Le réalisateur Jacques Audiard aime aller là où on ne l’attend pas. Après s’être intéressé au cas des réfugiés Sri-Lankais dans un simili revenge movie avec Dheepan, il revient cette fois-ci avec un western, The Sisters Brothers.
Comme à son habitude, Audiard ne se laisse pas intimider par le lourd héritage cinématographique (de John Ford à Sergio Leone) que le genre transporte et se l’approprie pour mieux se concentrer sur l’humanité et les conflits intérieurs de ses personnages. Il revient avec nous sur la création du film.
Propos recueillis par Arnaud Lanuque
LPJ : Qu’est-ce qui vous a plu dans le livre de Patrick De Witt pour vous convaincre de vouloir l’adapter en film?
C’est un très bon livre déjà. Il y avait un humour que j’aimais beaucoup, une espèce de distance. Et surtout, il y avait un point de vue. C’était raconté du point de vue d’Eli. C’était déjà une voie d’accès pour moi. Et il y avait le fait que j’y ai vu très très vite une forme de conte. C’était trompeur de voir deux adultes, c’était deux enfants. J’ai eu des images et je l’ai vu comme un conte gothique.
Quels changements avez-vous fait au roman pour le scénario du film?
Le changement le plus notable que nous avons apporté avec mon scénariste était sur les personnages de Warm et Morris. Dans le roman, ils étaient assez stylisés, un peu caricaturaux. Je me suis aperçu que je pouvais en faire des personnages à part entière, à même de concurrencer les deux frères en leur prêtant une autre pensée, une pensée plus forte. Ils pouvaient parler d’or mais cela ouvrait sur d’autres considérations, politiques par exemple. C’était déjà présent dans le roman mais uniquement pas signe, pas vraiment développé. Une fois ces personnages redéfinis, cela a rendu le casting beaucoup plus facile. Je ne me souviens plus exactement des autres changements que nous avons faits mais nous sommes restés fidèle à l’esprit du roman, à défaut de l’être à la lettre.
La dynamique entre les deux frères est complexe. Comment l’avez-vous construite et est-ce que Joaquim Phoenix et John C. Reilly y ont contribué?
Elle s’est vraiment basée sur l’idée que ce sont des enfants. Tout tourne autour de ça. Par exemple, toute leur pensée de la femme est hors champs, hors film. Quant aux acteurs, ils sont arrivés vraiment avec des personnages, ils y avaient pensés en amont et avaient des propositions. Le truc, c’est que c’était des personnages isolés, sans l’idée des interactions qu’ils allaient avoir avec les autres. Mon travail a donc été de les faire interagir entre eux et ajuster le cas échéant. Dans le cas des frères, c’était assez facile à jouer, ces garçons chicaneurs depuis qu’ils ont 12 ans. C’était un peu plus complexe pour les deux autres, il y avait davantage à découvrir.
S’agissant d’une co-production avec les Etats-Unis, avez-vous été soumis aux contraintes que peuvent générer leur système de production?
Franchement, ça s’est très bien passé. Peut-être parce que ce n’était pas un studio Hollywoodien. Ils étaient très respectueux de ma liberté. A chaque fois que je leur demandais leur avis, ils étaient très pertinents. J’ai vraiment eu affaire à des gens formidables !
Est-ce que le fait de tourner en anglais a été source de difficultés pour vous?
Moi, ça m’apporte quelque chose de tourner avec des gens, des acteurs, dont je ne comprends pas exactement la langue. Sur Dheepan, j’avais travaillé avec des acteurs Tamoul… je parle peu anglais mais je ne parle pas du tout Tamil (rire). Il y a le désir de ma part, de manière peut-être un peu inconsciente, de ne pas être dans ma langue. Ne pas tout savoir de ce qui va se jouer. Ce film est une exception mais, en général, je choisi mes sujets, je les adapte, je les tourne. Et, à un moment donné de ce processus, je vais chercher une forme d’innocence. Dans le cinéma, on passe notre temps à faire des programmes. Un scénario, c’est une forme de programme, qu’un directeur de production va transformer en plan de tournage. On est toujours dans ce genre de pensées programmatique qui, a un moment donné, est contradictoire avec ce qu’on va chercher profondément, qui est exactement l’inverse. Il faut avoir cette machine là mais il faut aussi que, tout à coup, cela soit différent. Et cette distance avec la langue crée déjà un peu de cette différence.
Pourquoi avoir choisi de tourner en Roumanie et en Espagne?
