour les plus modernes) d’un smartphone, et dansent dans les espaces publics. Qui sont-elles?
Des racines chinoises
Les ballets collectifs ont fait leur apparition en Chine en 1949 avec l'arrivée au pouvoir des communistes, qui y ont vu un moyen de développer l'esprit communautaire. Durant la révolution culturelle, les chants et chorégraphies ont été standardisés en huit modèles de ballets et d’opéras dits "révolutionnaires". Emanations de Jiang Qing (l’épouse de Mao et ancienne danseuse), ils glorifiaient le régime.
C’est cette génération, très solidaire et marquée par une période spéciale de l’histoire chinoise, qui danse aujourd’hui. Les danseurs, mais plus souvent danseuses, font partie d’une population vieillissante qui a suffisamment d’argent pour pouvoir jouir de sa retraite.
Les grands-mères, qui s’occupent traditionnellement de leurs petits-enfants, glissent en effet souvent dans leurs emplois du temps des fenêtres de danse de place. Les hommes s’y mettent, espérant ainsi échapper aux tâches ménagères délaissées par leurs épouses, mais personne n’est dupe.
Le matin ou le soir à la fraîche, les danseuses s’installent dans leur coin de parc, de place, ou sur un trottoir un peu large. Un peu de musique, parfois des hauts parleurs, et c’est parti. S’il y a toujours une organisatrice en chef qui montre les pas de danse, la participation est libre. On estimait en 2018 que 100 millions de personnes dansaient régulièrement en extérieur en Chine (pour une population de 240 millions de plus de 60 ans).
Chants révolutionnaires qui sentent bon une jeunesse exaltante (parfois avec comme accessoire la mitraillette en plastique du petit-fils), danses de salon (tango, valse lente), ou bien danses des minorités ethniques (mongole ou tibétaine surtout) sont au répertoire des danseuses.
La danse de places, une pratique thérapeutique
Les danses de place sont encouragées par le gouvernement, qui y voit un exercice physique pour les masses, dans un pays à la population vieillissante et en proie depuis une génération seulement au diabète, à l’hypertension, au cholestérol et au surpoids.
Un Plan national d'exercice physique a inscrit en 2016 la danse de place parmi les sports d'équipe à "développer énergiquement". C’est devenu une discipline des Jeux nationaux, au même titre que la natation et l'athlétisme.
Pour s'assurer des effets thérapeutiques, une nouvelle tentative de standardiser la pratique, via douze chorégraphies types choisies parmi 259 "pour leur capacité à améliorer la santé et promouvoir l’harmonie" a cependant fait long feu. Les grands-mères n’en font qu’à leur tête! Après leur vie de fourmi, elles font les cigales et dansent toujours comme elles le souhaitent. Les entrepreneurs chinois, toujours rapides à voir les opportunités, proposent des tenues de scène et des chorégraphies sur le net, à des grands-mères très connectées.
Mandarin ou cantonais?
Si Hong Kong organisait plutôt des chants d’opéra cantonais sur les places et dans les parcs, on voit aujourd’hui souvent des groupes dansants comme en Chine. S’agit-il de danseuses de Chine, ou Hong Kong s’y est-il mis?
Pour le savoir, il faut commencer par tendre l’oreille: certains groupes parlent seulement mandarin, d’autres plutôt cantonais. Si à l’origine les danses étaient l’apanage de Chinoises du continent, la mayonnaise a bien pris ici. Les grands-mères ont ainsi souvent en commun un besoin de copines et de sortir de la routine de l’éducation des petits-enfants. Au-delà de l’origine géographique, la danse permet ainsi parfois la communion d’une génération qui a des souvenirs très particuliers. L’âge aidant, les femmes se rappellent leur jeunesse, certes turbulente, mais leur jeunesse tout de même. Hong Kong et Chine, quand on a 70 ans, même combat.
Danses de place vs. Flashmobs
On peut voir les grands-mères à Central ferry pier et à Tsim Sha Tsui, mais aussi dans de nombreux parcs et places. L’individualisme plus prononcé à Hong Kong leur cause pourtant des ennuis: le volume sonore fait grincer des dents (il dérange les enfants pendant leurs devoirs) et certains groupes se battent pour un espace rare à Hong Kong.
Parfois aussi, la politique s’en mêle. Pour certains, les hauts parleurs dans les espaces publics et l'agitation en groupe ne sont pas un bon souvenir. En juillet 2019, au plus haut des mouvements sociaux, la danse de place était vue comme une preuve d’allégeance à Pékin. Le patriotisme des chants passait mal. A Tuen Mun, en réaction, plusieurs milliers de personnes ont organisé des Flashmobs anti-danses de place.
Catherine Wong, du parti démocrate, déclarait alors: "Ten years ago, it was only Cantonese opera singers who performed in an orderly, respectful manner. Now it’s just these groups singing songs nobody wants to hear, and trying to outsing each other by turning up the loudspeakers to full blast."
Des rumeurs de prestations sexuelles des danseuses ont alors circulé (doxxing?), certains spectateurs ayant semble-t-il glissé des billets aux plus belles des grands-mères danseuses. Etonnant! et surtout complètement illégal.
Les danses de place elles-mêmes sont en fait dans la zone grise. Les spectacles de rue sont encadrés (bruit, gêne pour les passants…) et un permis est théoriquement nécessaire. La police peut invoquer le Noise Control Ordinance (niveau sonore) et le Summary Offences Ordinance (musique en public) pour des peines allant d’amendes légères à 3 mois de prison. Pour dégonfler la controverse, le LCSD a proposé des avenants sur le Pleasure Grounds Regulation pour encadrer les activités effectuées sur ses espaces, et fermé l’espace incriminé à Tuen Mun. Depuis, certains parcs ont carrément interdit la musique. Ca tombe bien, les grands-pères en avaient marre de changer les couches.
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