A l’occasion de l’ouverture de son nouveau restaurant Cristal Room au 43ème étage du Landmark, nous avons rencontré la chef française Anne-Sophie Pic, l'une des trois seules femmes chef à recevoir 3 étoiles pour son restaurant de Valence et héritière de quatre générations de cuisiniers.
Un concept exceptionnel basé sur la transparence
Vous ouvrez un nouveau restaurant intitulé Cristal Room. Quel sera le style et la tonalité de ce nouveau restaurant ?
C’est une superbe aventure qui commence, une continuité en fait puisque nous avons déjà plusieurs restaurants en plus de Valence dont La Dame de Pic à Singapour au Raffles depuis 2019 avec une étoile déjà. Ce nouveau restaurant est très différent car ce n’est pas un restaurant d’hôtel. La vue est extraordinaire et le concept est très innovant avec une cuisine très ouverte, sans comptoir, un peu comme si on mangeait dans la cuisine d’un particulier. Il y a le raffinement à la française et aussi l’esprit Baccarat, de la transparence, avec qui nous sommes associés avec un design exceptionnel de Gilles Boissier. Le nombre de tables est limité à une dizaine pour 36 couverts maximum
Nous comptons sourcer nos produits localement
Vous continuez votre développement en Asie après Singapour. Qu’est-ce qui vous attire en Asie ?
J’ai un lien particulier avec l’Asie où j’ai fait une partie de mes études de commerce, dont 6 mois au Japon. Je suis déjà venu ici il y a 30 ans et suis aussi passé par la Corée et Taiwan. De même en France, mon père a participé avec Monsieur Chuji à la création des premières écoles de cuisine hôtelière à la française en vallée du Rhône où se sont formés les premières générations de chefs japonais. C’est avec son fils et sa fille que j’ai découvert la cuisine japonaise lors de mon séjour au Japon. Je compte continuer à utiliser les produits locaux comme je le fais déjà dans mes autres restaurants et en particulier développer les accords autour du thé, l’une de mes spécialités. Sur ce thème, je propose des accords non-alcooliques, ce qui est une nouveauté. Par exemple, notre fameux berlingot au comté est associé avec une variété de thé sobacha, du café et une sauce champignon. Nous proposons aussi des accords avec les oolong taiwainais ou les dan po chinois, avec une recherche particulière sur les oxydations.
La tradition pour nous, c’est l’innovation
Vous êtes issue d’une famille présente depuis 100 ans dans la gastronomie française. Comment alliez-vous tradition et modernité ?
Il n’est pas envisageable de faire quelque chose de totalement traditionnel à Hong Kong qui affiche une façade de modernité, même si le passé et la culture asiatique restent présents. Le fait que cette ville futuriste donne sur les montagnes environnantes est inspirant pour notre chef Marc Mantovani et son équipe. L’innovation est dans les gènes familiaux puisque mon père Jacques Pic déjà cherchait à bousculer les habitudes culinaires comme en 1971 avec la première association entre un plat chaud au champagne et du caviar. A Valence nous sommes en permanence en recherche de nouvelles techniques, de cuissons ou d’imprégnation afin d’allier les saveurs sans perdre le parfum de chaque ingrédient. Nous cherchons aussi beaucoup à alléger nos sauces, ou encore cuisiner sans lactose ou sans gluten pour être dans l’air du temps. Nous allons poursuivre nos efforts pour sourcer localement, comme avec l’utilisation du soja ou bien les légumes issus d’une ferme hydroponique à Hong Kong. Bien évidemment nos chefs passent par Valence et apprennent à faire ma cuisine, même si nous fonctionnons ensuite de façon co-créative et que chacun finit par développer un style particulier. L’inspiration de Valence est présente à Hong Kong comme avec le berlingot, même si celui-ci est adapté aux goûts locaux, mais la cuisine sera spécifique à ce nouveau restaurant.
De plus en plus de jeunes osent changer de voie pour aller vers la cuisine
Vous êtes l’une des trois seules femmes chef avec 3 étoiles. Pensez-vous que les femmes vont rattraper un jour les hommes et qu’apportent-elles selon vous à ce métier ?
Ce débat n’avait pas lieu du temps de mon grand-père André qui considérait la Mère Brasier comme son égale. C’est étonnant qu’entre l’époque d’Eugénie Brasier et aujourd’hui, la profession se soit autant masculinisée avec un retour en force des femmes depuis un dizaine d’années qui sont désormais totalement reconnues. Parmi les chefs de Hong Kong que j’ai rencontrés, la plupart travaillent avec des femmes dans leurs brigades et je crois que les aprioris sont en train de tomber. Si l’on considère que la Mère Brasier a eu deux fois trois étoiles, ce qu’aucun homme n’avait réussi à faire en son temps, on peut être rassuré sur la place des femmes dans cette profession. A Hong Kong, la cheffe Vickie Lau illustre cette présence des femmes avec une cuisine particulièrement marquée autour du toufu. De façon générale, la complémentarité hommes-femmes en cuisine entre les sexes est très intéressante mais c’est avant tout la compétence qui prime. Dans notre brigade, nous avons une femme exceptionnelle, Christie, qui ne cuisine que depuis deux ans et aujourd’hui vit son rêve. Ce qui me plait c’est que de plus en plus de jeunes, hommes ou femmes, osent changer de voie pour s’orienter vers leur passion.