Le premier réflexe a été bien sûr d’aller en repérages aux Etats-Unis. Nous avons été en Alberta, nous avons suivi la route des pionniers… Tout est là, des villages aux décors nécessaires. Les clés sont sur les portes. Mais, si c’est là, c’est que ça a déjà existé. Je suis assez soucieux à chaque fois de créer mon propre outil de cinéma, créer une sorte de nouveauté. Et ce que ça ajoutait de tourner en Espagne et Roumanie, c’était le sentiment de retrouver un peu cette origine des Etats-Unis. Dans les villages, quand vous arriviez, vous entendiez le yiddish des polonais, les irlandais, les français, les espagnols, les russes… C’était un peu la tour de Babel. Je pense que ça a été la réalité des Etats-Unis pendant longtemps et ça s’est fixé un peu après. J’avais d’ailleurs été très frappé par La Porte du Paradis de Cimino où il y avait ce choc linguistique.
Justement, en interview, vous citez souvent Little Big Man ou Rio Bravo comme vos références en matière de western mais, en voyant le film, c’est La Porte du Paradis qui m’est venu spontanément en tête.
J’y ai effectivement pensé pour la première partie. C’est un film très inspirant. Ça ne pouvait être qu’un italo américain pour faire un film comme ça ! Mais le genre du western n’est pas une passion pour moi. J’aime bien certains des films qui ont été fait durant les années 70 et un peu après mais, le western des origines, je n’en suis pas vraiment fou.
Le fait de tourner à Almeria ne vous met-il pas dans les pas de Sergio Leone ?
C’est vrai que c’est touchant de retrouver les décors des Leone. Mais quand il prend le western, il le prend de manière assez ironique. Je n’ai pas ce talent là. On pourrait refaire toute l’histoire du western italien… c’était tous des mecs du PCI (Parti Communiste Italien). Moi, je ne suis pas du PCF (rires). Et puis, Sergio Leone avait une très grande culture, une très grande cinéphilie américaine et un vrai gout du western, et était d’une autre génération. Bien sûr, il y a des western qui m’ont passionné mais le côté frontière, indiens, je n’y comprends rien, ce n’est pas mon mythe. Quand vous êtes français, vous aurez beau avoir joué aux cow-boys et aux indiens, ça n’a pas la même valeur de mythe que pour un américain. Nous, notre mythe, c’est la révolution française et la chanson de Roland.
La reconstitution historique est particulièrement soignée, riche en détails.
Oui, la clé c’est de soigner les détails. Je me suis basé sur l’iconographie de l’époque, qui est très importante. C’était surtout pour mettre en avant cette idée que les villes sortaient de terre, c’était des tentes puis ça devenait des planches, et, la ruée vers l’or passée, c’est retourné au désert. J’ai appréhendé cette question comme je l’aurais fait pour n’importe quel film d’époque, bien plus qu’en tant que western stricto sensu.
Dans ce registre, il m’a semblé que le son concernant les armes à feu est différent de celui auquel on est habitué.
Oui parce qu’en 1850, la cartouche n’existait pas. Il fallait charger soi-même en utilisant de la poudre noire. Et ça donne un bruit très particulier, un peu comme un pétard ou un feu d’artifice. C’est quelque chose dont on a plus l’habitude. C’était effectivement quelque chose qui m’intéressait beaucoup.
D’ailleurs, à ce sujet, comment avez-vous approché les fusillades?
Comme pour l’ensemble du film, avec cette idée de conte et de livre d’aventure. On ne les voit pas vraiment ou elles sont de loin. Un peu comme une planche dessinée. Je voulais que ce soit des images qui restent mais comme des images d’illustration. C’est pour ça qu’il y a une scène où c’est éclairé uniquement par les flammes des revolvers.
Le cinéma asiatique et vous
Comment avez-vous découvert le cinéma asiatique dans votre parcours cinéphilique?
Comme n’importe quel Parisien, avec les classiques du genre comme Kurosawa. C'est vrai que le cinéma asiatique a été fondateur pour le cinéma des années 1970. Dans la représentation de la violence ou sa stylisation…. Ça a vraiment été fondamental. Quand les copies d’Ozu sont sorties au milieu des années 1970, je me souviens que ça a été un choc. Notamment pour les gens de théâtre en France. Je me souviens que Patrice Chéreau en parlait avec un enthousiasme fiévreux. Mais pour moi, c’est quand la modernité est arrivé que cela m’a plus marqué, quand les Hong Kongais et les Taiwanais sont arrivés. Ce qui est normal parce que c’est durant cette période que j’ai fait ma propre cinéphilie.
Quels cinéastes Hong Kongais et Taiwanais vous ont le plus marqué?
Wong Kar Wai et Tsai Ming Liang. Ça a été un choc. Grâce à leur cinéma, j’ai eu l’impression de connaitre quelque chose de chez eux.
Si on vous proposait de réaliser un film à Hong Kong, quel type d’histoire feriez-vous?
Il faudrait que j’en parle avec Johnnie To. C’est lui qui décidera ! (rires)
Remerciements à Wing Choi et à l’équipe du Hong Kong International Film Festival
Informations pratiques:
- Programme et billeterie du Hong Kong International Film Festival: ICI
- Sortie du film en salle le 28 mars 2019