Chef emblématique de la jeune génération de cuisiniers français, Mory Sacko était l'invité du Landmark, Mandarin Oriental Hong Kong pour une série de conférences et de démonstrations. La cuisine de Mory Sacko est l’expression de ce qu’il est aujourdhui : les goûts de la France, un héritage culinaire africain et sa passion pour le Japon. En 2021, son restaurant MoSuke a obtenu une étoile Michelin et Mory est récompensé du « Young Chef Award ». Nous l'avons rencontré dans ce contexte et il s'est confié à notre micro. Rencontre avec un chef hors du commun.
J'ai toujours été fasciné par le Japon
On vous qualifie de « samouraï en cuisine », vous avez nommé votre restaurant MoSuke, une contraction de votre prénom et de ‘Yasuke', en référence à l’unique samouraï d’origine africaine de l’histoire du Japon ; parlez-nous de votre passion pour le Pays du Soleil Levant
Le manga et tout l’univers de la culture japonaise me fascinaient depuis tout petit déjà, je me passionnais pour les arts, la musique et la gastronomie, c'est un pays fascinant. Les chefs là-bas sont tous spécialisés - un chef yakitori ne fera que du yakitori par exemple, et c'est lorsqu'on échange avec ces chefs japonais, que l'on s'apperçoit du niveau de leur savoir et leur dégré de précision dans leur cuisine.
Parlez-nous de vos inspirations culinaires, votre apprentissage aux côtés du chef doublement étoilé Thierry Marx
C’est un chef que j’admire, on vient tous deux d’un milieu populaire, il propose une vraie innovation dans sa cuisine, et ce n’est pas le chef traditionnel que l’on rencontre. A ses côtés j’ai appris à utiliser les produits japonais et à les adapter à la cuisine française, de manière moins conventionelle et à avoir une approche différente de ces ingrédients sans les sacraliser.
Un héritage africain au service de la cuisine
Parlez-nous de votre table MoSuke
J’avais déjà le projet d’ouvrir MoSuke avant de participer à l'émission Top Chef, d'y proposer une cuisine plus alignée à ma personalité, de célébrer mes racines et mes origines. C’est une cuisine qui se nourrit de mes voyages et rencontres, et que j'accentue avec des épices, au travers d'un héritage culinaire de l’Afrique de l’Ouest à l’Est ; depuis le Magreb en passant par l'Ethiopie jusqu’au Zanzibar. Je la décrirai comme un dialogue entre plusieurs cultures, dans lequel on embarque dans un grand voyage, il faut venir pour comprendre ce message.
En quelques mois à peine, après l’émission télévisée vous ouvrez votre restaurant et dans la foulée vous obtenez une étoile au Guide Michelin, racontez-nous cette ascension fulgurante
C’est assez fou en fait. La participation à l'émission permet de se pousser dans la créativité et dans la construction des assiettes. C'est un tremplin et une aide à la notoriété. Au travers des échanges avec les chefs on apprend la simplicité mais complexifiée, c'est une expérience qui équivaut à 5-6 ans en cuisine pour un chef et qui amène à la compréhension de sa propre cuisine. On a ouvert MoSuke en septembre 2020 et après seulement six semaines d’ouverture nous avons du fermer pour cause de confinement, à notre très grande surprise on a été récompensé par une première étoile quelques mois plus tard en janvier 2021.
Je vise une deuxième étoile pour mon restaurant
Avec une première étoile à 29 ans, êtes-vous sur les pas du chef Fabien Ferré triplement étoilé à tout juste 35 ans ?
On a le temps, je connais très bien Fabien, c'est un bon ami, cela fait 8 ans qu’il travaille à La Table du Castellet et il le mérite. Ma première étoile s’est faite très vite, on a pour projet d’avancer avec MoSuke, et de pousser ma cuisine jusqu’à aller chercher une deuxième étoile. Je travaille également sur mon projet de street food MoSugo à Paris, avec ma version du poulet frit. On ouvre prochainement la troisième adresse dans le 2e, après la première adresse dans la même rue que MoSuke et celle au Lafayette Gourmet.
Quel est votre regard sur la cuisine de votre génération ?
On est sur un pivot, les chefs qui nous ont formés ont travaillé dans un monde qui n'existe plus aujourdhui, les sujets écologiques n'étaient pas encore une problématique et le bien-être au travail n'était pas abordé. C'est le Covid qui a tout accéléré, l'équilibre entre vie privée et le métier en restauration et les sujets sur l'écologie sont devenus des prérogatives pour notre génération de chefs, on se doit d'amorcer ce changement écologique notamment sur la saisonalité. Le grand défis de la génération suivante sera la disponibilité des produits.
Des produits frais locaux si possibles
Comment concilier les valeurs éco-responsables et les faire adhérer à tous ?
En tant que chefs gastronomiques on a conscience que l'on s'adresse à une élite, nos problématiques ne se transposent pas forcément dans un univers plus modeste. Manger local, saisonnier et plus responsable est coûteux. En tant que chefs on doit montrer que c'est possible et de rendre ces produits accessibles à tous. Respecter la saisonnalité n'était pas une problématique autrefois, aujourd'hui servir des plats avec des ingrédients hors saison n'est plus possible. J'ai une cuisine influencée par l'Afrique et le Japon et j'ai du trouver des solutions, les agrumes tels que le yuzu et le sudachi ou le navet Kabu viennent du sud de la France, pour que l'on ait accès localement ces variétés. Nos piments viennent de Bourgogne, d'un producteur qui cultive 70 variétés, entre août et septembre on met ces piments en bocaux pour les préserver et ainsi les servir toute l'année.
Pour faire adhérer, il faut faire participer les professionels et utiliser des produits sains et bien "produits". Puis de temps en temps, il faut rééquilibrer en mangeant végétal, pour réduire l'empreinte carbone. C'est aussi le travail du chef de rendre ces produits plus désirables et de les sublimer. En tant que cuisinier on s'adapte, on jongle entre des saisonalités rétrécies et des saisonalités qui changent en se décalant, on le ressent tous les jours dans nos approvisionnements en France.
Un menu à quatre mains à Hong Kong
Parlez-nous d'un plat de votre menu avec le chef Richard Ekkebus dans les cuisines d'Amber
On commence le menu par une soupe de poissons, inspirée de la Pèpè soupe que l'on sert également à MoSuke, on la trouve sous différentes variantes dans l'Afrique de l'Ouest, mais on fait une variante qui est l'entre deux de la version camerounaise et ivoirienne. Pour pousser cette soupe plus loin, je m'amuse à la travailler et tirant le meilleur des trois éléments qui la composent : la base de la bouillabaisse, l'assaisonnement de la Pèpè soupe et le fumé du dashi japonais. Le fumé est apporté par un mélange assez dense de 40 épices et fini par une pointe de Tsuyu qu'on infuse avec le Katsuobushi ce qui donne un fumé plus particulier et profond. A l'origine, le katsuobushi est fait à partir d'un poisson que l'on trouve uniquement au Japon et en Afrique de l'Ouest, les techniques de préparation sont similaires et le goût est commun aux deux cultures.
Il y a-t-il un plat ou une chose en particulier que votre passage à Hong Kong vous aura marqué ?
L'énergie, Hong Kong est une ville tellement dynamique dans laquelle il se passe toujours quelque chose. Le plat que je retiens est celui de la "Goose", l'oie rôtie !
Un petit mot pour nos lecteurs ?
Passez à Paris chez MoSuke, on sera là pour vous accueillir !